"C'est le moment de donner une impulsion pour parvenir à des améliorations substantielles dans l'intégration sociale et économique de la population Rom".

Voici une belle preuve du volontarisme qui imprègne la "Déclaration de Cordoue" adoptée au second Sommet européen sur les Roms qui s’est tenu le 9 avril dernier en Espagne. L’écho en a toutefois été faible dans les média ! Ce silence serait-il dû à l’absence d’un grand nombre de ministres européens intéressés par la question ? Pourtant, la présidence actuelle de l’Union Européenne s’est engagée : l’accès des Roms aux fonds structurels doit être plus efficace. Objectif ? Améliorer les conditions de vie de cette minorité gravement discriminée. Le manque d’intérêt pour la "question Rom", tant de la part des politiques que des médias, est révélateur.

La première des minorités européennes

Qui sont les Roms ? Généralement d’origine roumaine, les Roms constituent une minorité transnationale à distinguer des Tsiganes. Roms et Tsiganes partagent pourtant des traits culturels communs. Le flou qui entoure le terme de Roms est dû à l’absence de définition juridique établie en France, comme au sein de l’Union. Pour les instances européennes, l’utilisation du terme de Roms vise aussi les Tsiganes. Les 27 ont pour chacun d’entre eux un usage variable de la terminologie. La pratique administrative française utilise quant à elle l’acception de "gens du voyages", qui comprend aussi bien les Roms, les Tsiganes, les Circassiens que les Manouches. Si l’acception Tsigane est à l’œuvre depuis longtemps, celle de Rom présente aujourd’hui une pertinence politique forte : "L’identité Rom se rapporte davantage à une identité politique qu’à une identité folklorico-culturelle"   ). Cela explique que ce terme soit couramment relayé dans les média français.

La définition est incomplète. Une fois les difficultés de vocabulaires dépassées, il est intéressant de donner un contenu à ce terme. La minorité Rom dessine une mosaïque de groupes différents partageant tous une culture commune marquée par l’importance du groupe. Les Roms sont inscrits dans le dynamisme et l’évolution : ce sont des populations traditionnellement nomades et adaptatives. Jean-Pierre Liégeois   parle de "mobilité fonctionnelle"   . Leurs activités économiques sont très diversifiées et marquées par la nécessité de laisser du temps libre aux affaires du groupe. Aussi, une langue leur est commune tout en étant nourrie de nombreux dialectes. La description d’une culture unique ne serait pas pertinente : "Derrière l’infinie variété, derrière la diversité des styles de vie, de richesse, de sources de revenus, de types d’habitat, qui représentent comme l’écorce ou l’aubier de la culture, le cœur, cela peut paraître paradoxal, n’est pas rigide mais souple : c’est un tissu fait de relations qui permet une organisation flexible […]"   .

Les Roms constituent ainsi une minorité de 8 à 12 millions d’individus, aujourd’hui présents dans la plupart des Etats membres de l’Union. S’ils étaient originellement des nomades se déplaçant depuis l’Asie jusque l’Europe, les Roms sont aujourd’hui essentiellement sédentarisés. Ils connurent des vagues successives de diaspora qui prirent fin dans le courant du XXème siècle. Mais ils continuent encore aujourd’hui d’être les victimes de persécutions et de rejet.

Une minorité souffrant de multiples discriminations

L’actuel secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes – Pierre Lelouche – a dénoncé en Espagne les "conditions abominables" dans lesquelles les Roms vivent. Et pourtant, ce constat est loin d’être une nouveauté ! Une riche littérature tant scientifique qu’institutionnelle a établi - à de nombreuses reprises déjà - le bilan d’une situation sociale et sanitaire inquiétante   .

La liste est longue en effet des inégalités dont les Roms sont les victimes. Depuis l’image stéréotypée répandue dans les mentalités - à titre d’exemple citons que 77 % des personnes interrogées dans les 27 Etats membres de l’UE considèrent qu’appartenir à la minorité Rom est un inconvénient dans notre société   , le pas est ensuite vite franchi vers la discrimination - y compris de la part d’autorités étatiques.

