Un atlas sur l’Antiquité tardive et les rapports entre Rome et les Barbares.

L’Atlas de Rome et des Barbares (IIIe-VIe siècle) publié aux éditions Autrement vient combler une lacune d’importance dans cette collection bien commode. Il y constitue le troisième ouvrage relatif à l’Antiquité romaine mais reste le premier à s’intéresser directement à la période de transition entre l’Antiquité romaine et le Moyen Age occidental, tout en plaçant la focale sur les relations entre l’Empire romain et les différents peuples qui l’entourent. Son auteur, Hervé Inglebert, professeur d’histoire romaine à Paris-Ouest Nanterre-La Défense et spécialiste de la période, a été aidé dans cette tâche par Claire Levasseur, qui a notamment collaboré à la réalisation de plusieurs autres atlas dans la même collection.

Tordre le coup aux idées reçues sur la fin de l’Empire romain en Occident

Divisé en six parties de longueur égale et qui représentent grosso modo une progression chronologique, l’ouvrage se concentre tout particulièrement – comme l’indique à vrai dire son sous-titre – sur la fin de l’Empire romain en Occident, un phénomène long, difficile à appréhender pour le non-spécialiste, et à propos duquel les représentations erronées ne manquent pas. C’est du reste à une entreprise de correction des erreurs communes que semble d’abord s’attaquer l’auteur tout au long de cet atlas. Ainsi, pour ne prendre que les exemples les plus connus, rappelons que Rome n’est pas morte en 410 (date de la prise de Rome par les Wisigoths d’Alaric) ou même en 476 (déposition du dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustule). De même, les déplacements de peuples durant l’Antiquité tardive ne relèvent ni des Völkerwanderungen (migration de peuples) parfois mythifiées outre-Rhin, ni des « invasions barbares », terme souvent utilisé en France et repopularisé naguère par un film homonyme.

Bien entendu – c’est l’atout de cette collection – les quelques 80 pages de l’Atlas font la part belle à presque autant de cartes, riches en informations et qui viennent appuyer et compléter le texte, concis et écrit dans un style simple et alerte. Pour autant, l’iconographie est loin de se cantonner à la cartographie, et les infographies de tous types,  les citations d’époques, les plans de villes, les monnaies et autres schémas complètent utilement et habilement le propos tout en permettant d’avoir un aperçu aussi large que ludique de la question. Cela est d’autant plus bienvenu dans un ouvrage relatant un bouleversement historique essentiel et la disparition, ou du moins la transformation, d’un monde, phénomène qui mêle bien évidemment les aspects politiques, militaires, économiques, sociaux et culturels.

L’atlas s’ouvre par quelques pages destinées à éclairer les concepts-clés de la période et à tordre le cou aux idées reçues, tout en plantant le décor du monde impérial romain jusqu’au IIIe siècle. L’auteur s’attache ainsi à exposer les problèmes historiographiques actuels sur la question, mais s’intéresse également à des thèmes plus surprenants au premier abord et qui ne manqueront pas de passionner le lecteur, comme les différences entre les cartographies antique et moderne et les représentations qu’elles induisent. Mentionnons d’ailleurs dès à présent que l’ouvrage s’achève sur quelques pages d’utiles annexes, notamment une bibliographie d’une cinquantaine de titres, une chronologie et un glossaire.


Le cœur de l’atlas est constitué par la narration, l’explication, et la représentation cartographique des événements qui ont conduit à la disparition, à la « fin » de l’Empire romain d’Occident. L’auteur retrace ici les mouvements des peuples barbares, du moins ce que les sources en laissent transparaître, mais aussi l’évolution interne du monde romain, à travers sa christianisation ou le rôle de l’armée dans l’Empire. Ce passage en revue des protagonistes est agrémenté au fil des pages de courtes synthèses qui illustrent les formes très différentes que peuvent prendre les relations entre les Romains et les peuples qui les entourent, relations dont la gamme utilise tout le spectre des possibles entre l’indifférence et l’opposition frontale. Cette partie ne manque pas non plus de dresser un portrait de la situation par zone géographique, quitte à rassembler les provinces en grands ensembles pour mieux percevoir les enjeux stratégiques qui les lient les unes aux autres.

Pour autant, l’évolution de long terme – du IIIe au Ve siècle – qui conduit à la fin de l’Empire n’est pas linéaire, loin s’en faut, et les crises provoquées par les barbares ont parfois pu être surmontées, en Occident certes, mais surtout en Orient, où l’Empire romain n’a disparu qu’un millénaire plus tard, dans un contexte radicalement différent.

Le quatrième chapitre, qui conclut cette partie et s’intitule modestement « Les Romains, les Huns et les Germains : un jeu politique tripartite », s’attache en réalité à décrire de manière beaucoup plus large les ultimes bouleversements du Ve siècle. Il est d’ailleurs à maints égards tout à fait captivant en ce qu’il montre bien que les relations et les oppositions entre les différents peuples varient en fonction du temps, et sont beaucoup moins tranchées et claires que l’on pourrait l’imaginer de prime abord. Ainsi, loin de l’image d’Epinal d’un Attila sanguinaire venu tout droit des confins de l’Asie, l’auteur rappelle que les Huns sont présents depuis quelque temps en Europe (à partir du dernier quart du IVe siècle) et qu’ils ont par exemple pu aider les Romains contre les Germains, avant de se retourner contre les Romains, qui firent alors alliance avec… les Germains.

Rome après Rome

La dernière partie de l’ouvrage décrit ce que l’on pourrait qualifier de « fin après la fin » : en effet, après la disparition progressive mais définitive d’un pouvoir autonome en Occident, lent processus à l’intérieur duquel 476 reste une date essentielle, deux formes de survivance de l’Empire coexistent. D’une part, à travers l’Empire romain d’Orient qui aspire, lorsqu’il a les mains libres, à reconquérir les provinces occidentales. D’autre part, à travers les royaumes barbares, nés sur le territoire de l’Empire défunt et formés par des barbares – tels le royaume vandale d’Afrique ou celui des Wisigoths dans la péninsule ibérique – mais qui gardent certains traits de la romanité, y compris en termes de légitimité politique comme en atteste l’exemple d’un Clovis.

L’atlas s’achève par plusieurs pages de synthèse qui reviennent sur la fin du monde romain antique autant que sur la genèse du haut Moyen Age en Occident et de l’Empire byzantin en Orient, en particulier économiquement et culturellement. Le dernier mot est à l’empereur Justinien (525-565), et plus précisément à l’historien contemporain Procope   , qui relate ainsi la (re)prise de Rome par le général byzantin Bélisaire dans son Histoire des Guerres : « Rome fut donc à nouveau aux Romains après soixante ans, le neuf du dernier mois […] en la onzième année du règne de Justinien ». Rome était à nouveau « romaine » – c'est-à-dire byzantine – pour quelque temps, mais l’Empire romain d’Occident n’était plus.

L’Atlas de Rome et des Barbares rendra beaucoup de services aux étudiants d’histoire, en particulier sa riche cartographie, et il passionnera tous ceux que l’Histoire et ses grands bouleversements intéressent