Un livre qui fait le point sur les interactions parents-bébé et les psychopathologies qui peuvent en découler.

Les auteurs de ce Que sais-je ? sont Bernard Golse et Luis Alvarez. Le premier est pédopsychiatre et psychanalyste, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker enfants-malades, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Paris 5, le second est chef de clinique-assistant à l’hôpital Necker enfants-malades dans l’équipe du Professeur Golse et il enseigne également à l’Université de Paris 5.

Un point sur les idées reçues.
Dans le premier chapitre, les auteurs commencent par préciser plusieurs points fondamentaux :
- Il n’y a pas de causalité linéaire entre les difficultés d’un enfant et la constatation d’un dysfonctionnement familial ou psychique des parents. Les difficultés d’un enfant ne sont pas directement et exclusivement issues des parents.
- Le clinicien ne doit pas faire trop rapidement de l’enfant le symptôme des parents.
- Pratiquer l’adultomorphisme   réduit "le mystère et l’étrangeté de la psyché du bébé".
- Quand un bébé psychosomatise, il s’agit moins d’une symbolisation du bébé par son corps que de la précipitation des contenus symboliques des scénarios fantasmatiques des parents sur leur bébé.
- Le travail clinique avec le bébé s’appuie sur son observation, le récit des parents et l’observation de leurs interactions en consultation. S'ajoute à cette phénoménologie, l'attention portée sur l’interaction parents-bébé qui fait appel à la vie fantasmatique des deux parents.
- Le bébé n’ayant pas encore la maîtrise du langage, le comportement de celui-ci est alors un indice et un révélateur de son fonctionnement psychique. Mais il ne faut pas prendre comme un signe ce qui n’est qu’indice. Cela évitera de penser, par exemple, qu’un retrait de l’interaction du bébé avec les parents est une demande d’autonomie de l’enfant, ou que la frustration du bébé est une manifestation hostile des parents à l’égard de leur enfant.
 
Les auteurs poursuivent en développant les cinq qualités de l’approche clinique du bébé : l’approche du bébé se fonde sur l’observation, elle est interactive, elle tient compte du contre-transfert, elle est situationnelle et historicisante.

 
Du nourrisson au bébé.
Le second chapitre présente les compétences du bébé qui, depuis des années déjà, a quitté le statut de nourrisson qui renvoyait au tube digestif qu’il fallait remplir, pour celui de bébé. Ce sont d’abord les compétences sensorielles du fœtus qui sont présentées :
- Le tact, canal sensitif majeur de la vie fœtale, est présent des la 7ème semaine de gestation.
- Le système vestibulaire   est présent entre la 7ème et la 9ème semaine.
- Le goût est présent dès la 12ème semaine de gestation. A la naissance, le bébé reconnaît les quatre saveurs primaires.
- L’odorat apparaît autour de la 14ème semaine. A la naissance, le bébé est sensible à l’odeur du mamelon et du lait de sa mère, ce qui pourrait l’aider à s’orienter. L’odorat est important dans le développement des interactions parents-bébé.
- L’audition fonctionne pleinement vers la 24ème semaine de gestation avec pour la particularité que la voix de la mère est la seule que le bébé entend de l’extérieur, comme toutes les autres voix (père etc.), mais aussi de l’intérieur.
- La vision est fonctionnelle dès le 7ème mois de grossesse. Après la naissance, elle nécessite qu’on présente au bébé les objets à environ 30 centimètres de lui. Par ailleurs, 95% des bébés de quatre jours suivent des objets de couleur vive, et ils préfèrent les contours des objets que les objets eux-mêmes. Le "regard sortilège"   arrive à partir de la 6ème semaine de vie du bébé.

Les compétences sensorielles ne sont pas les seules que le bébé a dès la naissance. Il a également des compétences motrices. Ainsi, quand le bébé de 10 à 30 jours est contenu par l’adulte, il peut suivre un objet (39%), voire le saisir (19%) par des gestes précis. Mais il a également des compétences sociales en respectant la synchronie et la rythmicité des échanges, et en accordant ses mouvements aux unités de base du discours de l’adulte. Ses compétences cognitives se traduisent par une mémoire motrice présente dès les premiers jours de sa naissance et on note qu’un bébé soumis à des apprentissages semble éprouver du plaisir. Surtout, il ne faut pas en conclure qu’il faut soumettre le bébé à des stimulations tout azimut !

Puis, B. Golse et L. Alvarez entrent dans une présentation détaillée des six états de vigilance du bébé, de sa variabilité individuelle et interindividuelle présentant l’irritabilité, la consolabilité et l’activité de succion, avant de parler des phénomènes d’habituation. Viennent ensuite l’homéostase et la constitution du pare-excitation avant de conclure ce chapitre par le travail psychique du bébé. En outre, ils précisent qu'un bébé qui devrait élever son seuil de perception du fait d'une trop importante stimulation (des parents ou autres), se protègera contre ces stimuli excessifs mais, cela le retirera également des échanges interactifs.


