* L'éditorialiste Christopher Hitchens est mort à l'âge de 62 ans ce jeudi 15 décembre. Réputé pour son anticonformisme, ses prises de position en faveur de la guerre en Irak et contre l'islam défrayaient la chronique dans les journaux américains et anglais. L'article ci-dessous rapportait la polémique qui l'opposait à l'écrivain Gore Vidal en janvier 2010.

 

Gore Vidal est considéré comme une sommité intellectuelle de la gauche américaine. A la fois essayiste, romancier, dramaturge, homme politique et acteur, il eut de multiples vies menées au rythme du XXè siècle, qu'il a récemment racontées dans ses mémoires, Point to Point Navigation (2006)   . Réputé pour ses mots d'esprit et son goût de la subversion, il fit fureur dans l’Amérique d’après guerre en publiant dès 1948 The City and Pillar   , un roman décrivant les expériences homosexuelles de son personnage principal. Sa critique féroce de la morale puritaine et du bellicisme américain, notamment dans ses essais Matters of Fact and of Fiction (1977)  Armageddon (1987), ou Imperial America: Reflections on the United States of Amnesia (2004) a toujours caractérisé sa pensée politique.


Dans une tribune du magazine américain Vanity Fair, l’éditorialiste Christopher Hitchens reproche à Gore Vidal ses prises de position polémiques depuis le 11 septembre 2001. Il se déleste aussi de l’héritage intellectuel de Gore dont il se réclamait jusqu’à ce que leurs divergences éclatent au grand jour après cette date. Venant d’un intellectuel classé à gauche aux Etats-Unis mais partisan de la guerre en Irak et adepte des thèses sur l’ "islamofascisme", ce n’est guère surprenant. Hitchens voit dans les analyses à l’emporte-pièce de Vidal une complaisance pour les thèses conspirationnistes sur le 11 septembre   qui le rapproche plus du simplisme de Michael Moore et Oliver Stone que de la grande crédibilité intellectuelle qu’il a acquise à juste titre par le passé.


Gore Vidal se serait ridiculisé encore plus dans une interview récente accordée au journal britannique The Independent en réitérant ses accusations contre une administration Bush "probablement" complice des attaques du 11 septembre,  et son credo déjà ancien selon lequel les Américains auraient provoqué les Japonais avant leur attaque sur Pearl Harbour. Tous ces raisonnements poussés à l’absurde seraient inspirés par le diagnostic, déjà moins absurde lui, de Gore Vidal selon lequel les Etats-Unis sont dans une phase de mort clinique en tant qu’empire, et retrouveront au bout de leur décadence leur juste place, quelque part entre le Brésil et l’Argentine. Un tel renversement de l’ordre mondial aboutirait à la domination sans partage de la Chine et à la réduction de l’Occident à un "fardeau de l’homme jaune." Au-delà du caractère péremptoire et béotien de ce point de vue, on perçoit surtout chez Gore Vidal un attachement persistant à une dialectique de l’impérialisme et de l’Etat-nation ancrée dans une vision binaire du monde, comme si son analyse des relations internationales- comme celle de toute une génération sans doute- peinait à dépasser les schémas politiques de la Guerre froide pour saisir les enjeux culturels et économiques qui s’y sont substitués. A travers Gore Vidal et ses excès, on comprend aussi à quel point le 11 septembre 2001 a bouleversé les références idéologiques et politiques de toute l’intelligentsia américaine

 

* Christopher Hitchens, 'Vidal Loco', Vanity Fair, février 2010.