Un premier ouvrage - recueil d’analyses et de témoignages - consacré à la trajectoire "en création" d’un grand metteur en scène. Pour un lectorat avisé.

Dessiner la trajectoire de l’homme par son œuvre. Penser les métamorphoses de la création. Ouvrir à nouveau les yeux sur des spectacles rangés dans les mémoires. Voilà ce à quoi nous convie cet ouvrage qui vise à déconstruire le geste théâtral de Claude Régy et les éléments qui le constituent.

Sans être une biographie, cette réflexion collective permet d’approcher l’homme, car l'oeuvre figure ici comme le résultat d’un questionnement et d’une manière d’être au monde. Dans cette perspective, cet ouvrage propose d’évoquer "une pratique du théâtre qui ne s'inscrit pas", de dessiner les contours d’une œuvre de scène et de plateaux qui invite à repenser les liens entre théâtre et création, entre l’espace de représentation et le spectateur. C'est enfin une plongée dans l'univers de la fabrication théâtrale, guidée par la trajectoire de ce créateur singulier.

Dramaturge et metteur en scène, Claude Régy est une figure essentielle du paysage théâtral français. Il présente sa première mise en scène à 30 ans après avoir été l’assistant d’André Barsacq au théâtre de l’Atelier. La singularité de son parcours se lit surtout dans son intérêt pour les écritures contemporaines françaises et étrangères qui l’ont conduit à s’intéresser à des auteurs aussi divers que Marguerite Duras, Peter Handke, Sarah Kane ou Jon Foss.


Une démarche collective et scientifique

D'analyses théoriques en témoignages, ce livre – enrichi d'un DVD d'archives (photographies, extraits de films, documents sonores…) particulièrement utile pour accompagner la lecture – s'adresse bien plus au spécialiste qu'au profane tant il livre une analyse fouillée et minutieuse du geste créatif de Régy. Cela s’explique en partie par la nature scientifique des analyses dont les principaux contributeurs constituent "le noyau dur" des chercheurs en histoire et en esthétique théâtrales. S’ajoute à cela – et ce malgré l’apport visuel du DVD – une difficulté majeure pour celui qui n’a pas en images au moins une des pièces de Régy, car les analyses présentées s’appuient d’abord sur les matériaux visuels ou sonores, avant de déboucher plus largement sur une théorisation de la démarche artistique du metteur en scène.

Pourtant malgré ces difficultés, et pour celui qui accepte de s’y plonger, la lecture même désordonnée de ces textes permet d’appréhender une esthétique tout à fait singulière, dans laquelle résonne en creux une réflexion stimulante sur le théâtre et la manière dont sa "mise en scène" se construit.

Au-delà de l’esthétique, une métaphysique du théâtre ?

Les textes qui composent cet ouvrage s’articulent autour de plusieurs thèmes clés à entendre comme une métaphysique du théâtre de Régy : l’espace, le temps, l’individu et le groupe, le texte – vecteur de parole – et le silence.

Déconstruire l’œuvre et la pratique, en tentant de montrer ce qui fait sens pour le créateur et d'éclairer les raisons de ses choix s’avère tout à fait passionnant. Si le spectateur est témoin de la représentation, il l’est rarement du cheminement mental et problématique du metteur en scène.

Tout au long de sa carrière, Régy a mené une intense réflexion sur l’espace et la représentation. Le traitement qu’il en propose est en effet très personnel et facilement reconnaissable. Dès la fin des années 70, le plateau est vide, dépouillé, visant l’abstraction et une perte de matérialité toujours troublante pour celui qui regarde. L’analyse déployée par Chantal Guinebault-Slamowizc (Maître de conférences à l’Université de Metz et scénographe) montre que cette volonté est en outre dictée par un désir de réinventer le lien entre le spectateur et la scène, qui passe par une réécriture de la frontalité et la recherche d’un "espace mental".

Chez Régy, l’œil s’ajuste, l’oreille aussi. Son attachement pour les écritures contemporaines son respect pour les auteurs et leurs textes conduisent à une véritable recherche sur la matière poétique et sa mise en voix. "Entendre ce que le langage fait sans le dire"   résonne ainsi comme une nécessité et une antienne toute mallarméenne. A cet égard, on retiendra les deux textes d’Henri Meschonnic qui éclairent de manière limpide les liens entre poème et théâtre dans le travail de Régy.

En refermant cet ouvrage exigeant, l’impression qui domine est celle d’un cheminement éclairé aux côtés de Régy et d’un questionnement renouvelé sur le traitement de l’espace théâtral. A l’issue de cette traversée, s’embarquer pour la prochaine pièce qu’à près de 85 ans celui-ci présentera au Festival d’Avignon – Ode Maritime de Fernando Pessoa – pourra être une autre étape. Pour voir, entendre et remettre en perspective, ce qui a été dit.