Serait-il absurde de taxer tous les flux financiers sans exception ? C’est l’idée que défend Yann Moulier-Boutang, économiste et co-directeur de la revue, dans le dernier numéro de Multitudes. A ses yeux, le débat en France sur la taxe carbone, et en Europe et dans le monde sur la taxe Tobin, a cristallisé une intolérance vis-à-vis des impôts symptomatique des crises fiscales de l'Etat qui ont préparé les révolutions anglaise et française.

Le problème est que notre ancien modèle économique est fondé sur la taxation de la production de richesses et non pas sur celle des échanges et flux entre acteurs économiques. Yann Moulier-Boutang distingue les impôts directs sur les profits et revenus qui s’appliquent à la richesse issue du "solde de flux" des impôts indirects qui "frappent la consommation finale des ménages". Il emploie la métaphore de la pollinisation pour décrire une situation où la richesse des abeilles ne se mesure plus au miel produit mais à l’intensité de leur circulation dans les champs. Plus les échanges s’intensifient, plus la valeur initiale de la production se renforce. Plus les gens achètent, consomment, voyagent et circulent, plus ils enrichissent leurs productions.

La taxe carbone vient donc s’accumuler à nombres d’impôts qui rendent la fiscalité actuelle de plus en plus insupportable : la TIPP (taxe intérieur sur les produits pétroliers), la TVA, l’impôt sur le revenu ou celui sur les sociétés. Dès lors, les politiques économiques habituelles se heurtent à l’impossibilité de répartir équitablement les taxes et redistributions puisque le centre névralgique de création de richesse s’est déplacé de la sphère productive à la sphère des échanges. La droite a les mains liées par ses promesses de baisse d’impôts ou d’impôts à taux de prélèvements constants. La gauche est bloquée par sa fidélité au principe de l’impôt sur le revenu et de sa progressivité, car en raison d’une assiette des impôts réduite qui ne concerne que la moitié des Français, elle doit inclure des catégories moins riches dans ses calculs pour atteindre 25% de la population (la moitié des imposables). Elle renforce le sentiment de mécontentement d’une bonne partie des classes moyennes qui voit baisser le seuil des riches qui doivent payer, à leur détriment.
 
Ainsi, en quoi cela résoudrait-il le problème de taxer toutes les transactions financières, de l’achat d’une voiture à 250 000 euros par un millionnaire au paiement d’un crayon à papier en passant par la taxation des retraits d’argent liquide aux distributeurs ? Une telle mesure "permettrait de se passer des formes archaïques de l’impôt et du prélèvement obligatoire par un seul prélèvement qui frappe tout le monde également en fonction de ses transactions monétaires." Pour éviter ensuite de créer une fiscalité à "taxation proportionnelle (flat, et non progressive)", il faut envisager une politique de redistribution efficace sous la forme de transferts de revenus ou de services des plus riches vers le plus défavorisés. Cette solution serait "le pendant fiscal" d’une politique de revenu d’existence soucieuse d’égalité. Elle reconnaîtrait aussi que la richesse n’est plus dans la production elle-même mais dans la pollinisation humaine, à la fois écologique, économique et intellectuelle


* Yann Moulier-Boutang, ‘Taxe carbone ou taxe pollen ? Pour une taxation de tous les flux financiers et monétaires’, Multitudes, no.39.