Ce livre-synthèse sur l'émergence de l'environnement dans l'agenda politique se révèle incomplet sur la structuration de la gouvernance environnementale mondiale.

Jean-Michel Valantin retrace dans cet ouvrage la montée de la problématique environnementale dans le système de normes internationales contemporain. Les tensions imposées à l'écosystème global par notre mode de production engendrent une multitude de rétroactions de l'environnement, la plus spectaculaire étant celle du changement climatique. L'ampleur et parfois la violence de ces bouleversements remettent en cause l'organisation et la pérennité de nos sociétés basées sur un rapport déséquilibré à l'environnement. La montée des préoccupations environnementales s'accompagne d'une révolution politico-médiatique et conduit à l'émergence de nouveaux types de pouvoirs, qui asseyent leur autorité et leur légitimité sur la prise en compte directe de la norme du respect de l'environnement. Un ouvrage très facile d'accès qui  retrace de manière synthétique et précise l'émergence de l'environnement dans l'agenda politique, mais qui reste étonnamment incomplet sur les problématiques actuelles de structuration de la gouvernance environnementale mondiale.


Le changement climatique et la crise urbaine, catalyseurs d'une prise de conscience générale

Le changement climatique, qui s'impose peu à peu dans l'agenda politique depuis douze ans, est en train de ramener l'environnement au cœur des sociétés humaines et de leurs préoccupations, à travers la mutliplication des phénomènes extrêmes. Les populations et les autorités commencent à comprendre ce changement mais n'ont pas encore mis au point les outils pour y répondre, comme l'a montré la désorganisation politique et sociale totale des autorités américaines lors de la dévastation de la Nouvelle-Orléans par l'ouragan Katrina. La multiplication de ces phénomènes extrêmes et la publication de rapports comme le rapport Stern en 2006 ont engendré une prise de conscience particulièrement aiguë du changement climatique par le secteur de la finance, notamment  de l'assurance et de la réassurance : il existe maintenant un lien de causalité directement établi entre crise environnementale et profitabilité, ce qui pousse les acteurs du capitalisme à vouloir rentabiliser la protection de l'environnement.

La prise de conscience est également renforcée par l'intensification du fait urbain, car l'urbanisation et la concentration des populations entraînent une ponction illimitée sur l'environnement et un rejet de déchets en quantité à un rythme bien supérieur aux capacités d'absorption et de recyclage de l'écosystème. Ceci est particulièrement vrai pour la Chine, qui voit se dégrader à une vitesse accélérée ses ressources naturelles, provoquant une exacerbation des tensions sociales internes, et dont l'empreinte écologique se répercute sur le monde entier. L'environnement est par conséquent entré dans le champ gouvernemental chinois non seulement comme objet politique, car sa dégradation désorganise aujourd'hui gravement la société, mais aussi comme objet d'une nouvelle politique, car ses effets démesurés menacent l'équilibre sociétal et donc la légitimité du gouvernement.

Dans les villes des pays émergents ou en développement, la multiplication des bidonvilles liée à l'explosion urbaine renforce la pression humaine sur l'environnement sans pour autant permettre aux populations qui y vivent d'avoir accès aux "services naturels" comme l'eau potable, l'air respirable, les sols productifs. Face à cette relation dysfonctionnelle des villes avec leur environnement, les villes prennent conscience de leur rôle : des politiques locales commencent à être mises en place pour réduire les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) et échanger les bonnes pratiques.

Les conditions environnementales changent donc à un rythme qui excède les facultés d'adaptation humaine. Les sociétés expérimentent de manière violente un "choc du futur", qu’Edward Luttwak qualifie de "paradoxe de la stratégie" : pour se développer, nos sociétés ont mis au point des stratégies ne prenant pas en compte les facteurs internes (de l'environnement) mobilisés, qui la font aujourd'hui déraper. À ce stade de la prise de conscience, un décalage existe encore entre intentions et pratiques, entre attentes déclarées et attentes réelles : les opinions ne sont pas toujours prêtes à modifier leurs comportements pour mettre en œuvre le respect de l'environnement qu'elles appellent de leurs voeux, mais la norme environnementale tend à s'imposer dans les discours.


Émergence et promotion de la norme environnementale : la protection de l'environnement comme source de légitimité

En effet, après de longues années de déni, la contradiction fondamentale entre les limites propres à la planète et l'idée d'une croissance économique infinie commence à être reprise par plusieurs types d'acteurs politiques puissants. Les effets potentiellement dévastateurs du changement climatique en font un problème concret et un enjeu politique : la norme environnementale s'articule désormais avec les normes du nationalisme et des droits de l'homme pour constituer une nouvelle grille de lecture des responsabilités des pouvoirs publics.