Du couple aux parents.
Le troisième chapitre s’intéresse aux compétences des parents, mais aussi à l’enfant imaginaire et l’enfant fantasmatique. L’enfant imaginaire est celui que les parents peuvent assez facilement se représenter, imaginer. En revanche, l’enfant fantasmatique est lié au fantasme   des parents et appartient donc davantage au domaine de l’Inconscient des parents. Après la naissance de leur enfant, les parents vont devoir concilier l’existence des deux enfants, imaginaire et fantasmatique, avec leur bébé réel.

Puis vient une partie sur la dynamique psychique de la grossesse, la transparence psychique de la femme enceinte, la préoccupation maternelle primaire etc., mais aussi les considérations autour du devenir père. Les auteurs font remarquer que chez l’homme, le désir d’enfant se fait très souvent dans le doute et la négation, en attribuant le désir d’enfant à leur compagne. La grossesse de celle-ci vient alors réactiver l’angoisse de castration de l’homme, ce qui serait source de conflits, voire de séparation du couple. On retrouve parfois aussi le syndrome de la couvade chez l'homme, avec une prise de poids, lombalgies, nausées, vomissements, constipation…

Les interactions entre les parents et le bébé.
"L’interaction est le lieu de rencontre entre les enfants imaginaires et fantasmatiques des parents avec l’enfant réel". Mais pas seulement, l’interaction est aussi biologique avec l’état d’exception immunologique de la grossesse où le corps maternel ne rejette pas le fœtus comme corps étranger à elle. Ces interactions sont également comportementales ou éthologiques   , affectives par la communication unimodale ou transmodale d’affects de la mère au bébé. Il y a aussi des interactions fantasmatiques et protosymboliques quand les parents prêtent à leur bébé une volonté de communication comme, par exemple, quand sous le réflex de préhension, leur bébé saisit le doigt du parent.

Face à ces interactions, peuvent survenir des troubles de la relation précoce. Les situations de carence ont été étudiées en suivant le paradigme décrit par R. Spitz avec "l’hospitalisme" et la théorie de l’attachement de Bowlby. Le Professeur B. Golse et L. Alvarez présentent aussi les dépressions maternelles, qu’il ne faut pas confondre avec le post-partum blues qui arrive au troisième jour après la naissance de l'enfant et qui est vécu par 60% des jeunes mères. Il y a également les psychoses maternelles (préalable ou puerpérale) et la situation des parents ayant une personnalité état-limite.

Les entités psychopathologiques du bébé.
Dans ce long chapitre, les deux auteurs passent en revue, sur la base des indices tels que nous l’avons précédemment souligné, les symptômes et comportements relevant des diverses situations psychopathologiques possibles du bébé. En laissant au lecteur l’intérêt de les découvrir à la lecture de ce Que sais-je ? n° 3810, indiquons seulement que B. Golse et L. Alvarez présentent de façon très précise les troubles alimentaires du bébé : anorexie, mérycisme, vomissement psychogène, la situation des troubles alimentaires dans les familles à problèmes multiples et le reflux gastro-œsophagien. Viennent ensuite les troubles du sommeil et les différents types d’insomnie, les terreurs nocturnes et les cauchemars, puis les troubles à expression psychomotrice : hypotonie, retard psychomoteur, instabilité motrice, troubles à expression psychosomatique, coliques du premier âge, les spasmes du sanglot. Ce sont ensuite les troubles du développement du langage avec les retards simples et, enfin, les troubles de nature dysphasique.

Ce chapitre se termine par ce qui surprendra peut-être le plus le lecteur non averti, à savoir les dépressions du bébé. En premier lieu, les auteurs resituent dans l’histoire des idées le concept de dépression du bébé. Ils développent ensuite le noyau symptomatique, les carences quantitatives et qualitatives, les discontinuités interactives, les mécanismes de défense, les dépressions primitives, avant de présenter les questionnements autour de l’étude des dépressions du bébé. Enfin, ce chapitre se termine par les bébés à risque autistique.

Les approches thérapeutiques.
Cet ouvrage se termine par la présentation des différentes approches thérapeutiques, commençant par l’ethnopsychiatrie. Puis, nous pouvons découvrir la consultation thérapeutique (S. Lebovici), les psychothérapies parents-bébé avec les psychothérapies conjointes d’inspiration psychanalytique, les interventions à domicile, et l’hospitalisation conjointe en unité mère-bébé.

Conclusion
Ce petit ouvrage a le grand mérite de présenter de façon claire et pédagogique l’état actuel du travail et de la recherche dans le cadre de la psychiatrie du bébé, pratique très souvent sous-tendue par les apports de la psychanalyse. Car, si le bébé ne parle pas, ce qui semble l’exclure du champ d’action de la psychanalyse, il est néanmoins "parlé" par ses parents (approche lacanienne), mais également imaginé, fantasmé et mis en interactions de façon complexe et variée avec ses parents, comme nous le présentent ici B. Golse et L. Alvarez.

Enfin, ceux et celles qui souhaiteraient davantage se documenter sur la question, outre les très nombreuses références citées dans ce Que sais-je ?, les publications d’articles sont nombreuses, les livres également, mais il est aussi possible de se reporter au site internet du service de pédopsychiatrie de l’Hôpital Necker Psynem, ou encore de suivre les enseignements du Diplôme Universitaire de psychiatrie infantile (et périnatale) de la faculté de médecine de Paris 5 à l'hôpital Necker enfants malades.