Dans la veine de ses précédents essais sur le lyrisme, Jean-Michel Maulpoix explore les dispositions critiques de la poésie moderne et contemporaine.

Après Du lyrisme (2000), Le Poète perplexe (2002), Adieux au poème (2005), Jean Michel Maulpoix continue sa réflexion sur les métamorphoses et la remise en question de la voix lyrique. Il prône dans son nouvel ouvrage un lyrisme critique : on pourrait croire à une contradiction dans les termes, commence par préciser l’auteur, mais il s’agit pourtant d’aborder la poésie sous un angle essentiel : son inquiétude. Sous l’angle de la conscience de soi désenchantée des poètes modernes et contemporains. « Ni aveugle ni sourd ni innocent, le poète ne s’abandonne pas naïvement au flux désordonné de son inspiration et de ses sentiments. Il se fait analyste, exerce volontiers son ironie, et met à l’épreuve dans son poème la capacité de la langue à faire face au réel. » Le lyrisme critique atteste un dédoublement de la voix poétique, qui ne peut plus continuer l’antique mouvement de célébration, pas plus qu’elle ne peut se contenter de s’abandonner à ce qui la « charme ». La poésie se grève d’un souci, elle « creuse plus qu’elle ne célèbre », s’ouvre à ce qui la rend impossible ou dérisoire, au soupçon qui pèse sur elle, et par ce même mouvement de prise en charge, elle résiste et survit. La poésie hésite, est tentée de se taire, parfois elle se ridiculise elle-même, mais à tout le moins se distingue par sa lucidité. Elle ne peut plus célébrer que « malgré tout », que consécutivement à une prise de conscience tragique, que comme une issue de secours. C’est dans la première partie de l’ouvrage, l’idée de lyrisme critique est ainsi approchée, en réflexions d’ordre général, jamais dénuées d’élégance, tantôt aphoristiques et peut-être aussi, parfois, un peu abstraites et cédant à la formule. De même, un point de vue plus strictement historique aurait sans doute aidé à cerner plus précisément la spécificité de la notion, sa naissance, son évolution. Il faut pour cela se reporter aux précédents ouvrages de l’auteur.

La diversité des pratiques littéraires et des œuvres que Jean-Michel Maulpoix rassemble dans la seconde partie de l’ouvrage, « Le lyrisme à présent », ne manque pas de surprendre. Il y traite globalement de toute la production littéraire française du XXe et de ce début de XXIe siècle : de Saint-John Perse, Yves Bonnefoy ou Segalen à Emmanuel Hocquard, Philippe Beck, Valère Novarina… Des tentatives souvent très différentes, et des manières de concevoir l’écriture et la poésie parfois opposées. Une bigarrure d’exemples qui n’aide pas à approcher avec précision la notion. C’est donc plutôt en diagnosticien que se pose Maulpoix, qui fait l’inventaire de tous les symptômes d’une poésie aux prises avec elle-même. Et il a le mérite de considérer toute la variété de la production poétique contemporaine, d’en dégager les principales problématiques et de s’attarder sur des revendications parfois déconcertantes, quand elles ne sont pas délibérément antipoétiques. En cela, Maulpoix assume tout à fait, avec une grande qualité d’écoute, le vœu d’accueillir « l’extrême contemporain », qu’il formule dans son introduction.

C’est surtout grâce à ses lectures que se distingue l’ouvrage de Jean-Michel Maulpoix, qui propose de remarquables analyses donnant des exemples pertinents de lyrisme critique à l’œuvre. Prise de conscience de ses égarements, retour plein de lucidité sur l’œuvre accomplie, le moment critique du lyrisme peut être un simple soubresaut, un basculement du poème, une révolution dans l’écriture ou bien une disposition éthique du poète. On regrettera peut-être l’absence d’un chapitre sur Baudelaire : certes Maulpoix n’oublie pas celui qui le premier a donné à entendre « un lent étranglement du chant », mais ne le cite que ponctuellement.

Toutefois, qu’il s’attache, comme pour Verlaine, au cadre restreint d’un seul poème, ou bien avec Rimbaud, à donner une interprétation générale d’Une Saison en enfer et des Illuminations, Maulpoix allie la rigueur à la finesse. Il consacre de belles pages à René Char, et sa poésie résistante. Il rappelle que le poète avait choisi de ne pas publier de poèmes durant la guerre – déclarant ne pas vouloir céder aux faciles effusions d’intentions, ce « détestable exhibitionnisme » des intellectuels –, alors qu’il combattait aux côtés d’autres résistants. La résistance est une dimension éthique fondamentale dans l’œuvre de Char. Résistance contre la haine facile et l’absurde, qui fait de la poésie un devoir d’exploration de la vie et de sa contingence. « Résistance n’est qu’espérance. » écrit le poète : une exigence qui confère sa dimension critique à sa poésie.

Perse, Guillevic, Réda, Goffette, Jaccottet sont aussi étudiés en détail. C’est aussi l’occasion de découvrir le poète québécois Jacques Brault, dont Maulpoix fait une présentation pleine d’attention et de sensibilité. Brault écrit ne connaître que des joies quotidiennes, banales, son existence est celle « d’un mourant en chemin parmi ses semblables. » Une poésie du consentement à la finitude et au hasard, dont on aurait aimé lire des extraits significatifs. Enfin, avec une petite étude sur l’écriture dense et le rythme effréné de la poésie d’Alain Duault, l’ouvrage se clôt sur quelques textes de facture plus personnelle : deux hommages à Valéry (qu’il aime « pour toutes les raisons qu’on a de l’oublier ») et Gracq, puis une variation sur la notion d’oxymore. Une fin qui accentue la coloration proprement littéraire de l’ouvrage, qui est la marque spécifique de la collection « En lisant en écrivant », et qui rappelle que Maulpoix est aussi poète, auteur d’une œuvre conséquente.

Moins théorique qu’empirique et sensible (ce qui est tout sauf un défaut), Pour un lyrisme critique constitue une somme intéressante de réflexions sur les différentes manières d’être critique de la poésie… mais pas toujours du lyrisme. On attendrait parfois une meilleure définition en amont du lyrisme de chaque poète (ce qui est très bien fait pour Verlaine ou Perse, moins pour Jaccottet, par exemple) afin justement de mieux saisir la nature véritablement lyrique des mouvements critiques que décrit et commente brillamment l’auteur

 

Ouvrage publié avec l'aide du Centre national du livre.