Une analyse fouillée et rigoureuse des rapports entre France, Angleterre et Provinces-Unies à l’époque de l’apogée de la puissance louis-quatorzienne.

La seconde moitié du XVIIe siècle est une période d’intense activité militaire et diplomatique dans une Europe venant d’être redessinée par les traités de Westphalie. Dès 1665 et la mort de Philippe IV, la question de la succession d’Espagne trotte dans toutes les têtes, particulièrement celles des deux gendres du défunt roi, l’empereur Léopold et le roi de France Louis XIV. Ce dernier entend en effet agrandir son royaume par des conquêtes sur les Pays-Bas espagnols : bien que cela ne les concerne pas en principe, l’Angleterre et les Provinces-Unies comprennent vite que leur propre protection dépend de leur capacité à empêcher la France de prendre la Flandre. Plusieurs puissances se retrouvent donc en concurrence. La lutte pour les contrôles des mers du nord de l’Europe (mer du Nord et par conséquent mer Baltique) n’est pas la moindre des enjeux. Les Provinces-Unies, indépendantes depuis peu, se révèlent rapidement une puissance maritime militaire et commerciale de premier plan, capable de remettre en cause la prééminence anglaise. Parallèlement, dans les années 1660 se développe la flotte française, bientôt capable de rivaliser avec les plus importantes d’Europe.

Le travail entrepris dans cet ouvrage consiste à analyser la politique diplomatique et militaire de Louis XIV à travers le regard des deux grandes puissances du nord de l’Europe. L’auteur désire dépasser l’analyse habituelle de la guerre et de la diplomatie en prenant en compte l’ensemble de leurs conséquences, y compris sur le plan intérieur. Qu’elles soient belliqueuses ou harmonieuses, avoir des relations avec d’autres États amènent systématiquement à un retour sur soi et à une prise en compte d’une réalité différente de la sienne propre. L’auteur analyse ce jeu à trois à travers un plan chronologique extrêmement clair, chacune des parties insistant plus ou moins sur chacun des trois acteurs en fonction du contexte.

Ces trois pays représentent chacun un type de gouvernement. Les Provinces-Unies sont une république, mais au sein de laquelle le stathouder Guillaume d’Orange prend une importance grandissante. Le gouvernement de l’Angleterre repose sur un équilibre entre le roi et le Parlement. La France est, elle, au faîte de sa puissance dans les années 1660. Les trois entités ne cessent alors de s’opposer et de reconfigurer leurs alliances au gré des possibilités diplomatiques et intérieures. Car le grand projet de Charles-Edouard Levillain est précisément de montrer que la politique extérieure est indissociable de la vie politique interne. Politique reposant sur l’équilibre local des forces (roi/parlement en Angleterre ; stathouder/états généraux aux Provinces-Unies) mais également sur une culture propre incluant les représentations que l’on se fait de l’ennemi. Au cours de la période tout entière, Louis XIV fait peur car il est considéré comme aspirant à la monarchie universelle. La diplomatie ne se réduit pas à des choix géopolitiques mais y jouent également un rôle les représentations et les idées. L’auteur montre que les questions religieuses, politiques et culturelles sont inextricablement liées : il est évident pour un Anglais de l’époque qu’un royaume catholique sera tyrannique et le duc d’York, frère du roi Charles II, fait les frais de n’être pas anglican. Francophobie et haine du catholicisme vont de pair, on lie désir de monarchie universelle et croisade anti-protestante et la révocation de l’édit de Nantes ne fait finalement que confirmer ce que l’on pensait déjà en terre huguenote : les guerres de Louis XIV sont des guerres de religion.



En retour, les résultats de la politique étrangère menée possèdent des conséquences sur la vie intérieure des pays : alors que Charles II avait déclaré la Seconde Guerre anglo-hollandaise avec l’assentiment plein et total du Parlement, ce n’est absolument pas le cas de la Troisième et, quand il finit par le convoquer en 1673, il est déjà trop tard ; par sa défaite militaire, le roi a perdu sa dernière chance de retrouver l’autonomie financière, l’opposition est renforcée. Les échanges jouent également de manière plus positives à la faveur de transferts culturels (organisation de la vie politique, système financier, vocabulaire, etc.) : modèles et contre-modèles sont souvent les mêmes et se répondent.

Alors que la France avait approfondi grâce à la guerre de Trente Ans un modèle de souveraineté plus ancien tirant vers le pouvoir exclusif du roi, c’est au cours de ces années 1660-1690 que les Provinces-Unies – une des rares républiques d’Europe – se dirigent vers un pouvoir plus personnel, confié à l’homme exceptionnel qu’est Guillaume d’Orange, qui a su s’imposer comme le champion de la cause huguenote et la seule personne capable de tenir tête à Louis XIV. À l’inverse, Charles II, que l’on soupçonne de sympathies catholiques et d’admiration pour le Roi-Soleil, y perd de manière quasi-définitive la possibilité de partager le pouvoir avec le Parlement.

L’auteur tire des conclusions éclairantes et originales grâce à un travail documentaire de tout premier ordre. La grande réussite de cet ouvrage repose dans l’usage de sources diversifiées, nombreuses, polyglottes et souvent peu connues. Parlant à la fois l’anglais et le néerlandais, l’auteur a pu exploiter un grand nombre de sources conservées dans les trois pays et ailleurs.
Il a pu dépouiller les archives de plusieurs parlementaires anglais conservés à l’université de Yale, les papiers diplomatiques anglais, ceux de Guillaume III aux archives nationales néerlandaises, etc.  
Il n’en oublie pas pour autant les imprimés d’époque, propres à révéler l’état d’esprit d’un pays et pamphlets jouant un rôle dans la guerre menée pour gagner les esprits, qui double toute guerre réelle. L’auteur en tire des renseignements inédits qui l’aident à renouveler l’analyse de la période et à insérer ses réflexions dans un paysage historiographique qu’il connaît parfaitement.
Les annexes sont elles aussi soignées avec un glossaire, de courtes biographies de chaque personnage pour éviter de s’y perdre, une chronologie, des cartes et des arbres généalogiques. Tout ce qu’il faut pour que le lecteur puisse suivre la démonstration sans se noyer dans la masse des données.

Au cours de ces quelques 400 pages, le lecteur parcourra une période riche en événements militaires, en actions diplomatiques (conférences de Breda, traité de Nimègues, etc.), en actions spectaculaires (assassinat des frères De Witt…). Mais ce n’est pas tant la marche des événements qui intéresse Charles-Édouard Levillain que leurs incidences sur des modèles de souveraineté qui se renouvellent au gré des contingences de la guerre et des influences extérieures. Une approche féconde menée sur trente ans et à grande échelle, qui appellera sans doute des travaux plus précis sur de nombreux épisodes de cette période charnière de la pensée politique européenne