Ces lettres mettent un peu plus à nu le cœur du système stalinien et l’horreur totalitaire.

Le bourreau, c’est Staline. Ces lettres lui sont écrites au cœur de la grande terreur des années 30 par ceux qui se savent condamnés ou par leurs proches. Connus ou inconnus, ils appartiennent tous au système – agents du NKVD, bolcheviques de la vieille garde, proches collaborateurs de Staline – à l’exception notable de l’illustre poétesse Marina Tsvetaieva. Les raisons pour lesquelles ils écrivent au tyran sont diverses. L’éditeur, qui a pris soin de présenter chacun des auteurs par une courte notice explicative, a classé ces 14 lettres en six chapitres qui postulent autant de motivations : "Rompre avec le stalinisme", "Protéger ses proches", "Eviter l’arrestation"…


Mais la différence la plus nette s’établit entre ceux qui, déjà emprisonnés ou en voie de l’être, se trouvent en URSS et ceux qui écrivent d’exil. Loin de toute tactique d’apitoiement, ces derniers affichent leur "sentiment de dégoût et d’indignation" et dénoncent "le manège diabolique et sanglant" du stalinisme dans de violents libelles qui fustigent une politique inhumaine au nom même de l’idéal communiste et de ses illusions perdues. De tonalité bien différente, les lettres écrites d’URSS sont d’étranges actes de contritions qui font toucher du doigt la terreur quotidienne subie par les proches de Staline. La plupart sont rédigées sur le mode du repentir et de l’auto-accusation. "Je suis coupable, je suis coupable" répète par cinq fois Iejov : si l’on répugne à plaindre cet exécuteur des basses œuvres du stalinisme, on est pourtant saisi de pitié quand on comprend qu’il ne s’accuse que pour mieux protéger sa mère dont il doit deviner, en bon connaisseur du système, qu’il l’entraînera dans sa chute. Dans un genre mystique, la lettre confession de Boukharine entièrement tissée de références à la rédemption et au pardon est la plus incroyable ; elle campe en Boukharine un Christ sacrifié au nom du Père, Staline. Le caractère littéraire même de la lettre montre à quel point le vieux bolchevique est devenu étranger à ce monde de froide bureaucratie qu’il a pourtant créé.


Certains, toutefois, font preuve d’une grande dignité. "Je ne ferai pas un pas de plus à vos côtés" écrit Ignati Reiss, agent du NKVD. Rioutine, surtout, contrairement aux autres membres de la vieille garde, se défend bec et ongles. Mais son appel au droit dans un pays gouverné par l’arbitraire et l’assassinat témoigne de son aveuglement. Un détail dans sa lettre montre la cruauté de son sort : ses geôliers, dit-il, ne lui ont donné qu’une feuille et lui refusent du papier pour poursuivre sa défense et continuer sa lettre. Il sera lui aussi fusillé.


Dans cet océan de détresse on ne sait qui est le plus à plaindre. On pourrait ironiser sur ces chefs communistes dont l’honneur est entaché par leur connivence avec Staline et qui sont pris au piège d’une toile qu’ils ont eux même tissée. Mais le système d’oppression et de terreur mis en évidence dans ces lettres est tel qu’il glace les sangs. Du haut en bas de l’échelle sociale, nul n’est épargné et tous sont confrontés à la mort et à l’arbitraire qui les frappe. Comme l’écrit un diplomate déchu : "je suis devenu l’égal en droit – ou plutôt en non-droit – de tous les citoyens soviétiques qui, sous votre domination, vivent comme des hors la-la-loi."


Toutefois le plus terrible reste sans doute les exactions commises sur les kolkhoziens lors de la collectivisation décrite sans complaisance par l’écrivain Cholokhov, pourtant lui-même "suppôt du régime".


Violence et terreur sont les maîtres mots de ces temps de détresse. Ces lettres mettent un peu plus à nu le cœur du système stalinien et l’horreur totalitaire
 

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre.