Un livre utile qui systématise l'approche littéraire des textes néotestamentaires au risque de gommer parfois leur spécificité théologique.

Qui se plonge pour la première fois dans la lecture du Nouveau Testament est sans doute frappé, voire dérouté par l’extrême richesse d’un texte protéiforme difficilement classifiable puisqu’il revêt à la fois une dimension historique, sociale, littéraire et bien évidemment théologique. Ainsi, devant la diversité d’un corpus qui semble échapper à toute classification, le lecteur cherchera une voie d’accès aux textes susceptible de lui en assurer une meilleure compréhension.

C’est précisément ce que tente de faire le dernier ouvrage de James L. Resseguie, professeur de Nouveau Testament au Winebrenner Theological Seminary (Findlay, Ohio, USA). Auteur déjà de quelques ouvrages qui appliquent les méthodes de l’exégèse narrative aux évangiles de Luc et de Jean ainsi qu’au livre de l’Apocalypse, James L. Resseguie se propose dans L’Exégèse narrative du Nouveau Testament, traduit de l’anglais par Odile Flichy et Jacques Weisshaupt, de soumettre au lecteur une approche exclusivement narrative - et donc résolument littéraire -  du texte biblique.

Une approche littéraire du texte biblique
Dans une préface très claire et très pédagogique, l’auteur décline le contenu de chacun de ses sept chapitres. Dans sa première partie introductive, il rappelle que " la critique narrative met l’accent sur la manière dont la littérature biblique fonctionne en tant que littérature » et précise que cette critique entend « appliquer les techniques de la critique littéraire moderne à un corpus de littérature qui, pour beaucoup, fonde au plan religieux, croyances, valeurs et normes. " Si cette critique dite narrative doit être distinguée de la nouvelle critique, notamment en ce qu’elle ne refuse pas la référence à l’auteur ou aux lecteurs, elle lui doit toutefois beaucoup en mettant l’accent sur " l’unité organique d’un texte. " Le texte néotestamentaire sera ainsi essentiellement étudié à travers les notions de personnages, de rhétorique, de syntaxe, d’intrigue, d’images, de cadre,  de narrateur ou encore de point de vue. Soulignons que l’auteur insiste d’emblée sur l’aspect généraliste de cette approche en se proposant, via l’étude du Bon Samaritain de Van Gogh   , de l’appliquer à l’univers pictural.

Dans les cinq chapitres suivants, l’auteur reprend en détail quelques-uns des principaux points susmentionnés : la rhétorique, le cadre, le personnage, le point de vue et l’intrigue. Resseguie, en s’intéressant d’abord dans son deuxième chapitre à la rhétorique, ou art de la persuasion, entend souligner l’aspect profondément littéraire et travaillé des textes néotestamentaires. Il étudie ainsi très précisément, en faisant constamment référence au texte biblique, toute une série de figures de style ou tropes, depuis l’anaphore en passant par le chiasme, la comparaison, la métaphore, le malentendu, l’ironie jusqu’au carnavalesque.   Ce second chapitre se clôt, de manière très pédagogique, sur une mise en application de cette méthode narrative à partir d’une péricope extraite de Luc 24, 13-35.

Le troisième chapitre s’intéresse au cadre, lequel peut être géographique, topographique ou architectural. Dès l’introduction de ce chapitre - et c’est là essentiel par rapport à la visée de l’ouvrage -  l’auteur étudie la notion de cadre à travers un bref récit purement littéraire : " Les collines comme des éléphants blancs " d’Hemingway avant de clore son chapitre sur l’étude très intéressante du cadre dans une péricope de Marc 5, 1-20.   . Les quatrième, cinquième et sixième chapitres s’intéressent respectivement aux personnages,   , à la notion de point de vue   et à l’intrigue. On trouve notamment pour le dernier thème cité une étude intéressante de l’intrigue de l’Apocalypse mise en parallèle avec des gravures de Signorelli   et de Dürer.   . Cette étude entend montrer comment les chrétiens, confrontés à de multiples tentations et à de nombreuses  bêtes plus effroyables les unes  que les autres, rejoignent la cité céleste, à savoir la nouvelle Jérusalem. Sans jamais éluder les difficiles interprétations des symboles dans l’Apocalypse, Resseguie, toujours soucieux - et à juste titre - de décrypter les événements du livre à la lumière de ceux de l’Ancien Testament, dégage une ligne narrative claire qui n’épuise pas toutefois la richesse symbolique et littéraire du texte. Enfin, comme si l’auteur craignait de ne pas avoir été suffisamment pédagogue, l’ultime chapitre intitulé " Appliquer la critique narrative " se propose, en une dizaine de pages, d’établir la lecture narrative de l’histoire de Nicodème.

