Le dernier livre de Fred Pearce retrace à la loupe l’empreinte écologique et sociale des produits que nous consommons et de notre mode de vie.
 

Fred Pearce, journaliste scientifique britannique, est connu pour ses nombreux ouvrages sur l’environnement, comme l’excellent Point de rupture, lauréat du Prix de l’Alliance pour la Planète en 2008, qui portait sur le climat, ou plus récemment When the Rivers Run Dry. Pearce collabore à The New Scientist. Dans le monde de l’écologie scientifique et militante, c’est une référence.

Confessions of an Eco-Sinner, est un livre sur l’empreinte écologique écrit à la première personne, un voyage dans la « chaîne de valeur », la supply chain et le cycle de vie du produit. L’ouvrage s’attache néanmoins à décrire les êtres humains qui peuplent ce cycle, interviewés et décrits en portrait. La démonstration est du reste scandée par quelques portraits significatifs :  une grand-mère sud-africaine qui élève ses petis enfants orphelins du SIDA, une responsable associative de Rosinha, célèbre favela brésilienne...

L’auteur se donne pour objectif de remonter la filière de production des produits qu’il consomme jusqu’à leur lieu de production, puis jusqu’au lieu d’extraction des matières premières. Fred Pearce applique cette démarche à tous les objets de la consommation courante : fruits et légumes, viande, poisson, crevettes,  vêtements, téléphone portable de son fils -probablement fabriqué avec des métaux trafiqués en Afrique centrale au profit de chefs de guerre… Il s’intéresse à la production, à la vente, à la distribution, aux canaux de distribution, aux canaux d’élimination. Il collecte les informations sur ces processus aussi loin qu’il le peut, en mêlant chiffres, données et défis scientifiques, et en les rapportant à des personnes aux quatre coins du monde, toutes inter-dépendantes. C’est ainsi qu’il se demande qui a fabriqué le téléphone portable de son fils en Chine, de quelle manière les composants électroniques sont « recyclés » par des enfants exposés à l’acide à Mandoli, dans la banlieue de New Delhi, en Inde. Il se rend dans ce pays pour rencontrer les producteurs du coton équitable qu’il s’achète en bon écolo anglais. Le tout forme un constat abrupt mais nuancé.

Le livre compte plusieurs dimensions. Ouvrage de journalisme d’enquête comme la France en connaît trop peu, il n’hésite pas à mettre en cause les responsables de certaines entreprises et industries au Nord comme au Sud, sans avoir pour autant d’attitude univoque ou simpliste à leur égard : les industriels de la crevette, qui détruisent la mangrove du Bangladesh et la vie de ses habitants, les entreprises textiles, qui ignorent la réalité des usines de Daka. Il fait même l’examen critique du commerce équitable, en observant que lorsque celui-ci ne fait que s’éloigner du prix du marché sans tenir compte des nécessités des producteurs, il n’est pas équitable, mais simplement moins mauvais.

Nouvelle géographie du monde des choses et des hommes, le livre humanise les produits et révèle les injustices, ainsi que les destructions nécessaires à nos produits quotidiens. Nous apprenons ainsi le destin tragique du peuple Selkup de Sibérie et les ravages infligés par l’industrie pétrolière russe à la région. Le quantité de minerai (« sac à dos » ) nécessaire à la fabrication de l’alliance de l’auteur ? Deux tonnes.


Encyclopédie, généalogie des choses banales, on y apprend le destin tragique de la banane, « clone » et anomalie génétique venue des forêts indo-malaises, vouée devant l’avancée de la maladie de Panama à une mort génétiquement programmée à courte échéance historique (le Gros Michel ayant disparu, c’est la Cavendish qui est désormais menacée…). Le lecteur découvre aussi la menace qui pèse sur les seules forêts au monde de pommiers (dans les montagnes du Tien Shen, au Kazakhstan, d’où sont venues 90% des pommes du monde) et de grenadiers (celles de Kopet Dag, au Turkménistan,), dans une Asie centrale fortement convoitée, politiquement secouée, mère de bon nombre de nos fruits et légumes (par exemple, l’abricot, la pastèque, l’amande…).. Les vergers de Garigala, au Turkménistan, domaine agronomique jadis conservé par les scientifiques Soviétiques et riche de plus de mille variétés de grenadiers, sont également menacés.

