Une œuvre à vocation pédagogique cherchant à démystifier ces organisations politiques.
 

Un animal politique difficile à cerner.

Cet ouvrage doit avant toute chose se lire comme une œuvre pédagogique. Les auteurs cherchent à mettre en perspective un phénomène politique et tentent une analyse comparée entre différents pays. La pédagogie de cet ouvrage réside dans le fait que les auteurs s’essaient à une définition objective de ce que recouvre ce terme de « think tank ». Parfois utilisé à tort, souvent utilisé comme outil marketing pour valoriser une hypothétique force de frappe intellectuelle, le terme de « think tank » fait office de fourre tout dans lequel il était nécessaire de remettre un peu d’ordre sans pour autant négliger ou dévaloriser toute tentative de mise en place de structures intellectuelles innovantes.

Pour cela, l’ouvrage met en avant neuf critères permettant d’opérer un premier tri. Car les organisations appelées « think tank » ne sont pas les seules structures à vocation intellectuelle. Parmi ces neufs critères, nous n’en retiendrons que quelques uns qui permettent rapidement de mettre en perspective ce type d’organisation. En effet, un think tank est un organisme permanent dont la vocation est de produire des solutions de politiques publiques à l’échelle d’une nation ou d’une zone géographique déterminée. Cette structure doit posséder son personnel propre. La permanence de cette structure associée à du personnel dédié est un élément primordial.

Selon les pays, il y a une culture de l’indépendance plus ou moins forte. Cette notion d’indépendance est également interprétée différemment selon les pays. La légitimité d’un think tank est parfois corrélée à son degré d’indépendance vis-à-vis de l’Etat comme par exemple aux Etats Unis où l’expertise privée ou citoyenne a d’abord été perçue comme une alternative à l’omniscience de l’Etat fédéral. Mais cette question de l’indépendance est en réalité un faux problème car l’indépendance pure et parfaite n’existe pas. Les think tanks sont comme toutes les autres formes d’organisations liées quant à leurs genèses à des conditions historiques et sociales déterminées. Vouloir en faire des objets sociaux désincarnés n’aurait pas de sens et l’on s’éloignerait des raisons historiques et donc politiques de leur existence.

D’ailleurs, les auteurs traitent de manière approfondie les conditions historiques d’apparition des think tanks et dressent même une chronologie exposant les principales vagues de création de think tanks aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et dans une moindre mesure en France et en Europe. On constate en effet qu’il existe une corrélation entre les grandes crises du vingtième siècle (guerre, crises économiques…) et l’émergence de ces structures dont l’une des vocations est de penser le monde d’après.

Afin de rendre le phénomène think tank plus intelligible, les auteurs s’essaient à une typologie intéressante. Typologie qu’ils avaient déjà mise en avant lors de la première édition en 2006. Quatre catégories de think tanks sont ainsi définies : les advocacy tanks, les think tanks de parti politique, les think tanks sous contrats et les think tanks universitaires. Cette catégorisation a le mérite de dresser un périmètre qui existe effectivement et pose les bases d’un cadre analytique sans chercher pour autant à le figer.

De l’influence des think tanks…

L’une des nouveautés de cette édition réside dans cette tentative d’élargir le champ de l’étude et d’y inclure la situation dans des pays aussi divers que la Russie, l’Inde, la Chine après avoir mis en lumière la situation aux Etats Unis et en Europe.
Les auteurs ont bien compris que même si les think tanks ont d’abord émergé au sein des démocraties libérales d’occident, les enjeux liés à leur existence et le combat pour les idées dépassent dorénavant le cadre restreint de ces démocraties et ce notamment par le biais de ce que les auteurs nomment la « diplomatie intellectuelle ». On regrettera seulement que cette notion n’ait pas été plus approfondie et explicitée considérant l’émergence de nouvelles puissances. Par ailleurs, un parallèle avec les notions de soft/smart power de Joseph Nye aurait pu être intéressant.

Derrière cette expression de « diplomatie intellectuelle », on retrouve l’idée d’influence. Les auteurs affichent quelques exemples de cette capacité d’influence. Ces derniers n’arrivent pourtant pas à masquer la vrai difficulté d’établir une paternité fiable à une idée ou une proposition de politique publique tant le circuit des idées, des prises de décision est complexe.
L’ouvrage démarre néanmoins sur le cas d’influence d’un think tank néoconservateur américain qui aura changé la face du monde en ce début de XXIème siècle à savoir le PNAC, Project for New American Century, qui a directement conduit à l’invasion de l’Irak par les troupes américaines en 2003. Ce projet, mûri et mainte fois annoncé par les néoconservateurs durant toute la décennie 90, aura trouvé son détonateur avec les attentats du 11 septembre 2001 fournissant notamment à l’administration Bush un cadre propice au conflit avec la notion de guerre préventive face à une opinion publique vengeresse et donc aveugle.
Ces questions de l’influence et du combat autour des idées sont également largement utilisées pour expliquer le retard de l’Union européenne et de ses membres en matière de think tanks. A l’exception notable de la Grande Bretagne qui a été le berceau historique de la constitution des think tanks à la fin du XIXème siècle, les auteurs considèrent que de manière générale l’Europe n’est pas bien armée dans ce qu’ils nomment la « guerre des idées ». Ils prennent notamment pour exemple la Grande Bretagne qui est considérée comme l’une des nations les plus eurosceptiques mais qui en même temps apparaît comme être l’une des plus influentes auprès des institutions européennes.

De là pointe une certaine contradiction des auteurs qui regrettent le faible nombre de think tanks dits « sérieux » et « rigoureux » face à une croissance de ce qu’ils nomment les advocacy tanks qui sont de véritables machines idéologiques au service de dogmes qu’ils soient politiques, économiques ou sociaux. Comme si les think tanks dits sérieux ne véhiculaient pas eux-mêmes une part d’idéologie. Croire, en effet, que des think tanks aussi sérieux que Notre Europe ou Bruegel par exemple soient libres de tout présupposé est difficilement tenable. Les auteurs mêlent a priori deux choses différentes à savoir d’une part la capacité d’un Etat à influencer les institutions européennes et d’autre part la faiblesse du nombre de think tanks traitant des questions européennes. Les think tanks sont parfois utilisés par des nations dans le cadre de ce que l’on nomme le soft power. Il ne faudrait pas pour autant réduire leurs rôles à de simples faire-valoir de la politique de leur pays.

 

Pour conclure, cet ouvrage représente une introduction intéressante pour qui veut en savoir plus sur les think tanks. Les personnes averties n’apprendront pour leur part que peu de choses. Nous pouvons regretter que certains points importants comme le mode de financement des think tanks n’aient pas été approfondis.
La forme originale de l’ouvrage est également à souligner dans la mesure où les démonstrations sont également accompagnées d’interviews de personnalités politiques ou issues directement des think tanks. Aux vues des volumes insignifiants d’ouvrages en langue française consacrés aux think tanks, cette deuxième édition plus étoffée que la précédente a le mérite de rendre compte d’un animal politique qui essaime de plus en plus en Europe continentale et dans d’autres parties du monde pourtant non concernée il y a encore quelques dizaines d’années. Cela démontre, si besoin en était, que loin d’être anodin, le combat autour des idées demeure et se fait même de plus en plus intense

 

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