Parce qu’elle est toujours voulue par Assur, le dieu national assyrien, toute guerre est en un sens une guerre sainte, comme le montre Frederick Mario Fales dans des conférences claires qui forment un manuel, bref et intéressant, d’initiation à l’assyriologie  permettant de mieux comprendre certains passages de la Bible.

Dans ce texte qui allie clarté et précision, l’auteur, spécialiste des civilisations du Proche-Orient ancien, propose une mise au point sur l’état actuel des recherches concernant l’Assyrie, en prenant comme fil conducteur de son exposé la guerre – et la religion qui lui est indissociable dans cet empire. Pourquoi prendre la guerre comme thème ? Parce que, d’après l’auteur, l’image que l’on se fait aujourd’hui de l’Assyrie est celle d’une civilisation belliqueuse, cruelle et violente.

Or cette image est bien loin de correspondre à celle que l’on peut reconstituer grâce aux considérables découvertes archéologiques et aux travaux contemporains d’épigraphie et de philologie. Après un bref état des lieux sur l’avancée des recherches et sur les matériaux qui sont à la disposition des chercheurs, l’auteur revient sur les principales étapes de l’histoire de l’étude de l’Assyrie et surtout sur les raisons pour lesquelles on lui a associé une image de violence et de cruauté sans mesure. Il veut réfuter le jugement essentialiste ou réifiant que l’Europe lui porte, en montrant comment la civilisation assyrienne fut la seule sur laquelle furent projetées au début du XXème siècle - après une période d’enthousiasme européen général pour l’Assyrie dans la seconde moitié du XIXème siècle suite à de prometteuses découvertes - les images négatives que se faisait l’Europe sur l’Orient. Si la publication de certaines inscriptions découvertes ne pouvait plus laisser ignorer l’importance de la guerre pour cette civilisation, elle ne rend cependant pas compte, à elle seule, de l’image monstrueuse qu’on se fit de l’Assyrie : d’une part les historiens plaquèrent sur elle tout ce qui leur semblait négatif dans le despotisme antique (en particulier l’esclavage en masse, la cruauté sadique) et en firent le précurseur de l’Empire Ottoman, d’autre part on rapprocha la déportation massive des Arméniens par les Turcs de celles qui étaient pratiquées dans l’Empire assyrien (le même territoire, et semblait-il, la même violence).

Et c’est pour s’inscrire contre cette représentation caricaturale de l’Assyrie que l’auteur s’attache à étudier le rôle de la guerre dans cette civilisation. Dans les représentations que les dirigeants assyriens se faisaient de leur rôle, comme dans les documents officiels et religieux, la guerre joue un rôle capital. Mais l’auteur montre que si la guerre était certes une pratique capitale pour l’empire assyrien, elle était loin d’être une fin en soi : elle était une possibilité parmi plusieurs (comme des traités d’alliance ou des traités de vassalité) pour régler ses relations avec les royaumes voisins, et elle n’était finalement qu’une modalité de ce que l’auteur appelle la "Pax Assyriaca", qui "recouvre des réalités allant d’un simple contrôle de sécurité et du maintien de l’ordre public au partenariat économique et commercial, et, enfin, à une diplomatie élaborée conduisant à de vrais traités entre Etats"   .

Ce thème de la guerre est aussi la meilleure clé pour comprendre le rôle de la religion dans la civilisation assyrienne (et, avec elle, dans une grande partie de l’Orient ancien).En effet, la guerre en Assyrie est toujours pensée comme une guerre sainte, c’est-à-dire dans le contexte assyrien, une guerre décidée par Assur, et à ce titre une guerre juste. C’est Assur, le grand dieu national des Assyriens, qui, par l’intermédiaire du roi d’Assyrie qui a un rôle de "vicaire"   , soutient sans faillir les expéditions militaires. C’est Assur qui donne au roi l’ordre de partir en guerre et le dieu reste présent sur le champ de bataille pour donner à son peuple la victoire. Dès lors toute guerre est juste et légitime parce qu’elle est sainte. 

Cependant cette guerre sainte est, à bien des égards, différente de notre représentation actuelle de cette notion, car pour les Assyriens, la guerre sainte n’inclut pas de foi intériorisée rendant capable du sacrifice de sa vie. Elle est bien plutôt l’attitude "du peuple, comme le culte d’Assur est un culte de la collectivité nationale"   . La "guerre sainte" en Assyrie est finalement une "manifestation religieuse de l’adhésion à la politique impérialiste du peuple assyrien personnifié par son monarque terrestre"   . Il faut remarquer qu’en dehors de cette manifestation "civique" d’attachement à Assur, les assyriens pouvaient librement pratiquer les autres cultes, adopter des croyances familiales, car les autres dieux, nationaux ou étrangers étaient acceptés par le pouvoir politique, tant qu’ils restaient soumis et considérés comme inférieurs à Assur. Chaque dieu pouvait, même après avoir résisté à Assur, être intégré dans le panthéon assyrien (on trouve ainsi dans cette "cour céleste" des divinités mèdes, égyptiennes, phéniciennes, on y rencontre Yahvé, Baal et beaucoup d’autres). Ainsi on est face à un pouvoir politique absolu, qui s’appuie sur le culte du dieu national et sur des guerres nécessairement saintes ou du moins justes, sans que pour autant ce pouvoir ne pratique la conversion forcée ; il accepte même un "panthéon polythéiste dominé par Assur" (p.19). La "théologie" assyrienne est aussi un instrument politique : elle évolue en fonction des circonstances politiques ; ainsi, si Assur semble au départ ne pas avoir beaucoup de particularités (il n’a ni ascendance ni épouse divine), les savants et les prêtres d’époques plus tardives (vers le VIIème siècle av. J.-C.) en firent le fils des dieux Lahmu et Lahamu pour remplacer le dieu babylonien Marduk dans le récit de la création (à une époque où s’exacerbaient fortement les tensions entre assyriens et babyloniens voisins). La religion et la politique semblent indissociablement mêlées dans la civilisation assyrienne. Bien connaître ce système théologico-politique et la civilisation qui en découle permet de mieux comprendre certains textes bibliques, à la fois ceux qui évoquent les relations entre Israël et l’Assyrie (on pense naturellement à la campagne de Sennacherib contre la Judée), et ceux qui concernent les dieux des peuples voisins d’Israël - avec en réponse l’exigence du dieu d’Israël d’être le seul dieu aimé par son peuple - voire le seul dieu.

Cette articulation du système politique avec la religion nationale et la direction des guerres forme le nœud central du livre, nœud à partir duquel l’auteur expose de façon plus détaillée certains points de la pratique de la guerre en Assyrie en illustrant précisément son propos à l’aide de documents découverts dans les fouilles archéologiques. L’auteur insiste ainsi sur la composition de l’armée, la technologie militaire et son évolution, les campagnes et les stratégies mises en œuvre.

En conclusion, le texte offre une perspective historique passionnante sur tout un pan relativement peu connu de l’Orient ancien et de la religion dans laquelle vit ce peuple. Il permet de réviser un cliché sans pertinence sur la civilisation assyrienne. Et cette prise de connaissance de la vie et de l’organisation de la société assyrienne, intéressante par elle-même, est également un outil pertinent pour mieux approcher le monde de la Bible