Dans le cadre du partenariat de nonfiction.fr avec le site cartessurtable.eu, retrouvez une fois par semaine sur nonfiction.fr un article qui revient sur un sujet au coeur de l'actualité du débat d'idées. Cette semaine, voici une contribution sur la propriété intellectuelle.

 

Droits de propriété intellectuelle (définition) : sujet brûlant pour la gauche. Source d’incompréhension entre artistes et parti socialiste au moment des débats sur la loi Hadopi. Appellent à l’âge du numérique l’élaboration d’un système inédit permettant de conjuguer juste rémunération des artistes et accès du plus grand nombre à la culture. Et font l’objet d’une abondante législation au niveau européen. 

En résumé : propriété intellectuelle, thème délicat – et épineux – s’il en est. Mais développons. 

Posons tout d’abord le cadre européen, puisqu’il s’impose à la législation nationale, et puisque le Parlement européen s’est invité dans le débat français au moment des discussions de la loi Hadopi. 

Posons ce cadre européen dans sa double dimension : la question de la protection des droits et celle de l’accès à internet. 

Le Parlement européen a adopté fin 2009 et après deux années de discussion le "paquet télécom"   . "Paquet télécom" qui a failli ne pas avoir le jour du fait de l’amendement 138 du rapport Trautmann, adopté par le Parlement mais rejeté par la Conseil. Article 138 qui posait qu’"aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire (…) sauf en cas de menace à l’ordre public". En jeu, rien moins que les droits fondamentaux relatifs à l’accès à Internet. Le Parlement et le Conseil ont trouvé un compromis dans l’article 1, alinéa 3, point a) de la directive sur les droits des citoyens, selon lequel toute mesure nationale susceptible de limiter l'accès des utilisateurs finaux aux services et applications ou leur utilisation, via les réseaux de communications électroniques, doit être "appropriée, proportionnée et nécessaire dans le cadre d'une société démocratique", sa mise en œuvre subordonnée à "des garanties procédurales adéquates conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et aux principes généraux du droit communautaire, y compris le droit à une protection juridictionnelle effective et à une procédure régulière" et une "procédure préalable, équitable et impartiale" garantie.

Jargon européen ? Pointillisme technique ? Peut-être, mais pas seulement. Car c’est à l’aune de cette exigence d’une "procédure préalable, équitable et impartiale" que sera jugée la conformité de la loi Hadopi 2 et la procédure de sanction simplifiée – l’ordonnance pénale : le juge se prononce sans débat contradictoire, sur examen du dossier, et n'est pas obligé de motiver sa décision – qu’elle met en place   .

La Commission européenne, soutenue par le Conseil, s’est d’autre part donnée pour mission de renforcer l’application des droits de propriété intellectuelle dans l’Union européenne, afin de faire face à "l’augmentation des phénomènes de piraterie et de contrefaçons, favorisée notamment par internet" (communication de la Commission européenne du 11 septembre 2009) et de préserver ainsi inventeurs, créateurs et artistes. La directive 2004/48/CE régissant actuellement les droits de propriété intellectuelle au niveau européen ne permet en effet plus totalement de faire face aux  données nouvelles d’un environnement numérique en évolution rapide et aux innovations qu’il porte. Le Conseil, dans sa résolution du 1er mars 2010 relative au respect des droits de propriété intellectuelle sur le marché intérieur, a par conséquent souligné la nécessité de penser un système européen de protection de la propriété intellectuelle nouveau alors que "dans le domaine du droit d’auteur et des droits voisins, le piratage des biens culturels et créatifs dans un environnement numérique en évolution rapide porte préjudice à la commercialisation légale des supports, entrave l’apparition de modèles économiques compétitifs d’offre légale de contenus culturels et créatifs, remet en cause le principe d’une rémunération adéquate des détenteurs de droits d’auteur et freine le dynamisme de l’industrie culturelle européenne qui donne accès à une offre culturelle légale, diversifiée et de grande qualité". On en tremblerait presque…

 

Quoiqu’il en soit, les négociations au niveau européen pour rénover le cadre réglementaire sont actuellement en cours, et en France, le débat, parfois vif et passionné, suit également son cours dans le lit d’une rivière qui a pu se montrer très agitée. 

La nouvelle autorité administrative Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la diffusion des droits sur internet), dont le rôle a été défini par les lois Hadopi 1 du 12 juin 2009 et Hadopi 2 du 28 octobre 2009, est chargée d’envoyer des avertissements aux internautes téléchargeant illégalement. 

