Une mise en scène plus qu’une explication du projet de loi "Grand Paris".

Lancé à l’automne 2009, le projet de loi du Grand Paris semblait être destiné à la petite histoire, celle, vite oubliée, des rivalités électorales, en l’occurrence les rivalités pour la présidence du Conseil Régional d’Ile-de-France. Christian Blanc veut nous convaincre qu’il s’agit d’un projet qui appartient à la "Grande Histoire". Toutefois, son ouvrage contient peu d’informations nouvelles pour ceux qui suivent les débats actuels sur l’avenir de la métropole parisienne. S’il défend son point de vue, l’auteur ne s’aventure pas à répondre à ses détracteurs : dommage !
 
La première partie de l’ouvrage est une promenade historique, rapide, mais bien illustrée, à travers les grands projets qui ont marqué la capitale. Trois conditions semblent indispensables pour tout grand projet : un consensus sur les problèmes rencontrés, l’action d’un Grand Homme, et la mise en place d’une équipe administrative et technique efficace. Parfois, la critique des embarras de Paris ne suscite pas l’action des puissants. Le petit traité de Voltaire de 1749, Des Embellissements de Paris, fait partie de ces plaintes sans écho. Dans d’autres cas, un Grand Homme voit la nécessité d’agir. Ainsi, Bonaparte, dès le début du Consulat, annonce son intention de faire de Paris "non seulement la plus belle ville qui existât, mais encore la plus belle ville qui puisse exister"   . L’empereur impose le numérotage des maisons, la création de nouveaux cimetières, le creusement du canal de l’Ourcq, l’élargissement de quelques rues, notamment la rue de Rivoli, mais l’ensemble est modeste, faute d’une organisation efficace. Enfin, certains hommes illustres prennent en compte la nécessité d’agir, mais aussi de choisir un administrateur efficace et capable de fédérer les énergies des architectes, des ingénieurs et des financiers : tels sont Napoléon III avec Haussmann, puis De Gaulle avec Delouvrier. La deuxième partie cherche à nous convaincre que Nicolas Sarkozy et Christian Blanc forment un duo tout aussi efficace que ces illustres prédécesseurs.
 
Quels sont les enjeux actuels ? Le Grand Paris doit tenir compte de deux changements majeurs. La globalisation recompose la géographie des échanges et des lieux. "La seconde révolution qui bouleverse la donne a trait à la création de richesse. Nous avons pris l’habitude de raisonner en fonction de deux facteurs de production identifiés : le capital et le travail. Il faut revoir tous les schémas pour intégrer un nouveau facteur de production : le savoir". Après avoir présenté ces mutations, bien analysées par le champ de la recherche urbaine, Christian Blanc raconte le processus qui conduit à l’adoption prochaine d’un projet de loi sur le Grand Paris depuis la consultation de dix équipes d’architectes. Rappelons le but de ce projet de loi : permettre la réalisation d’une double boucle de métro, soit environ 130 kilomètres de lignes nouvelles. Ce nouveau métro est constitué de trois itinéraires. Le premier part de Roissy, dessert le nord de la métropole, passe par le Bourget, puis traverse Paris en diagonale, du 17ème au 13ème arrondissement, en empruntant la ligne 14, puis continue vers Villejuif et Orly. Le deuxième itinéraire nord-sud, passe par l’ouest. Après Saint-Denis, la ligne se poursuit vers la Défense, Versailles, Saclay et Massy avant d’atteindre aussi Orly. Le troisième itinéraire se dirige vers l’est à partir du Bourget, en traversant Clichy et Montfermeil, la cité Descartes à Champs-sur-Marne pour rejoindre Villejuif au sud. Pour réaliser ce métro, une société du Grand Paris, établissement public industriel et commercial, est créée. Il est prévu que les administrateurs représentant l’Etat y soient majoritaires. Autour des futures gares, des contrats de développement territorial entre l’Etat et les communes permettront de définir les objectifs de construction de logements, de bureaux, d’équipements, etc. Pour le plateau de Saclay, un établissement public ad hoc est créé : il sera chargé de conduire toutes les actions qui favorisent le développement des activités d’enseignement, de recherche, d’innovation et de valorisation industrielle. La dernière partie de l’ouvrage propose une promenade dans le Grand Paris, à travers les différents lieux majeurs de la métropole, desservis par le futur métro : la cité Descartes, le Plateau de Saclay, etc.
 
Au final, on regrette que le Ministre ne réponde pas aux critiques que son projet a suscitées tant sur la question des transports que sur la question institutionnelle. Certains critiquent le tracé de la double boucle, insuffisamment précis, trop éloigné de Paris pour permettre une réelle connexion avec le réseau existant. L’ouvrage ne compare pas le tracé proposé à d’autres solutions, notamment la création d’une rocade plus près de Paris, comme celle que l’Etat a imaginée dans le schéma directeur de 1994 avec le nom d’Orbitale, et que la Région a reprise sous le nom d’Arc Express. Il ne rappelle pas non plus les idées, évoquées par d’autres, d’une rocade ferroviaire conçue différemment, non pas ex nihilo, mais par une mise en réseau des fragments de rocade qui existent déjà. Alors que certains s’interrogent sur un projet qui semble ne pas reposer sur des études de trafic très fouillées, bref, sur un retour au doigt mouillé comme technique de planification, l’auteur répond par une citation de Woody Allen "il est difficile de faire des prévisions, surtout en ce qui concerne l’avenir"   . A ceux qui s’inquiètent d’un projet qui prend insuffisamment en compte la question du logement, il n’apporte pas non plus de réponse. En matière institutionnelle, on le sait, les projets de l’Etat se heurtent à ceux de  la Région, à travers le schéma directeur qu’elle a rédigé ou les décisions qu’elle a prises en tant qu’autorité organisatrice des transports. Nulle part ne sont évoquées dans l’ouvrage ces oppositions et ces difficultés. Enfin, alors que de nombreuses incertitudes pèsent sur la capacité de l’Etat à financer un tel projet de transport, l’auteur n’apporte pas les précisions attendues.
 
De manière surprenante, de la part d’un homme connu pour sa ténacité et son franc-parler, le ton de l’ouvrage paraît finalement peu combatif. L’auteur ne croit-il plus en son projet, dont la mise en œuvre concrète ne peut intervenir qu’après 2012 ? En tout cas, si la stratégie pour le Grand Paris est présentée – et peut donc être discutée -, la tactique reste très floue. Trop floue ?