Beaucoup de bruit a accompagné la sortie du Manuel pratique du terroriste en librairie. Il serait bon de se demander "pourquoi cet engouement soudain ?", analyse faite du document. 


« Démarche éditoriale culottée »   , livre à « planquer en cas de perquisition »   , ouvrage « qui fait boum »   ou encore « subversif »   . Les qualificatifs et autres descriptifs ont fleuri dans la presse généraliste et spécialisée mais également (et plus encore ?) sur la blogosphère. La raison de cet engouement ? Une « simple » publication : celle du Manuel pratique du terroriste, signé Al-Quaïda, aux éditions belges André Versaille.

Comme l'on pouvait s'y attendre, le buzz s'est propagé assez rapidement   . Et sur ce coup, l'éditeur avait tout prévu :  les motivations de cette mise en circulation étaient publiées dans une note disponible sur son site, mais également en préface de l'ouvrage. Il donna aussi un entretien au quotidien belge Le Soir et s'expliqua à la radio québécoise. Beaucoup de bruit et de débats donc, quelques jours seulement avant la sortie officielle du document. Mais qu'en est-il après lecture et avec le recul nécessaire ?

Avant tout, notons que ce document n'est rien d'autre que la traduction française du Manuel de Manchester, découvert en 2000 dans l'appartement d'un présumé membre d'Al-Qaïda. Celui-ci est assez connu des milieux spécialisés (et plus particulièrement des services secrets) qui n'ont cessé de l'analyser, pages après pages et mots après mots, pour mieux comprendre la psychologie jihadiste. Notons également que le département de la Justice des États-Unis le publia en 2005 sur son site officiel   , ce qui provoqua une première effusion de critiques. Détruisons donc le mythe : l'ouvrage n'a rien de secret ni même de confidentiel. S'il l'était lors de sa découverte, cela fait bien longtemps qu'il ne l'est plus.

De même, notons que celui-ci est plus que daté. Son écriture s'est très probablement réalisée dans le début des années 90. Certains passages sont d'ailleurs révélateurs. Dans la cinquième leçon, l'auteur énonce 5 moyens de communications possibles au sein de l'organisation : le téléphone, les contacts directs, le messager, le courrier et « quelques outils modernes comme le fax et les communications sans fil ». Aucune référence n'est faite à Internet, aux forums, aux blogs ou aux courriels. Le fax et les téléphones portables sont vus comme des « outils modernes ». Cela en dit long. Quand on connait aujourd'hui la capacité qu'ont les réseaux jihadistes à communiquer via les nouvelles technologies, ce livre peut en laisser bon nombre perplexes quand à sa dangerosité, du moins sur ce plan.

Enfin, ce livre est souvent décrit (et décrié) comme un véritable guide pour devenir un apprenti terroriste en puissance, futur assassin de civils innocents. Là encore, détruisons le mythe. Les passages au plus grand potentiel de dangerosité (comment mettre en place un attentat à l'explosif, comment assassiner une cible en plein rue, au poison, à l'arme contondante, etc.) sont censurés par l'éditeur, chose que l'on peut aisément comprendre. Si certaines parties peuvent choquer, nous pouvons pourtant admettre que quiconque détient cet ouvrage entre les mains n'en apprendra pas plus qu'avec un livre de Bakounine   , un des cahiers d'Ernesto Che Guevara   , ou, pour pousser plus loin la critique, qu'avec une bonne dizaine de films américains spécialisés dans l'espionnage et dans le terrorisme. Idem pour certains jeux vidéos suintant de violence et de meurtres...

Ainsi, si cette publication provoque tant de critiques et de débats, c'est plus parce qu'elle est le fruit d'Al-Quaïda même que pour son caractère véritablement subversif. Car comme l'avoue l'éditeur, publier ce Manuel c'est un peu comme publier Mein Kampf : une parole brute, sans fioriture de style, où les humains sont décrits comme de simples cibles. Il n'en reste pas moins que la préface de Arnaud Blin permet de contextualiser relativement bien le sujet, de ne pas s'y perdre, happé par la prédication jihadiste. La parole d'Al-Qaïda accessible à tous ne fera pas que des heureux, loin de là. De nombreuses critiques tout à fait acceptables peuvent être émises et elles seront probablement constructives. Mais cette publication a le mérite de démystifier l'organisation islamiste, de montrer l'envers du décor dans ce qu'il y a de plus clinique : l'apprentissage du terrorisme, pas à pas, gestes après gestes. Et c'est inestimable. Car faire tomber ce mouvement de son piédestal est la pire chose qui puisse lui arriver, égratignant des années de communication et détruisant l'image de marque qu'elle a pu se construire au fil du temps avec, pour paroxysme, les terribles et meurtriers attentats du 11 septembre 2001. Et pour cela sa publication est entièrement justifiée