Throbbing Gristle, formation fondatrice de la musique industrielle, a enfin les honneurs d’un ouvrage en langue française.

S’il est un groupe qui mérite d’être qualifié de "culte", Throbbing Gristle est bien celui-là. Formation séminale d’un courant musical "industriel" dont le terme a été aujourd’hui galvaudé au point de recouvrir un peu tout et n’importe quoi, premiers représentants d’une approche radicalement conceptualisée du rock, embryon créatif et pulsionnel à partir duquel s’émancipèrent des projets musicaux parmi les plus fantasques de ces vingt-cinq dernières années (Psychic TV, Chris & Cosey, et surtout Coil), Throbbing Gristle demeure néanmoins une matrice relativement ignorée, un mythe musical qui, dans l’esprit collectif, survit davantage par le canal historique que par le canal auditif.

C’est bien là tout l’intérêt du travail d’Eric Duboys dans la très intéressante biographie, Industrial Music for Industrial People, qu’il publie aux éditions du Camion Blanc : inviter le plus grand nombre à (re)découvrir l’un des groupes fondamentaux de l’histoire musicale de la deuxième partie du XXe siècle, en proposant un éclairage au près du cheminement de TG, de la source du projet – les happenings "trash" du trio Genesis P-Orridge/Cosi Fanni Tutti/Peter Christopherson au sein du collectif COUM Transmisions, directement inspiré par les actionnistes viennois (Hermann Nitsch, Otto Mühl) – à ses diverses ramifications, et jusqu’à son récent retour initié avec le concert au festival anglais All Tomorrow’s Parties de décembre 2004.

En effet, même si Eric Duboys ne fait que l’évoquer en fin d’ouvrage pour de compréhensibles raisons calendaires, la parution de ce livre en 2007 correspond à une année plutôt effervescente pour le quatuor anglais. Car parallèlement à une série de concerts et de performances donnés en Autriche, en Grèce, en Italie et en Angleterre, cette année aura vu TG publier, avec The Endless Not, son premier véritable travail discographique depuis Journey Through a Body, album posthume et improvisé, enregistré en cinq jours à Rome en 1981 mais publié seulement bien des années plus tard par le label Mute.

TG a bâti sa légende derrière la façade, virtuelle autant que physique, de son label Industrial Records, manière d’appuyer sa critique acerbe d’une société industrielle en déclin et de s’en servir comme d’un tremplin ultime pour créer rien moins qu’un genre musical à part entière. Immédiatement, toute la créativité du groupe s’est dirigée contre un pouvoir médiatique s’érigeant en maître des rapports humains, semblant reprendre à son compte les méthodes de détournement d’un Guy Debord et du courant situationniste en les confrontant à la pratique du cut-up de William Burroughs. Jouant de la force des images sur les pochettes de ses disques (voir ses références aux camps de concentration ou la sexualisation aujourd’hui impensable de la fillette sur la pochette de D.O.A.) comme dans ses tenues vestimentaires (avec le look militariste des débuts), martelant une musique le plus souvent expérimentée en live à base de collages et d’instrumentations hirsutes, TG a pris le système pour cible en même temps qu’il l’utilisait comme un moyen de diffusion de son message.

Il est donc opportun, aujourd’hui plus encore qu’hier, de se plonger dans l’histoire de ce groupe et notamment sur ces six années d’hyperactivité cruciales qu’il a traversées entre 1975 et 1981. En ce sens, l’approche rétrospective et micro-analytique adoptée par Eric Duboys, disséquant morceau par morceau, anecdote par anecdote ce véritable parcours du combattant se révèle des plus prenantes. Derrière chaque ligne, la passion érudite du fan pointe avec une force magnétique qui n’est pas sans rappeler la quête hypnotique prônée par TG dans sa musique. Par instants, on pourra reprocher à Industrial Music for Industrial People l’absence de sources originales ou inédites (des entretiens spécifiques avec les musiciens du groupe auraient sans doute permis d’apporter des compléments éclairants). Mais le travail de compilation entrepris par l’auteur n’en reste pas moins énorme, et son livre, s’il se réfère beaucoup à des articles ou des ouvrages déjà publiés en langue anglaise (notamment celui de Simon Ford, Wreckers of Civilisation: The story of COUM Transmissions & Throbbing Gristle), présente également l’atout essentiel d’être le premier en langue française entièrement consacré à TG et à sa descendance.


*crédit photo : Andrea Marutti / flickr