La proposition de licence globale comme mode de rémunération alternatif des artistes afin de s’adapter à une économie dans laquelle la généralisation du téléchargement met chaque jour un peu plus en danger l’avenir de l’industrie du disque –  et non d’ailleurs du disque en tant que tel, qui restera sans doute encore longtemps un support, certes non plus plébiscité, mais recherché –, semble avoir fait long feu. Apparue en 2005 lors de l’examen à l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif aux droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI pour les intimes), à nouveau avancée en 2009 par les députés socialistes sous la forme d’une "contribution créative" lors des débats autour de la loi Hadopi, elle n’a non seulement pas su trouver de majorité, mais elle a de plus été à la source d’une brouille importante entre le Parti socialiste et plusieurs artistes français. Reposant sur un principe simple – la légalisation des échanges non commerciaux de contenus audiovisuels, hors logiciels, par Internet, en contrepartie d'une rétribution forfaitaire redistribuée aux ayant-droits, proportionnellement à la densité de téléchargements que leurs œuvres ont suscité –, cette proposition soulève de nombreuses questions : outre les difficultés d’application que sa mise en place entraînerait (rétribution des ayant-droits à partir de millions d’échanges mensuels, traque d’éventuels robots de téléchargement développés par les majors afin d’augmenter artificiellement leur part) et les possibles effets pervers dans les choix des producteurs qu’elle pourrait entraîner, rien ne garantit que les sommes versées dans ce cadre permettent de couvrir les besoins financiers de l’ensemble des industries audiovisuelles concernées. Autrement dit, il s’agit d’un débat plutôt chaud et justement les esprits à gauche, pas tant d’ailleurs par défaut d’accord sur le fond que par mésentente, n’ont pas manqué de s’échauffer.

Face au refus du PS de voter la loi Hadopi, Pierre Arditi, Juliette Gréco, Maxime Le Forestier et Michel Piccoli se sont ainsi fendus d’une lettre à la première secrétaire du Parti socialiste, l’accusant de ne plus être de gauche et de "tourner le dos de manière fracassante à [leur] histoire commune". Leur point de vue était simple : la loi Hadopi 1 permettant d’imposer des règles aux opérateurs de télécommunications afin "qu’ils cessent de piller la création", les socialistes se devaient de soutenir ces nouvelles règles ou d’admettre qu’ils faisaient le choix d’abandonner les créateurs.

La réalité, pourtant, est loin d’être si simple. Le débat ne se pose en effet pas de manière binaire : défense des créateurs-richesse culturelle de la France ou défense de consommateurs-pilleurs. Car en refusant de voter Hadopi, comme l’a rappelé Martine Aubry dans sa réponse à cette lettre ouverte, il ne s’agissait pas pour le PS d’abandonner les artistes, mais au contraire de souligner la nécessité de repenser totalement et de manière inédite le droit d’auteur à l’époque d’Internet ainsi que le financement d’une création indépendante, et non de se résigner à un texte de loi faisant "peser sur les internautes une présomption de culpabilité" sans apporter "un euro de plus à la création".

Car s’il y a un point sur lequel la gauche devrait facilement se mettre d’accord s’agissant des droits de propriété intellectuelle dans un environnement numérique en plein essor, c’est bien la volonté de soutenir les artistes à une époque où les pratiques des publics changent dans un contexte global de baisse du pouvoir d’achat. Et le public lui-même n’a d’ailleurs pas de véritable intérêt à s’opposer à cette volonté, lui dont la pratique du téléchargement traduit justement l’intérêt pour cette création.

Car s’il y a un point sur lesquels les artistes et la gauche doivent s’entendre – et il s’agit là d’une obligation morale et non d’une simple nécessité –, c’est sur la volonté de parvenir à concilier accès du plus grand nombre à la culture et invention d’un mode de rémunération adapté aux nouvelles réalités d’Internet.

Car s’il y a bien un point que la question de la propriété intellectuelle et de sa définition dans un environnement numérique permet de souligner, c’est bien que la première valeur de la gauche pour se réapproprier de manière constructive tous les grands débats de société doit être le dialogue – le dialogue constant –, et non l’invective par lettres ouvertes interposées. 

Car la bataille idéologique a besoin de confrontations, et non de divisions

 

A lire sur nonfiction.fr :

- 'Le droit d'auteur est-il une notion périmée ?', par Guillaume de Lacoste Lareymondie.