Ce nouveau système de normes investit le champ des relations internationales, avec des initiatives de réflexion communes come celle de la Global Legislators Organization for a Balanced Environnement, mais aussi la cristallisation de tensions, par exemple dans le cadre des négociations sur l'avenir du protocole de Kyoto entre pays industrialisés et nouvelles puissances industrielles. Certaines entreprises particulièrement impliquées dans le secteur de l'énergie prennent le problème à bras-le-corps, et de nombreuses villes d'Amérique du Nord comme Seattle ou l'État de Californie, s'appliquent des objectifs de réduction de GES. Ceux-ci ne s'accompagnent pas de sanctions juridiques mais on peut considérer que le "pouvoir de sanction" est monopolisé par l'environnement lui-même : il constitue un acteur politique à part entière, car il risque par ses rétroactions de désorganiser la société.

De nombreux "hypercentres" américains de pouvoir, comme la Californie, avec Arnold Schwarzenegger ; Hollywood avec la mise en scène du déséquilibre environnemental dans un nombre croissant de productions ; la NASA qui prend position à contrepied de la Maison Blanche en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique ; des personnes comme l'ancien vice-président Al Gore avec son film Une vérité qui dérange, qui sont entrés dans une phase de promotion et de renforcement de la norme du respect de l'environnement.

La norme environnementale est soutenue également par de nombreuses organisations internationales : l'ONU, dont le poids politique sur cette question a été renforcé par la création du Groupe Intergouvernemental d'Experts sur le Climat (GIEC) en 1988, a contribué à décloisonner la question de l'environnement en la reliant de manière explicite à des problématiques sociales et de développement, donc de paix. La Banque mondiale, bien qu'elle soutienne certains projets à fort impact écologique, intègre l'environnement dans sa culture financière de retour sur investissement et développe une expertise en la matière, avec par exemple des initiatives comme le Millenium Ecosystem Assessment. L'OCDE, partant du même constat, se livre à de nombreuses études pour aider les gouvernements à définir des politiques adaptées de ses pays membres ou de pays aidés à adapter leurs politiques environnementales. En quelques années, le vocabulaire de la protection de l'environnement, en particulier du changement climatique, est entré dans les cercles politiques nationaux et internationaux, et fait l'objet d'une reconnaissance quasi officielle des dirigeants, comme l'a montré le G8 de Gleeneagles en 2005.

En France également la question environnementale émerge, bien qu'elle ait été éludée plus longtemps que dans les pays anglo-saxons. Une série de crises a contribué toutefois à ébranler les mentalités (de Tchernobyl à la canicule de 2003), jusqu'à toucher le sommet de l'exécutif avec le discours de Jacques Chirac en 2002 lors du Sommet du développement durable, à Johannesburg. D'autres initiatives ont suivi comme la stratégie nationale pour le développement durable (SNDD), la Charte pour l'environnement dans la Constitution en 2005 ou l'organisation du Sommet "Citoyens de la Terre" en février 2007.

Cette prise de conscience et appropriation des enjeux implique des remises en causes de nos comportements cognitifs, car c'est notre façon même de penser la société qui est en jeu dans la montée de la norme environnementale. 


Une crise de société, un modèle à réformer

La vie économique et politique mondiale doit désormais choisir entre le "business as usual" et un renouvellement des pratiques, car la ressource pétrolière atteint aujourd'hui un palier : le pétrole devient cher et génère des émissions de GES nocives pour le climat. Or toutes nos infrastructures contemporaines sont à base de pétrole. Il en résulte une contradiction majeure, dans laquelle l'augmentation des niveaux de vie et de la consommation d'énergie fait entrer l'humanité en concurrence avec les capacités de renouvellement de la nature.

Ce modèle de déploiement des sociétés issues de l'utilisation des hydrocarbures s'effectue en outre sur un mode de temps pensé comme linéaire, dominé par le progrès technique humain. Or le temps biologique et géophysique n'est pas celui de l'économie humaine : le rythme imposé par l'utilisation croissante de l'énergie limite la capacité de l'écosystème à maintenir les cycles qui lui sont propres. L'exemple des débats suscités par le "oil peak", le pic global de production du pétrole, c'est-à-dire le moment où la production mondiale sera maximale et après lequel elle ne pourra que décroître, illustrent la difficulté de nos sociétés modernes à considérer la nature comme une limite face aux lois de la technique. L'environnement naturel n'est ni pensé ni pensable, il est envisagé non comme le contexte et l'écosystème de la société, mais comme un simple système de contingences et de ressources dédiées à la société. Les exemples de la gestion de l'eau au Pakistan, dans l'Ouest américain ou encore l'exemple de la mer d'Aral, montrent les contradictions qui existent entre ces temporalités et qui aboutissent à un affaiblissement des dynamiques environnementales et sociales : il en surgit un "sous-développement durable".

