Un essai qui tente de saisir philosophiquement la question du rapport à la musique.
 

Le sous-titre donne le point de départ de Thomas Dommange : les annotations en langue allemande dans les partitions de Schumann sont bien plus que le signe d’un engagement nationaliste de la part du compositeur, plus aussi que de simples indications destinées aux interprètes. Ces annotations ont quelque chose à nous dire sur l’essence de la musique. Réfléchissant dès lors à la relation entre notation musicale et notation verbale, l’auteur conclut à une extériorité radicale de ces indications "non notationnelles", pour reprendre l’expression de Nelson Goodman, par rapport au langage musical. Si Schumann fait entrer la poésie, ou le langage poétique, dans sa musique, c’est qu’il veut la constituer en mystère, qu’il cherche à inscrire l’énigme au cœur de la musique.


"Hanslick est mon adversaire"

Mais que peut-il y avoir à dire sur ce mystère ? Définie comme un absolu, la musique ne laisse aucun discours l’approcher, et Thomas Dommange montre comment les présupposés de la Musikwissenschaft telle qu’elle a été initiée par Hanslick s’invalident d’eux-mêmes. Quel rapport l’homme peut-il entretenir avec la musique, dès lors que le musicologue, par excès d’idéalisme, ne parvient pas à l’atteindre et que le sociologue, pris dans son réalisme naïf, manque son objet ? Pour pouvoir "parler musique", il faut "maintenir l’idée d’une musique absolue dont l’essence ne réside pas dans le langage musical mais dans le langage poétique que nous tissons au bord de cet absolu, depuis la rive du monde"   .


L’analyse de la notation en mots dans l’œuvre de Schumann sert alors d’analogie : ce que les mots inscrits sur la partition sont au langage musical, l’homme l’est à la musique, deux mondes radicalement hétérogènes mais qui n’ont, l’un sans l’autre, aucune existence. Cet homme désormais "musical", véritable sujet de l’ouvrage, se dessine au fil des pages, proche tour à tour du danseur, du jeune homme branché sur son Ipod, de la figure de Schumann, des cas clinique étudiés par Oliver Sacks, sans omettre, à la fin, la figure de Socrate. L’homme musical est, en définitive, celui qui se meut de façon adéquate et qui, dans ce "bien mouvoir" se crée lui-même tout en créant son milieu, avec lequel la musique finit par se confondre. Il est cet homme constitué d’affects sans que ceux-ci soient en prise avec le monde réel de la causalité et de la nécessité. Il est enfin cet ensemble de mouvements auquel les annotations en mots semblent s’adresser, à la fois inscrit au cœur de la partition, et tout à fait extérieur au langage musical qui la constitue. 

La définition de cet homme nouveau permet-t-elle pour autant de mieux entendre la musique, et plus particulièrement celle de Schumann ? De musique en tant que telle, il est en effet assez peu question dans cet essai. Mais là n’est pas l’objet de Thomas Dommange qui, dans la dernière partie de l’ouvrage, longue "postface", propose de voir dans "l’homme musical" ce qui est positivement appelé une "impuissance d’agir" et qui pourrait devenir une des modalités de notre être-éthique au sens élargi. Il s’agit alors de définir une action qui, à l’image de ce qu’est l’agir-en-musique, soit séparée du monde compris comme chaîne de causes et d’effets, séparation que permet notamment l’Humor schumannien transposé dans l’humour socratique. La musique devient ici une affaire de morale