Concepteur (entre autres) de la signalétique du métro new-yorkais, le graphiste milanais Bob Noorda a disparu voilà quelques mois. Un ouvrage d'entretien permet de mieux comprendre son travail et d'appréhender la scène créative de la capitale lombarde entre 1960 et 1980, avant l'ouragan post-moderniste. 

Bob Noorda (1927-2010) est un personnage singulier de l’histoire du design graphique moderne. D’origine hollandaise et formé à la Rietveld Academie d’Amsterdam, il arrive à Milan au tournant des années 1950 alors que la scène graphique lombarde a déjà conquis ses lettres de noblesses dans le monde, alors naissant, de la communication visuelle et ce, grâce notamment, à des graphistes rassemblés au sein du Studio Boggeri.

Moins "optique" que Franco Grignani (l’auteur du logo de Woolmark) et moins "joueur" que Bruno Munari, en un mot sans doute moins "italien", Noorda resta un outsider discret et sérieux dont l’histoire retiendra les systèmes de signalisation inventés pour les métros de Milan, New-York et Sao Paulo au Brésil.

Disparu voilà quelques mois dans une relative indifférence, Noorda répond, dans cet ouvrage, aux questions d’un graphiste italien, Francesco Dondina qui l’invite à évoquer, un peu dans le désordre, les étapes de sa vie professionnelles. Le tutoiement de rigueur entre confrères, une biographie lacunaire et des illustrations vraisemblablement trouvées sur internet sont sans doute les points faibles de cet ouvrage qui reste le seul de cette importance publié sur Noorda. La richesse des informations, la profondeur de la réflexion que Noorda y développe et les anecdotes qui distillent la saveur du Milan des années 1960 compensent largement les défauts précédemment évoqués et qui doivent certainement à la précipitation avec laquelle l’ouvrage a été conçu, trois mois, de l’aveu de l’auteur, dans sa préface.

Néanmoins, ces défauts peuvent également être excusés par le peu d’attention que manifeste l’interviewé pour les dates et l’enchaînement des faits. Le lecteur en est d’ailleurs prévenu dès la première question : Noorda se projette toujours dans l’avenir et ne garde rien de ses projets passés : pas d’archives ni de dates exactes, mais quelques souvenirs, compilés ici dans ce précieux témoignage.

 

Un Milanais de Hollande

Tout juste sorti de l’école et une fois achevé son service militaire, il est attiré par Milan, ville de la Triennale alors toute-puissante. Il y arrive par le train au milieu des années 1950, ne parlant pas un mot d’italien.
Quelques mois plus tard, Noorda rejoint le studio graphique de Pirelli, qui, à l’instar d’autres marques italiennes (Olivetti, Barilla…) employaient pour leur gérer leur communication peintres, architectes, et graphistes. En 1961, alors que la Pirelli a tout juste emménagé dans l’immeuble commandé à Gio Ponti, Noorda en deviendra directeur artistique sans en être pour autant salarié : indépendant, Noorda est fier d’avoir, tout au long de sa carrière conservé sa liberté par rapport à ses employeurs. Il y signera des campagnes de publicité parmi les plus marquantes de la période mariant, les contraintes industrielles au langage moderne de la publicité d’après-guerre.

 

Milan - New-York - Sao Paulo : expériences métropolitaines.

Un chapitre entier est alors consacré aux signalétiques conçues pour le métro milanais, commande qu’il reçut en 1962. Dans ces propos, Noorda partage cette réussite avec Franco Albini (1905- 1977), figure tutélaire de l’architecture rationaliste italienne qui assura la conception des stations de la ligne 1 du métro milanais. Associé étroitement à ce dernier dès les premiers jours du projet, Noorda explique comment architecture et information furent conçues de concert, participant aux choix des matériaux afin que leur brillant ou leur couleur ne gênent pas la perception de la signalétique.

Ce document, Une vie sous le signe du graphisme, laisse également apparaître l’histoire entreprenorialle de Bob Noorda. D’abord simple freelance, il crée, en 1965, une agence de communication Unimark international en s’associant à Massimo Vignelli. Très active en Italie, elle conquiert plusieurs clients importants tels l’Eni, l’Agip ou encore la chaîne de supermarchés Coop, les maisons d’éditions Mondadori ou Feltrinelli pour lesquels elle redessine leur identité visuelle et participe à leur communication. En quelques années, l’influence d’Unimark est perceptible dans le paysage visuel italien posant, au fil des commandes, les jalons d’un langage moderne, ambitieux et affûté qui n’eut pas son équivalent en France.

Forts de leur expérience, Noorda et Vignelli ouvrent une filiale à Chicago où ils participèrent à l’essor de la "corporate indentity" alors naissante. Une commande-phare dominera cette aventure américaine : celle, en 1972, émanant de la New York City Transit Authority, afin de repenser la signalétique du métro New Yorkais. Ce dernier n’avait pas entrepris tels travaux depuis sa création et les stations, selon leur date de construction, présentaient une signalétique disparate, tantôt fabriquée en mosaïque à même les murs, tantôt faisant appel à des panneaux peints à la main. Au vernaculaire, Noorda et Vignelli imposeront une variante de l’Helvetica dans le paysage sous terrain de la métropole mondiale. Noorda se concentre alors sous le sous-sol, alors que Vignelli cartographie le réseau dans un arc-en-ciel de couleur alors inédit. Là encore, leur travail discret bien que radical imprimera sa marque irrémédiablement dans la culture visuelle des années 1970.

Car en définitive, de cet entretien émerge l’incroyable influence que le travail de Noorda eût sur le paysage visuel mondial. Cette influence est sans doute la conséquence d’une règle qu’il révèle à l’occasion d’une question sur son logo pour la Mondadori : Synthèse et simplicité, intemporalité, reproductibilité, "mémorisabilité".

En parcourant le cahier d’illustration proposé en fin d’ouvrage, le lecteur se rend compte à quel point Noorda se tint à cette stricte formule. Si elle n’exclue d’aucune manière la couleur, voire la fantaisie, elle garantit au signe (logotype, affiche…) une existence pérenne à l’abri des modes. En revanche, elle condamne son auteur à une réserve discrète, à un anonymat consenti que cet ouvrage, pas encore traduit en français, vient perturber