Geoff Emerick revient sur son expérience d'ingénieur du son des Beatles et nous parle de John, Paul, George, Ringo et les autres...

*Le 8 décembre 1980, John Lennon était assassiné par Mark Chapman, un fan déséquilibré. Trente-quatre ans plus tard, les Beatles, dont il est le fondateur, restent considérés comme l'un des plus grands groupes de rock qui aient jamais existé. Nonfiction vous propose de redécouvrir cette critique de l'ouvrage de Geoff Emerick, ingénieur du son sur quatre albums du groupe, dont Revolver et Abbey Road. En relatant son expérience, l'auteur offre un regard bienvenu sur le destin personnel et artistique du groupe.
 

Ce n'est pas un hasard si on le surnomme "Oreilles d'Or" chez EMI. Dès son arrivée, à l'âge de 16 ans, dans les studios d'enregistrement d'EMI, Geoff Emerick fait grande impression. Naturellement doué, mélomane, passionné et pointilleux, il fait vite des merveilles en studio d'enregistrement. Embauché comme stagiaire en 1962, il assiste aux premières séances d'enregistrement des quatre garçons dans le vent. Évoluant rapidement grâce à son sens du détail, il assiste l'ingénieur du son Norman Smith sur les albums des Beatles, jusqu'à Revolver, en 1966. Smith étant parti s'occuper des prometteurs Pink Floyd, George Martin désigne G eoff Emerick comme ingénieur du son officiel des Beatles. Il n'a que 19 ans. C'est sur ce moment, rempli d'angoisse et d'excitation (et prémonitoire de la suite des événements), que s'ouvre En studio avec les Beatles.

Heureusement, Emerick passe l'épreuve du feu et réussit même à trouver l'astuce magique, grâce à la fameuse cabine Leslie, pour que la voix de John Lennon « sonne comme celle du Dalaï Lama chantant du haut d'une montagne » sur le fameux et avant-gardiste morceau "Tomorrow Never Knows". Et ce n'est que le début. Pendant sept années, et ici plusieurs centaines de pages, Emerick trouvera des solutions diverses, variées et souvent incroyables, pour satisfaire les caprices sonores les plus fous des Beatles. C'est entre les quatre murs des studios Abbey Road (qualifiés de "glauques" par Emerick !) que s'écrivent les plus belles pages de l'histoire de la pop musicSgt. Pepper's Lonely Heart Club Band n'aurait pas été tel qu'il est, avec une telle chatoyance sonore, si Emerick ne s'en était pas mêlé. Mais cette émulation constante, cette passion et la fierté de travailler avec des musiciens hors-pair que sont les Beatles ne suffisent pas à compenser les dissensions grandissantes qui se créent au fil des années. Le mauvais caractère de Ringo Starr, la distance de George Harrison, l'obstination de Paul McCartney et le lunatisme de John Lennon deviennent ingérables. Emerick claque la porte pendant l'enregistrement du White Album... pour mieux revenir sur Abbey Road, le chant du cygne du groupe.

Malgré une position de choix pour voir et donc commenter les événements personnels qui influèrent sur la destinée des Beatles (l'arrivée de Yoko Ono, la déception indienne, les drogues, etc.), Emerick ne tombe jamais dans la psychologie de bas étage. D'après lui, les Beatles se séparent d'abord et surtout pour cause de divergences artistiques (John veut aller plus loin dans l'avant-garde tandis que Paul souhaite rester dans la pop, etc.) et non pas à cause des querelles du couple Lennon/McCartney.

Même après les Beatles, la vie continue. Emerick revient sur la construction puis le naufrage des studios Abbey Road puis ses multiples collaborations avec McCartney, notamment avec les Wings. Ces expériences seront le ciment d'une longue amitié, renforcée lorsque McCartney et Emerick perdent respectivement leurs épouses emportées par le cancer. L'ingénieur du son se souvient aussi de son rôle dans les enregistrements des Badfinger et d'Elvis Costello. C'est ce dernier qui signe la préface de l'ouvrage, louant les qualités d'écoute - dans tous les sens du terme - d'Emerick. Costello ne cache pas sa joie de voir enfin la vie de studio des Beatles révélée, réaction compréhensible lorsqu'on sait que les Beatles, à leur manière, réinventèrent, de manière pérenne et révolutionnaire, la musique.

L'ouvrage de Geoff Emerick, co-écrit avec l'auteur et critique Howard Massey, s'avère donc passionnant, souvent drôle, parfois émouvant et, surtout, très instructif. Nul besoin d'être un spécialiste du genre pour comprendre l'immense rôle que jouent les techniciens et les ingénieurs du son sur l'enregistrement d'un album, et qui plus est d'un album des Beatles. Malgré leurs sautes d'humeur et leur fierté démesurée, ceux-ci vouaient une confiance aveugle à leur équipe, ce qui n'est plus souvent le cas aujourd'hui, regrette un Emerick nostalgique des bricolages analogiques. Désormais, les musiciens se chargent souvent de la production de leurs disques, à tort ou à raison. Mais nulle réflexion démagogique ici, Emerick fait comme il l'a toujours fait: il donne, aussi humblement et sincèrement possible, son avis... Ce précieux sens de le musique et des techniques du son lui valent quatre Grammy Awards dont le dernier en date, en 2003, récompense l'ensemble de son oeuvre.

Enfin, En Studio avec les Beatles atteste, une fois encore, les talents de traducteur du brillant journaliste Philippe Paringaux. Le récit ne serait peut-être pas aussi fluide et cohérent sans son pertinent décryptage. "Le destin a voulu que j'assiste à la toute première séance d'enregistrement des Beatles en septembre 1962, et à la dernière, le 20 août 1969", nous confie Geoff Emerick, omettant de préciser que c'est également son talent qui l'a mené sur les sentiers (sinueux) de la gloire. En définitive, ces mémoires d'un modeste (mais indispensable) ingénieur du son des Beatles s'avèrent être un ouvrage aussi passionnant qu'édifiant