Une famille de parlementaires dans la France de l’Ancien Régime.

    Sous la plume de Claire Chatelain, les mots aux consonances barbares comme « douaire », « préciput », « mariage léviratique » ou encore « fidéicommis » deviennent aussi familiers que le sont mariage, PACS, concubin ou compagnon. Cette docteure de l’EHESS livre ici une très belle étude des réseaux de parenté dans la société de l’ancienne France.

    Elle s’est intéressée à une famille liée au Parlement de Paris : cette institution n’avait aucun point commun avec ce qu’on appelle aujourd’hui le Parlement. Il s’agissait en réalité une chambre de justice. Ses membres, les juges ou magistrats, étaient qualifiés de parlementaires  et rendaient la justice au nom du roi. La famille Miron trouve donc ici son historienne. Claire Chatelain a en effet étudié la façon dont ce lignage à l’origine composé de médecins de l’ouest de la France réussit à se hisser aux plus prestigieuses fonctions du Parlement de Paris mais aussi aux plus hautes charges de la Couronne. Elle ne se contente pas de retracer l’ascension de certains membres de cette famille mais prend également en compte les parents qui ont moins bien réussi, voire échoué. L’intérêt de cette étude tient à ce qu’elle présente les dynamiques sociales (ascension et descension) de l’ensemble des branches d’un lignage, c'est-à-dire d’une parenté prise au sens large du terme.

L’économie des liens familiaux aux XVIème et XVIIème siècles

    Le livre de Claire Chatelain nous fait connaître les évolutions sociales et économiques d’une famille sur plusieurs générations. L’histoire sociale se trouve incarnée en l’espèce dans des personnages que l’on suit au gré des soubresauts et des crises du royaume de France entre le XVIe et le XVIIe siècle, depuis les guerres de religion jusqu’aux temps sévères du cardinal de Richelieu.

C’est toutefois une véritable analyse de la famille qui est ici présentée. Claire Chatelain s’intéresse à l’exercice des réseaux de parenté, c'est-à-dire aux stratégies et aux utilisations que les membres faisaient de leurs parents. Dans la société française du XVIe siècle, la famille était en quelque sorte le premier cercle d’intégration de l’individu. Il n’existait pas en dehors d’elle. Porter le nom d’une famille véhiculait une réputation, un honneur ou un rang. La famille ne constituait pas seulement un réseau de solidarité dans lequel les plus riches ou les plus favorisés portaient secours aux moins chanceux mais un cadre qui imposait des règles aux individus, comme celle de la fidélité à son lignage.

Cette étude met en valeur la place de l’univers familial dans le fonctionnement des sociétés des XVIe et XVIIe siècles. Le mariage, par exemple, faisait l’objet d’un véritable marché dont les acteurs étaient à la fois des vendeurs et des acheteurs de l’honneur ou de la richesse d’une autre famille. Les couples se formaient en fonction du niveau de fortune, de la place dans la hiérarchie sociale, ou de la proximité d’un lignage avec le roi.


La famille et les dynamiques sociales dans la France de l’Ancien Régime

    Les femmes apparaissent dès lors comme de véritables facteurs d’ascension sociale. À travers le lignage auxquelles elles appartenaient et le capital financier ou symbolique dont elles jouissaient, elles donnaient une valeur à une union ou une alliance. L’auteur emploie l’expression « pacte de famille » pour qualifier la propension des lignages à veiller sur les mariages afin de garantir le retour d’une dot au patrimoine familial si l’union envisagée ne produisait pas de fruits, c'est-à-dire des descendants.   Leur place dans la société se révèle ainsi primordiale et bien au-delà de ce qu’une historiographie a longtemps laissé entendre. En réalité, analyser la place et le statut des femmes dans les sociétés d’Ancien Régime est une difficulté de tous les instants car ces dernières se sont tant métamorphosées qu’il semble périlleux d’en donner une image précise : l’historien doit parfois emprunter à l’anthropologie pour les saisir.

    Après avoir présenté dans une première partie les différents rameaux du lignage, leurs liens et leurs évolutions, Claire Chatelain livre ensuite une analyse des enjeux d’alliances à travers les mariages, la transmission des patrimoines fonciers mais également les nombreux échanges d’offices et de prêts entre les différentes branches. Elle se penche enfin sur la transmission des biens et la valeur symbolique des maisons ou demeures familiales. Elle peut ainsi nuancer la conception habituelle du droit d’aînesse. En effet, loin d’être une règle systématique et automatique, celui-ci apparaît bien plus comme le signe d’un repli du lignage sur lui-même à différents moments, marquant ainsi sa fragilité.

    L’ouvrage de Claire Chatelain met en évidence les évolutions des dynamiques sociales sur une longue période. Des tendances se dessinent et des usages sont dévoilés sans pour autant masquer ou atténuer les trajectoires individuelles sous le poids du groupe. En creux, la question du rapport entre l’individu et la société est à nouveau posée mais avec les termes de l’époque et en évitant de plaquer sur le passé des interrogations contemporaines. L’ouvrage souligne la contradiction entre la montée en puissance de l’individu à cette époque et son impossibilité à sortir complètement du réseau familial dans lequel il était enserré.

    Au final, ce livre propose une belle analyse d’une partie la société française d’Ancien Régime. Il repose sur une documentation ample, sans tomber dans le travers de la citation de sources que l’auteur n’aurait pas vues. Le tout dans un style abordable, simple sans être simpliste et complexe sans être compliqué. Cet excellent ouvrage illustre le renouvellement de l’historiographie de la famille et la fécondité de l’histoire sociale