"A partir des années 1990, les Roms se sont trouvés pris dans la tourmente des changements qui ont transformé le paysage géopolitique de l’Europe. Pour une période qui allait se révéler durable, débordant largement sur le XXIème siècle, ils sont devenus des boucs émissaires, accusés de tous les maux, allant des problèmes économiques aux difficultés d’intégration à l’Union européenne, rendus responsables d’une situation dont ils étaient les premières victimes"   . Comme d’autres groupes ethniques, les Roms font face à la rigidité des systèmes politiques, sociaux et économiques, les empêchant de s'intégrer ou de faire valoir leurs droits.

Et cela concerne de nombreux aspects de la vie courante : accès difficile à la santé ou à l’éducation, mesures d’accueil inexistantes, liberté de circulation limitée, discrimination à l’embauche, etc. Surtout, nombre d’Etats de l’Union, parties à des accords et organisations internationales engagés dans le respect des droits de l’Homme, respectent peu ou prou les normes envers lesquelles ils se sont engagés. Ils "sont une minorité révélatrice des fonctionnements et dysfonctionnements sociopolitiques"   . Les Roms sont pourtant des citoyens européens.

Une citoyenneté européenne au rabais ou des "sans-papiers européens" ?

Répartis dans de nombreux pays de l’UE, les Roms ont, en règle générale, la nationalité d’un Etat membre (Roumanie, Bulgarie, Espagne, République slovaque etc.). Ceci leur permet d’accéder à la citoyenneté européenne : elle est en effet garantie à tout citoyen d’un pays membre de l’Union, sur la base des dispositions issues des traités (depuis le Traité de Maastricht de 1992).

La citoyenneté européenne est une qualité juridique qui accorde à son détenteur certains droits ; y sont attachés aussi des devoirs. Le Traité des Communautés Européennes stipule ainsi en son article 17 : "Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas". Il est instructif de citer dans le texte le site ec.europa.eu : y sont présentés succinctement les droits attachés à cette citoyenneté. "Le traité établissant la citoyenneté européenne prévoit une série de droits spécifiques, à savoir : a. le droit de circuler et séjourner librement dans l’UE (article 18 du TIC) […] ; b. le droit de voter et de se porter candidat aux élections municipales et aux élections du Parlement européen, quel que soit l’État membre dans lequel le citoyen UE réside (article 19 du TIC) ; c. l’accès à la protection diplomatique et consulaire d’un autre État membre en dehors de l’UE (article 20 du TIC) dans le cas où son propre État membre n’y est pas représenté ; d. le droit d'adresser une pétition au Parlement européen et au Médiateur européen (article 21 du TIC) ; Cette liste ne doit pas être considérée comme exhaustive. Ces droits sont en outre l’expression du droit d’être considéré comme un citoyen national dans tout état membre de l’UE et par conséquent de ne pas être discriminé sur base de la nationalité (article 12 du TIC). Le principe de non-discrimination doit être considéré comme la pierre angulaire de la construction".

Les Roms ont donc la citoyenneté européenne et bénéficient à ce titre de garanties, de jure, au même titre que tout autre citoyen européen. La réalité est pour autant toute différente : force est de constater que, de facto, les Roms ne bénéficient pas d’un statut juridique équivalent à celui de n’importe quel citoyen européen.

Que fait alors l’Europe ?

‘‘Nous rejetons toute stigmatisation dans l’Union européenne. Chaque homme, chaque femme et chaque enfant doit pouvoir vivre sa vie libre de toute discrimination et de toute persécution”, a déclaré le Président de la Commission européenne lors de ce second Sommet européen. Pourtant la situation juridique des Roms n’est pas garantie au même titre que pour un citoyen européen lambda : ils n’ont pas les moyens de défendre leurs droits et sont même parfois victimes de politiques discriminatoires. Le constat répété d’une telle situation oblige à se demander ce que fait l’Union Européenne.

L’Union Européenne s’est saisie progressivement de la "question Rom" et ne reste pas apathique face aux iniquités juridiques. Il apparaît d’abord indéniablement que les institutions européennes prennent conscience de ce problème. Etudes, rapports et autres documents établis par des groupes d’experts et des commissions soulignent, expliquent et alertent sur de telles difficultés. Cette prise de conscience, progressive au travers de l’histoire des institutions européennes (le Parlement ayant joué un rôle moteur de grande importance), s’est accompagnée par la suite de mesures pour y remédier. Tournée essentiellement vers la sensibilisation et la recherche, l’action de l’Union semble toutefois insuffisante pour remédier à la situation juridique affaiblie des Roms.

