Depuis le début de la présidence Obama, le fonctionnement interne du Sénat est un sujet de discussion passionné pour les blogueurs américains. Les républicains obstructionnistes utilisent tous les gadgets parlementaires possibles et offrent ainsi une leçon d’instruction civique dont les démocrates se seraient bien passés. Le débat sans fin au Sénat sur la réforme de la santé a d’abord rappelé à tout le monde l’existence du « filibuster » : cette méthode parlementaire permet à un élu de l’opposition de bloquer indéfiniment le passage d’une loi en monopolisant le débat. La seule façon de briser un filibuster est un vote à une super-majorité de 60 voix, ce qui explique pourquoi les démocrates, qui n’ont plus que 59 sénateurs depuis la victoire surprise de Scott Brown au Massachusetts pour remplacer Edward Kennedy après son décès, n’arrivent pas à boucler cette réforme.
Cette semaine, c’est une variante du filibuster qui a secoué la blogosphère : la technique dite du « blockade » ou « blocking », le blocage. Le sénateur Jim Bunning (républicain du Kentucky) a bloqué le vote d’un texte assez large, permettant l’extension exceptionnelle du versement des allocations chômage et encadrant le salaire des employés travaillant dans les transports, au prétexte que l’argent pour financer ces programmes devrait venir de la loi Stimulus adoptée l’an dernier pour favoriser la reprise de l’économie, et non être ajouté au déficit fédéral comme cela était prévu. Près d’un million d’Américains se sont ainsi retrouvés sans ressource ou sans emploi cette semaine. Pour la blogosphère libérale, cet épisode résume tout ce qui ne va pas dans le système politique américain aujourd’hui. Les républicains sont devenus des radicaux sans aucun souci pour le bien commun: “the bizarre right-wing senator seems to be actually flipping off the entire country [on dirait que le bizarre sénateur conservateur est en train de faire un doigt d’honneur à tout le pays] [...] And so the nation waits for one right-wing clown to end his tantrum [le pays attend qu’un clown de droite finisse son caprice]" se plaint Steve Bennen sur Washingtonmonthly.com), et la presse se montre incapable de rendre compte correctement de ces abus parlementaires (“But in a lot of press reports, reporters […] don't even mention Bunning's name [la plupart des articles ne mentionnent même pas le nom de Bunning]. It's just "senate gridlock." [on parle juste de ‘blocage du Sénat’] … It is really a press failure. [c’est un grand échec pour la presse]” remarque Josh Marshall sur TPM.


Pour Steven Bennen, cette situation n’ira qu’en s’aggravant au fur et à mesure que s’approchent les élections de mi-mandat en novembre : “A discredited minority decided that elections no longer have consequences, and that blocking the Senate's ability to vote on the majority's agenda is entirely acceptable. [Une minorité discréditée a décidé que les élections n’ont plus de conséquences et que bloquer la capacité du Sénat à voter le programme de la majorité est tout-à-fait acceptable]. Of course, our political system encourages this misconduct -- the less than gets done, the angrier the public [Bien sûr, notre système politique encourage cette mauvaise conduite : moins on en fait, plus les gens sont mécontents]. The angrier the public, the more likely the majority party loses. Ergo, the minority has a powerful incentive to make sure nothing gets done. [Plus le public est en colère, plus il est probable que le parti majoritaire va perdre. Donc, la minorité a fortement intérêt à s’assurer que rien ne se fasse]” (http://www.washingtonmonthly.com/archives/individual/2010_03/022639.php).   

Pour les blogueurs conservateurs, au contraire, Bunning est fêté comme un héros, une des dernières voix raisonnables qui essaient de sauver les finances du pays et d’enrayer la pente gauchiste de l’administration Obama. Comme l’explique Andrew C. McCarthy sur le site de The National Review : “Bunning was objecting to yet another monthly extension of unemployment payments absent an explanation of how it would be paid for [Bunning a rejeté une énième extension mensuelle du paiement du chômage sans obtenir d’explication sur comment elle sera financée]. He was right to do so [Il a eu raison]. These extensions happen continually [ces extensions arrivent tout le temps]. The stimulus — which is a redistribution of wealth from the private to the public sector, and from people who work to people who don’t — extended unemployment benefits for 53 weeks [Le stimulus – qui est une redistribution de la richesse du privé vers le secteur public, et des gens qui travaillent vers ceux qui ne travaillent pas – a déjà étendu les allocations chômage de 53 semaines]. Another extension in November added 20 more weeks [Une autre extension en novembre a ajouté 20 semaines].”
 

Qui pilote l’avion républicain?

Il semble donc clair que, malgré le relatif succès du sommet bipartisan sur la réforme de la santé la semaine dernière, les républicains continuent à mener le bal à Washington. Les blogueurs libéraux s’interrogent donc beaucoup sur les intentions et la nature idéologique du parti républicain.

