Fabrice Rochelandet, économiste à l’université Paris-Sud, présentait jeudi 1er avril son livre Économie des données personnelles et de la vie privée (La Découverte, coll. Repères), lors d’un petit-déjeuner organisé par Cap Digital, en partenariat avec nonfiction.fr. Spécialisé sur les questions de droit d’auteur, Fabrice Rochelandet a expliqué avoir commencé à s’intéresser à la question de la vie privée sur Internet lors d’une enquête sur le peer-to-peer où, à son grand étonnement, il avait découvert l’étendue des données personnelles laissées par les utilisateurs sur le web. Il s’est également intéressé à l’économie de la privacy de l’école de Chicago et aux débats qui ont déjà eu lieu aux Etats-Unis, il y a trente ans.

L’auteur refuse tout manichéisme dans le débat sur les données personnelles en reconnaissant que si leur exploitation fait peser des menaces sur la vie privée, il s’agit également d’une innovation qui offre beaucoup d’opportunités. Son ouvrage est assez didactique et commence dans une première partie par une définition de la notion de vie privée et de données personnelles. Il rapporte aussi le débat existant aux Etats-Unis sur ces questions. Certains auteurs ont ainsi porté le soupçon sur ceux qui veulent protéger leur vie privée ; d’autres remettent en cause la protection de la vie privée, au nom de la sécurité nationale ; enfin, le débat se porte de plus en plus sur une société où les individus se surveilleraient les uns les autres.

Outre le fait que cette surveillance s’insinue dans la vie intime, quelles conséquences a-t-elle sur le comportement d’un individu ? se demande Fabrice Rochelandet. La surveillance aurait pour conséquence une perte d’autonomie de l’individu, qui se mettrait à se comporter  de manière conforme à ce qu’il imagine être la norme. L’apparition des réseaux sociaux sur internet pose donc deux problèmes. D’abord, il est très difficile d’évaluer les conséquences à long terme que cette surveillance globale impose aux utilisateurs et en particulier aux adolescents. Au passage, l’auteur rappelle que personne n’est dupe des risques qu’il ou elle encourt, mais que la satisfaction immédiate prévaut sur les risques à long terme dans le calcul des acteurs. Ceci nous conduit au deuxième problème : comment concilier préservation de la vie privée et protection d’une innovation ? C’est à cette question que Fabrice Rochelandet tente d’apporter une réponse dans un dernier chapitre qui propose une approche comparative entre la régulation traditionnelle, la corégulation avec les utilisateurs ou le laissez-faire.

À la fin de la présentation, Fabrice Rochelandet a débattu avec un public très intéressé par la question des données personnelles et de leurs usages. Une personne a ainsi rappelé que si les utilisateurs avaient une connaissance sur les risques explicites – les risques des réseaux sociaux par exemple – il y avait une part d’implicite qui restait cachée aux yeux du grand public : "Qui sait que lorsqu’on allume un Mac pour la première fois, l’ordinateur est suivi à vie chez Apple ?". Tristan Nitot, président de Mozilla Europe, prend ensuite la parole pour évoquer le projet d’icônes sur le navigateur Firefox, avertissant du niveau de danger des sites concernant la divulgation de données personnelles. "Pour Facebook, il y aurait par exemple une tête de mort qui apparaitrait, a-t-il ajouté." En réponse à Fabrice Rochelandet qui évoquait une législation européenne encore balbutiante sur les problèmes de la vie privée  — protection contre l’Etat mais faible contre les autres citoyens, et en particulier les employeurs — Tristan Nitot a évoqué un lien avec l’Etat qui reste présent, avec notamment Google qui livre, sur demande, les données personnelles à l’Etat américain, dans le cadre de l’US Patriot Act