Bréviaire de l’ « empreinte » écologique, Confessions of an Eco-Sinner propose néanmoins un examen critique de cette notion, en soulignant ses diverses dimensions (« minimiser l’empreinte écologique négative, maximiser l’empreinte social positive »), mais aussi en révélant le hiatus entre l’empreinte du consommateur et celle du producteur, qui peut justifier de manger les haricots verts des Akamba de la région des Machakos du Kenya, même importés par avion. C’est en effet le passage de l’élevage à une agriculture de terrasses à l’asiatique, après les voyages des hommes enrôlés avec les Britanniques en Asie, qui a sauvé les Akamba de l’aridification annoncée de leurs terres. Aujourd’hui, un grand nombre de petits agriculteurs négocie par téléphone portable et produit pour l’exportation, en ayant amélioré son sort. Les légumes « bien de chez nous » produits dans une serre, avance Fred Pearce, consomment davantage d’énergie que les produits agricoles importés de loin. Bien sûr, les légumes de saison consomment encore moins de carbone. ! Mais même si on leur imputait l’ensemble du carbone (17 tonnes) lié au transport aérien de  leurs haricots, les quatre personnes de la famille de Jacob Musyoki, propriétaire d’une exploitation d’un hectare dans les Machokos, n’auraient une empreinte carbone individuelle équivalente à la moitié de celle d’un Britannique. Quant au problème d’eau, remarque Pearce, il est surtout lié aux inégalités de répartition et à l’absence d’infrastructures… Faut-il alors faire payer les Kenyans ou que les Occidentaux fassent eux-mêmes quelques efforts ?

Cet examen critique s’étend à la « compensation » carbone, souvent réalisée en comptabilisant le carbone capturé par des forêts déjà plantées, et dont l’effet de compensation est tout à fait contestable. Il faut donc bien choisir sa « compensation », ou plutôt, ne rien avoir à compenser… Fred Pearce fait un sort au  mythe d’une « bombe » démographique dans le monde (démenti par une transition démographique quasi universelle), en rappelant que le monde souffre de surconsommation, non de surpopulation, et que si, comme disait Gandhi, il y a « assez de place pour les besoins de tous, il n’y a pas assez de place pour la cupidité de tous ».



Mine de chiffres, de connaissances pratiques sur un monde que nous connaissons bien mal, le livre pourrait aisément donner le vertige s’il n’était assorti de récits de rencontres et de témoignages sur la condition humaine dans les différentes escales de l’économie mondiale. Si vous ignoriez le sort des habitants du Bangladesh et de sa mangrove, menacés par la mafia de la crevette, vous le connaîtrez. Si vous ne saviez pas quelle seconde vie pourrait connaître votre ordinateur dans une école africaine, vous le saurez. De  façon plus superficielle, cet ouvrage pourrait même vous permettre de briller dans les dîners en ville ! Le roman du village planétaire en format « non–fiction ».

Mais la démarche est surtout très utile, à quelques mois de la conférence des parties de Copenhague, en plein débat sur la biodiversité, et sur la diversité, la conservation et le partage des semences agricoles. Il est temps de passer aux actes de politiques qui en matière d’écologie, sont encore trop proclamatoires et par-là, trop approximatives. Derrière une démarche empirique se cache une invitation à l’examen rigoureux de notre mode de vie et de ses manifestations concrètes, sans dogmatisme : le mieux n’est pas toujours là où l’on croit, comme pour les haricots du Kenya.

Jamais fataliste, le livre s’achève sur les potentialités d’une espèce humaine prise dans un moment décisif. A l’instar d’une population d’homo sapiens réduite à 2.000 individus, mais sauvée, il y a 73.000 ans (après l’éruption du Mont Toba, la plus grande éruption en 25 millions d’années), par son organisation sociale, dans un hiver volcanique qui a duré mille ans, notre inventivité pourrait à nouveau nous guider… L’auteur cite l’ingéniosité des citadins qui produisent leur propre nourriture (1 citadin sur 4, 1 repas sur 5 étant « cultivé » dans une ville), le savoir-faire des agriculteurs nigérians de Kano, pour qui la combinaison entre la culture du pois et l’élevage de moutons a déjoué la dégradation des sols, l’inventivité des nouveaux architectes de la ville durable, définie plutôt sur le modèle de Paris ou Copenhague que de Los Angeles.

Lues sans a priori et sans snobisme, les Confessions d’un éco-pécheur peuvent ouvrir à la compréhension des produits, des hommes et de la nature qui nous entoure