Une biographie complète, une description originale d'une période, grâce à une grande richesse des sources.

 

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Anne-Sophie Chambost nous offre la biographie d’un personnage complexe, aux convictions politiques et économiques originales pour son époque : aussi ont-elles été souvent incomprises.
La richesse des sources (œuvres publiées et manuscrits, correspondance, carnets de notes), est un atout primordial pour cet ouvrage qui nous permet d’appréhender la pensée de Proudhon en insistant sur la cohérence de son évolution.
Anne Sophie Chambost, maître de conférence en histoire du droit à l’université Paris V Descartes et auteur de nombreux travaux sur Pierre-Joseph Proudhon, au delà de l’analyse de l’œuvre de l’homme politique, nous offre un focal passionnant sur les questions politiques et économiques du XIXème siècle français et européen.
Au coté de l’intérêt historique essentiel, cette biographie met en lumière des concepts étonnamment modernes qui suscitent l’envie de se plonger dans l’œuvre de Proudhon pour rapprocher sa pensée des grandes questions de notre temps.
Auteur relativement méconnu, il nous apparait, sous la plume d’Anne-Sophie Chambost comme le fondateur d’institutions et de concepts remarquablement vivaces aujourd’hui, tels que le mutuellisme, le syndicalisme, le fédéralisme ou l’organisation de la société basée sur le contrat.

La première partie de cette biographie nous montre les débuts du jeune pensionnaire de l’Académie de Besançon, déterminé, selon ses propres paroles à œuvrer pour "l’amélioration morale et intellectuelle" des ouvriers, "ses frères et compagnons".
Ses premiers écrits sont essentiellement économiques, leur aspect polémique apparaît dès 1840 avec le très controversé Qu’est ce que la propriété ?
Au delà des formules tapageuses restées célèbres telles que " la propriété, c’est le vol ", Proudhon jette, dans cet ouvrage les bases de sa doctrine qui sont l’abandon de la propriété pour la possession, la totale liberté des membres de la société et l’échange.

Proudhon expose dans deux ouvrages : De la création de l’ordre dans l’humanité et Contradictions économiques, une théorie qui sous-tendra toute sa réflexion future : l’organisation de la société par l’équilibre des antinomies. La coexistence des antagonismes serait au cœur de la vie sociale, c’est pourquoi il soutient l’idée de la création de groupes d’intérêts fondés sur les différents secteurs de la vie économique, il avance ainsi l’idée du mutuellisme.

Commence alors le lent clivage avec les socialistes de son temps, qu’il s’agisse des hommes politiques français tels que Louis Blanc et Pierre Leroux, ou des penseurs allemands tels que Marx.
Son amour de la liberté lui interdit d’adhérer aux théories centralisatrices de ces derniers.

La seconde partie de la biographie montre un Proudhon spectateur et acteur de son temps en nous livrant ses convictions politiques tout au long de la Révolution de 1848 et de l’éphémère Seconde République.
Très réticent à la campagne des banquets et à l’insurrection de 1848, Proudhon soutient que la révolution politique n’est rien sans la révolution économique et sociale. Il ne croit pas en l’efficacité du suffrage universel sans l’éducation du peuple et considère que la république n’est qu’un transfert de l’autorité. Il se démarque ainsi des démocrates et des socialistes en avançant la primauté de l’économique sur le politique et en imaginant une société sans gouvernement, se dirigeant elle-même par la conciliation des intérêts des diverses communautés économiques.
Pour ce faire, la société doit tout d’abord être égalitaire et fondée sur le principe de l’échange et l’organisation des forces économiques  (idée de la banque d’échange et du crédit gratuit).
C’est par ces idées qu’il est considéré comme le père de l’anarchisme, mais un anarchisme positif et pacifique (cet attachement à la légalité est un corollaire au fait que Proudhon, comme le souligne Anne-Sophie Chambost, n’est pas un homme de barricades)

Devenu journaliste engagé (Le représentant du peuple), brièvement représentant à la Chambre, Proudhon soutient finalement cette Seconde République, qu’il n’entend que comme une étape de la révolution.

Il devient dès 1848, l’inlassable opposant de Louis-Napoléon Bonaparte, mettant en garde contre ses ambitions monarchiques, il n’hésite pas pour ce faire à user de propos très violents qui lui valent une condamnation à trois ans de prison.
Il fait de cet emprisonnement un temps d’étude qui donnera lieu à une œuvre foisonnante. Il réalise des ouvrages historiques en revenant notamment sur l’histoire de la Révolution française, pour ensuite exposer une théorie de la révolution (Confessions d’un révolutionnaire, Solution au problème social)

Il provoque ainsi une rupture définitive avec ses contemporains socialistes qui prônent un socialisme étatique et centralisateur alors qu’il se fait le promoteur d’un socialisme libertaire fondé sur l’action de la société elle-même et non plus sur celle de l’Etat.

La troisième partie de l’ouvrage termine de démontrer l’originalité de la pensée de Proudhon.
L’instauration de l’Empire étant consommée, Proudhon rédige un de ses ouvrages majeurs : De la justice dans l’Eglise et dans la révolution, dans lequel il soutient que la justice sous-tend toutes les relations humaines, mais il s’oppose au concept d’Absolu (concernant la justice et la vérité) imposé par la doctrine catholique, considérant que la justice doit être immanente et doit naître de la responsabilité de l’homme et de la libre confrontation des idées.

Exilé à Bruxelles dans les années 1860, Proudhon s’intéresse aux questions internationales.
Au rebours de l’opinion politique majoritaire, il s’oppose au réveil des nationalités (Italie 1859, Pologne 1861), au motif que la création de grands Etats unitaires consacre l’Autorité et la centralisation.

Il développe ainsi une réflexion sur le fédéralisme qu’il entend comme l’aboutissement de sa pensée économique et politique.
Assimilant le principe unitaire à l’autoritarisme, Proudhon développe l’idée du fédéralisme au niveau économique et politique, la combinaison des deux fédéralismes étant pour lui indispensable.
Sur ce sujet Anne-Sophie Chambost nous montre l’extraordinaire actualité de la pensée de Proudhon. A l’heure d’une lente redéfinition de la pyramide des niveaux décisionnels, il est intéressant de constater que Proudhon, déjà au milieu du XIXème siècle, avance l’idée de regroupements au niveau de la commune puis de la région ainsi que la mise en place d’inter-relations politiques et économiques au niveau européen.

Au niveau économique il fonde le fédéralisme sur la division du travail : il propose ainsi la création d’associations ouvrières autogérées sous la surveillance de l’Etat. En développant cette théorie du fédéralisme politique et économique, Proudhon renoue positivement avec l’idée de l’Etat, qu’il entend comme une fédération de fédérations.
Il considère que la société est fondée par un contrat conclu entre ses membres, non pas pour abandonner des droits et libertés au bénéfice d’une autorité supérieure, mais pour la création de groupes naturels destinés à interagir ensemble, l’Etat n’étant que le tuteur du corps social.

L'auteur termine cet ouvrage en nous montrant un Proudhon malade, qui en 1864, sollicité par des ouvriers pour le soutien de leur candidature à la Chambre, leur conseille d’éviter de se "confondre et de s’absorber' avec le système. Il est alors, prônant l’émancipation des travailleurs par l’action des travailleurs eux-mêmes, sans collusion avec le pouvoir, considéré comme le père du syndicalisme.

Dans cet ouvrage, Anne-Sophie Chambost a tenu à montrer, malgré les critiques émises à ce sujet sur l’œuvre de Proudhon, la cohérence de sa pensée et de son action, ayant toujours pour objectif l’affranchissement de la classe ouvrière