Le fonctionnement des institutions européennes se heurte ainsi à de multiples difficultés. L’action de l’Union serait mise à mal par différents facteurs. Pratiques d’abord : il apparaît délicat de faire appliquer au sein des 27 pays membres les mesures européennes ; politiques aussi : les Roms ne bénéficient pas d’une représentation efficace auprès des institutions européennes ; ou même encore juridiques : les moyens juridiques que les institutions européennes mettent en œuvre sont insuffisants pour faire face au problème.

Par ailleurs, malgré la création de bureaux au sein d’organisations internationales ou d’associations issues de la société civile, les Roms ne peuvent s’adresser à une instance qui prenne efficacement en considération la particularité de leurs situations. Expatriés, la défense de leurs droits en est rendue d’autant plus difficile auprès d’autorités étrangères trop souvent réfractaires à toute aide voire même à l’application des textes de loi sur l’accueil des étrangers par exemple.

Un nouveau Sommet comme solution ?

"Nous ne pouvons continuer à nous complaire dans des déclarations de principe alors que nous avons un problème massif depuis l'élargissement de l'Europe". Ces mots de Pierre Lelouche, prononcés lors d’un entretien à l’issue du Sommet de Cordoue, appellent les Etats membres de l’Union à réagir. Au lendemain du rendez-vous européen, il était possible de lire dans la presse que "le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes, […], avait critiqué […] "l'absence de volonté politique", déplorant avoir assisté à "beaucoup d'incantations et pas beaucoup de décisions"". A ce titre la page web de la Commission européenne est assez illustrative. 

Le second Sommet européen sur les Roms s’inscrit bel et bien dans la poursuite des efforts entrepris le 16 septembre 2008 (premier rendez-vous qui s’est tenu à Bruxelles). Les réactions d’alors étaient optimistes et la presse n’hésita pas à saluer les institutions européennes qui, enfin, semblaient saisir à bras-le-corps un des enjeux sociaux européens les plus brûlants du XXIème siècle. Force est de constater toutefois que sommet après sommet, un rapport s’ajoutant à un autre, peu de mesures contraignantes ont été prises. Pire encore, la vice-présidente de la Commission européenne, Viviane Reding, a dû admettre "qu’en dépit de nos efforts, la situation des Roms semble s’être détériorée". Quoi d’étonnant alors à la lecture du site du Monde le même jour : "Le sommet européen sur les Roms s'achève sur de timides engagements". D’autres sites parlent de "débats d’experts". Bref, la situation reste la même…

Si la réunion européenne n’a pas eu l’écho que nous aurions espéré, résonnent encore 20 ans après les mots de Rajko Djuric, alors Président de l’Union romani internationale : "L’Union romani, organisation du Congrès mondial des Roms (Tsiganes), vous informe de son souci et de sa préoccupation au sujet de la situation de plus en plus difficile, dramatique, sinon tragique, des Roms et des Sinté dans de nombreux pays du monde, particulièrement dans les Etats d’Europe de l’Est […]. Près de quinze millions de Roms et Sinté sont maintenant l’objet de la plus ouverte discrimination raciste. Ce peuple ne bénéficie de la protection de ses libertés nationales et de ses droits collectifs dans aucun Etat, ce qui est en flagrante contradiction avec les actes et les documents internationaux. […]. Tout nouvel ajournement de la défense et de la protection des Roms et des Sinté entraînera des conséquences graves et sérieuses pour les hommes, les femmes et les enfants de notre peuple".

La situation juridique des Roms est donc un des enjeux majeurs auxquels l’Union Européenne fait face en ce début de siècle : redonner du contenu à leur citoyenneté européenne par une garantie réelle de leurs droits et par la mise en œuvre de politiques visant à améliorer leurs conditions de vie et d’intégration apparaît essentiel. Tout prouve que les Européens sont conscients de cette situation, mais des mesures plus effectives sont absolument nécessaires.

L’Union peine à s’engager sur le terrain des politiques sociales contraignantes. Surtout, selon la ministre espagnole de l’Égalité, Bibiana Aído   , les Roms ont été considérés par les autorités européennes comme "objet et non pas comme sujet" des politiques sociales. Ces mots sont éloquents. Alors à quand une affirmative action européenne ?