Le texte le plus commenté dans la blogosphère américaine cette semaine a été un article de Jonathan Rauch publié dans National Journal Magazine et consacré à l’itinéraire idéologique du parti républicain depuis les années 1960. Rauch y décrit le parti républicain comme un parti pris en otage par sa frange la plus populiste et extrémiste, une frange radicale qui trahit le conservatisme traditionnel du parti. Les blogueurs libéraux rejettent en bloc cette théorie, en faisant remarquer que puisque cela fait presque 40 ans que les groupes extrémistes dominent le parti, il n’est plus réaliste de présenter ce courant comme minoritaire, aberrant ou non-représentatif de la véritable nature du parti. Matthew Yglesias, sur le site ThinkProgress, présente sa propre interprétation de l’histoire idéologique du parti républicain : “This seems pretty strained to me [La thèse de Rauch me semble forcée]. White supremacist southerners, often with some “populist” leanings, have always been recognized as integral elements of the midcentury conservative coalition [Les sudistes blancs racistes, aux tendances souvent populistes, ont toujours été reconnus comme des éléments intégraux de la coalition conservatrice du milieu du siècle]… The idea that “small government” is the goal of conservative politics seems to me like a piety that’s never had much grounding in reality. The idea is to represent the interests of economic elites and the prejudices of the sociocultural majority and modern-day conservatives do this very well [L’idée que la réduction de la taille du gouvernement est le but de la politique conservatrice me semble être un vœu pieux qui n’a jamais eu aucun rapport avec la réalité. Le but est de représenter les intérêts des élites économiques et les préjugés de la majorité socio-culturelle, ce que les conservateurs contemporains font très bien]… Ordinarily business conservatism and right-wing populism work together extremely comfortable and always have [La plupart du temps, le conservatisme du monde des affaires et le populisme d’extrême-droite vont très bien ensemble].”


Il semble qu’un nombre croissant de responsables républicains s’inquiètent de l’écho grandissant que rencontre le courant le plus extrême du parti et souhaitent le marginaliser. L’un des blogueurs conservateurs les plus célèbres, Erick Erickson, du site RedState, a lui-même exprimé son intention de “clean up our own house [nettoyer notre maison]". Mais là aussi, la blogosphère de gauche reste très sceptique, en montrant comment les antécédents d’Erickson rendent sa transformation en héraut de la modération idéologique difficilement crédible : “That more than anything should indicate how deeply the conservative movement has been infected by its fringe [Plus que toute autre chose, cela devrait indiquer à quel point le mouvement conservateur a été infecté par sa frange]. That's the same Erick Erickson who called retiring Supreme Court Justice David Souter a 'goat f--king child molester' [Il s’agit du même Erick Erickson qui a traité le juge [centriste, NDLR] de la Cour suprême David Souter lors de son départ à la retraite de ‘violeur de chèvre pédophile’] ”  (http://mediamatters.org/blog/201002280009).

Les blogueurs de gauche ne voient pas nécessairement d’un mauvais œil cette crise interne au parti républicain. Pour Ezra Klein, du Washington Post, cette crise d’identité pourrait même constituer le principal atout des démocrates lors des élections de novembre : “The big political news today is that Florida's Charlie Crist might be readying to leave the Republican Party and run for Florida Senate as an independent or a Democrat [Le gouverneur de Floride Charlie Crist serait sur le point de quitter le parti républicain et de se présenter au Sénat comme un indépendant ou un démocrate]. That would be a huge coup for Democrats [ce serait un énorme coup pour les démocrates]. The best possible storyline for them going into the 2010 election is that the Republican Party's apparatus has been captured by extremists and ideologues [pour les élections de 2010, leur meilleur argument est que les extrémistes et les idéologues ont capturé l’appareil du parti républicain].” 

Malgré ces tiraillements, la plupart des blogueurs conservateurs demeurent très optimistes pour les élections sénatoriales de novembre, convaincus que la réforme de la santé sera le cercueil d’Obama. Pour Scott, sur le grand site conservateur Power Line : “ The Republicans' position has public opinion on its side [La position républicaine a l’opinion publique de son côté]. Opposition to Obamacare has solidified and increased since the Democrats have put their bills on the table and Obama has advocated their adoption [L’opposition à la réforme d’Obama s’est solidifiée et a augmenté depuis que les démocrates ont mis leur loi sur la table]. That should count for something in a democratic republic. Passing Obamacare in the face of the public opposition to it appears politically suicidal. [Cela devrait compter pour quelque chose dans une démocratie. Voter la réforme de la santé malgré l’opposition du public serait un suicide politique]”. Sauf que tous les sondages montrent que la majorité de la population américaine soutient la réforme de la santé...