Les exécutifs devront donc faire des choix politiques entre attentisme ou collaboration dans une optique de développement durable. Ne rien faire aboutirait à un nouvel équilibre aux perspectives inconnues mais qui pourrait comporter un fort potentiel de souffrance collective. Cette "singularité", horizon derrière lequel l'imagination s'arrête, serait pour certains auteurs un monde marqué par l'entrée du monde riche dans un monde pauvre, dans lequel l'homme sera un loup pour l'homme. Il faut cependant envisager l'action en sortant du fantasme de maîtrise absolue de l'environnement : des projets assez radicaux de "géo-ingénierie" (diffusion de soufre dans l'atmosphère, fertilisation du plancton, etc) doivent être pris avec précaution car à leur tour ils nient les limites de l'environnement et veulent ne gérer que les conséquences et non les causes de la crise environnementale. Ils risquent d'accentuer ces déséquilibres à un point irréversible, tout en absorbant les moyens disponibles pour protéger l'environnement.

C'est donc une révolution cognitive qu'il s'agit d'opérer pour redéfinir notre rapport au futur : il s'agit de prendre en compte la globalité du monde dans toute sa complexité, et de réconcilier les temporalités environnementales et la temporalité humaine, dans une optique de développement durable. L'hypothèse Gaïa, qui place l'homme non plus au sommet du vivant mais comme un élément parmi d'autres du "système d'écosystèmes", commence ainsi à pénétrer plus ou moins consciemment les politiques et le big business. Cela amène le capitalisme à s'adapter à la nature, de manière différente en fonction des cultures : l'Europe se mobilise autour d'une philosophie de retour à l'équilibre (efficacité énergétique), les États-Unis autour d'une philosophie de conquête de l'avenir leur permettant de maintenir leur hégémonie (nouvelles technologies "décarbonées").

Cette évolution est d'autant plus essentielle que la dégradation environnementale est source de tensions géopolitiques. Les effets sur l'environnement s'agrègent progressivement aux nouveaux conflits, dont la multiplication, depuis la fin de la guerre froide, intègre de plus en plus les problématiques liées à la lutte pour les ressources. Dans le cas du génocide rwandais par exemple, la situation d'explosion démographique et de surpopulation rurale, de surexploitation des sols, ont été instrumentalisés pour devenir des supports de la violence utilisée par l'Etat.

La promotion du concept de développement durable, qui selon la définition consacrée vise à "répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs", doit donc se faire dans une optique de collaboration et de long terme, afin de prévenir les crises et de promouvoir la paix de manière pratique et efficace en protégeant l'environnement. Un certains nombre d'expériences sont déjà en cours, comme la prévention des conflits entre les différents États du bassin du Nil, avec l'installation d'un système commun de gestion d'eau sous la houlette de la Banque mondiale. Des initiatives d'aménagements du futur sur la base de nouveaux supports politiques environnementaux et sociaux voient le jour dans une logique de coopération entre acteurs qui auparavant se combattaient, y compris entre grande industrie ou distribution et ONG.


Quid de la gouvernance environnementale ?

Sans apporter d'idée fondamentalement neuve sur le sujet, cet ouvrage synthétise donc de manière efficace l'émergence de l'environnement dans les préoccupations politico-médiatiques. Il retrace clairement comment des enjeux environnementaux "réels", en imposant leur rétroaction déstabilisante, imposent l'environnement comme enjeu de pouvoir et facteur de remise en cause de nos sociétés contemporaines. Outre le fait que ces accélérations récentes – et réelles – de la promotion de la norme environnementale soient présentées comme une nouveauté sans que rien ne soit dit sur leur "préhistoire" dans les années 1970, on s'étonne surtout, à la lecture de cet ouvrage, du peu de cas qui est fait des problématiques liées à l'organisation structurelle de la gouvernance environnementale, au-delà du phénomène politique. Le principal objet de réforme, le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, n'est mentionné au maximum que deux fois dans tout l'ouvrage sans qu'il soit question de son rôle actuel ou potentiel. En amont de cette réforme, les problèmes de "gouvernabilité" de l'environnement mondial, dans le cadre actuel de foisonnement, de décentralisation et d'inefficacité chronique des Accords Multilatéraux Environnementaux (AME), ne sont pas abordés. Enfin, la réalité du triomphe de la "norme environnementale" pourrait être fortement nuancée si l'ouvrage abordait la multitude de conflits qui accompagnent cette montée, en termes de hiérarchie des normes et des acteurs, comme c'est le cas notamment entre AME et normes de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

L'ouvrage peut donc servir d'introduction et de contextualisation sur la montée de l'écologie dans la politique internationale mais laisse de côté toutes les problématiques de structuration de la gouvernance environnementale, dont le Grenelle de l'environnement a récemment, en France, illustré l'importance.


--
crédit photo : cachouette / flickr.com