Les dangers de la seule approche littéraire
Cet ouvrage, bien que très technique, se révèle clair et pédagogique au sens étymologique du terme en ce qu’il accompagne le lecteur, presque pas à pas, dans l’analyse du texte néotestamentaire. Le lecteur y trouvera ainsi des notions littéraires (précédemment évoquées)  clairement exposées à la lumière des textes néotestamentaires. Comprenons qu’aux yeux de l’auteur, seule l’étude du texte lui-même, considéré comme un tout organique, prime sur le reste. Une telle position, qui place le texte au coeur de l’analyse, est bien sûr louable, nécessaire et déterminante.

Cela dit, et c’est là peut-être l’une des limites du livre, l’auteur, à trop vouloir souligner la dimension littéraire du texte néotestamentaire, en vient parfois à négliger sa dimension théologique. Il n’est ainsi que de considérer les études de textes purement littéraires insérées dans certains chapitres. Si de telles études présentent indéniablement un réel intérêt sur le plan technique et pédagogique, elles apparaissent beaucoup moins pertinentes d’un point de vue théologique ou d’un point de vue idéologique (pour reprendre une expression chère à l’auteur). En effet, il ne faut pas oublier que les textes néotestamentaires sont davantage que des écrits littéraires : ils n’ont pas été rédigés dans une perspective littéraire mais dans une perspective théologique et eschatologique.

Ainsi, la mise en parallèle entre trois récits purement littéraires et certains textes évangéliques tend à gommer les intentions théologiques qui ont présidé à l’élaboration de ces textes néotestamentaires ainsi que leur spécificité. Même si l’auteur s’en défend dans son introduction, la critique narrative donne  parfois l’impression de reléguer au second plan les questions - pourtant essentielles - de l’auteur (la communauté dans laquelle il a vécu) et des destinataires. Prenons à ce sujet un seul exemple : l’évangile de Luc, probablement adressé à des païens d’origine grecque, est le seul  à mentionner la parabole du Bon Samaritain étudiée de manière précise par Resseguie dans le cinquième chapitre. Toutefois,  ce dernier, dans son étude littéraire de la parabole, en minimise, nous semble-t-il, un aspect essentiel : l’origine samaritaine   de l’homme qui vient au secours du blessé, autrement dit son origine impure et socialement condamnable aux yeux des Juifs   Or, qu’un homme réprouvé de tous, vienne en aide à son prochain alors même que le lévite et le prêtre, hauts dignitaires juifs, lui ont refusé leur aide, là réside précisément la force de cette parabole. Parabole d’autant plus pertinente qu’elle s’adresse à une communauté de païens, par définition non familiers du culte chrétien. Comprenons que la parabole du Bon Samaritain peut être lue, chez Luc, comme une promesse divine : les étrangers ou les païens   , quelle que soit leur origine, sont eux aussi des enfants de Dieu qui ont leur place à part entière auprès des chrétiens et du Seigneur. Le texte ne prend dès lors pleinement tout son sens qu’à la lumière du contexte socio-culturel de l’époque.

Le livre de James L. Resseguie, en évoquant avec précision et clarté les méthodes et techniques de la critique littéraire, constitue un outil précieux pour le lecteur désireux de mettre à jour la dynamique qui sous-tend le texte néotestamentaire. Les notes bibliographiques, très denses et reprises de manière méthodique à la fin de l’ouvrage, l’index des références bibliques ainsi que la table des matières très détaillée en font sans aucun doute un ouvrage essentiel pour qui veut pousser plus avant l’analyse du texte néotestamentaire.

Pour autant, son analyse ne saurait se réduire à cette seule approche. Si le lecteur désire appréhender le texte dans toute sa richesse, il lui faudra convoquer d’autres méthodes de lecture au nombre desquelles figurent la méthode historico-critique. Car si l’on veut réellement mettre à jour la fondation d’une religion historique, il revient d’en analyser les textes pas seulement d’un point de vue narratif mais aussi d’un point de vue historique et social sans jamais oublier que les récits du Nouveau Testament sont avant tout conçus du point de vue de la prédication et non pas de la chronologie et de la narration.