Le pamphlet de Julien Dray taille un costard aux éléphants, à Hollande et à Jospin. On pourrait reprocher à Dray de régler ses comptes... mais il assume. Et a failli se retrouver ministre de Sarkozy.

Julien Dray n'est pas le plus populaire des socialistes. C'est une tautologie de la sociologie politique : les portes-flingues et les snipers des différents partis n'ont jamais une grande côte d'amour. Pourtant, l'homme a une belle carrière : enseignant-chercheur, ancien président de SOS-Racisme, député depuis 1988 et vice-président du Conseil régional d'Île-de-France. Bon, il grossit parfois un peu le trait, comme sur la 4e de couverture de Règlement de comptes où il est bombardé conseiller spécial de Ségolène Royal pendant la campagne présidentielle alors qu'il était en fait conseiller chargé de la coordination des portes-paroles. Mais ceci n'a pas grande importance : les titres ne sont que des surnoms, comme l'écrivait Thomas Paine.

Le sixième livre de Julien Dray s’intitule donc Règlement de comptes. Pourquoi ce titre ? « Tant qu’à faire, soyons clairs » explique l’auteur. Chose promise, chose due : le porte-parole du PS règle bel et bien ses comptes dans ce livre, publié ce mercredi 14 novembre chez Hachette-Littératures.

Réaction à L'Impasse de Lionel Jospin, ce livre est un pamphlet qui taille un costard aux éléphants, à Hollande et à son prédécesseur, dont « la fuite devant l’insupportable humiliation » de 2002 n’évoque que mépris pour Julien Dray, qui confirme par ailleurs que Ségolène Royal a proposé à François Hollande d'être son directeur de campagne pour la présidentielle et que celui-ci a refusé d’un simple mot : « impossible ». On y apprend aussi que Nicolas Sarkozy a proposé au député de l’Essonne d'entrer au Gouvernement, le jour même du second tour des législatives, deux heures avant le résultat des élections.

Sur la forme, on remarque que l’ouvrage a sans doute été écrit à plusieurs mains et qu’il souffre d’un trop grande envie de briller. A commencer par les latinismes : un toutes les deux pages dans l’introduction et ça continue ensuite : pro domo, in fine, mutatis mutandis, ex-voto, horresco referens… Un peu lassant, tout ça. S’accumulent aussi pas mal de virgules et de notes de bas de pages, comme un étudiant le ferait dans un mémoire de maîtrise. On se demande à quoi ça sert : Dray n’a pas besoin des références bibliographiques (surtout de celles de ses camarades socialistes) pour que son point de vue soit entendu.


La dame en blanc

D’entrée de jeu, l’auteur justifie son livre par une réaction épidermique au dernier livre de Lionel Jospin et aux « arguments d’une bassesse inhabituelle » employés par ce dernier qui ajoute au moulin de ceux qui stigmatisent Ségolène Royal comme un personnage de droite. Dray rappelle à juste titre que le candidat de 2002 lui-même reconnaissait que son programme n’était pas vraiment de gauche et pas du tout socialiste : le droit d’inventaire devrait donc s’appliquer aussi à celui qui le revendiquait tant vis-à-vis de Mitterrand.

Julien Dray relate la genèse de la candidature de Ségolène Royal. Entre le congrès de Dijon qui fut « un rendez-vous raté » et François Hollande qui ne se prononce « jamais clairement » sur une éventuelle course à l’Elysée, certaines opportunités naissent et des écuries se créent. Autour de Laurent Fabius, porte-étendard du non au referendum européen. Autour de Dominique Strauss-Kahn, qui entend jouer sa popularité pour s’imposer. Concernant Ségolène Royal, cela semble plus long : dans les débats entre amis, elle propose de nouvelles idées pendant que François Hollande mise sur le rejet de la droite, qui semble inéluctable. Un soir, la présidente de Poitou-Charentes commence à s’imaginer un destin national (page 28).

Extrait :
« Ségolène provoque François :
- Alors, quand est-ce que tu vas te décider à annoncer ta candidature, puisqu’il paraît que tu es le seul à pouvoir rassembler le parti ?
Son compagnon rit et lui rétorque :
- Honneur aux dames.
Un ange passe. Très calme, Ségolène répond :
- Et pourquoi pas…
Ce soir là, elle est habillée tout en blanc. J’y repense aujourd’hui. »


Ségolène et François

Le député de l’Essonne est un ami du couple depuis 1984, son regard est donc intéressant sur les deux personnalités. François Hollande, on le sait, est un apparatchik brillant et cultivé. Ségolène par contre s’ennuie ferme dans les réunions d’appareils et mise sur son contact avec le public, ce qui lui permet de devenir une des personnalités politiques préférées des Français bien avant 2004 ; cette information invalide au passage la thèse de Jospin selon laquelle « la Madone du Poitou » serait une création des sondages en 2006.

Le congrès du Mans, en 2005, vise clairement la candidature Hollande en 2007 avec la mise en place d’un « contrat de gouvernement ». Mais le Premier secrétaire se fait désirer… et devancer, faute d’action : « arrivé sur les rives du Rubicon, il s’est contenté de contempler l’onde amère ». Pour autant, et malgré les difficultés du couple (déjà connues de tous en 2006, selon Dray), Ségolène Royal souhaite que le chef du PS soit son directeur de campagne. Mais ce dernier refuse (« impossible ») et la pagaille commence chez les socialistes : pas d’organigramme officiel, pas de corrélation entre le parti et l’équipe de campagne, etc.

Le troisième chapitre est l’occasion d’une nouvelle charge contre Jospin, « faux modeste qui prépare son retour en 2005 », après avoir déjà fait explicitement comprendre à Julien Dray qu’il souhaitait revenir lors d’un déjeuner… en 2003 ! S’ensuit donc une attaque en règle du réquisitoire jospinien et des détracteurs de Ségolène Royal. Comme Jean-Luc Mélenchon qui l’accuse de profiter des adhérents à 20€, qui ne sont pour lui que des « koulaks ». Ou comme Claude Allègre, qui reproche à la candidate de « suivre l’avis de Mme Michu ». Pourtant, Royal l’assume parfaitement : Mme Michu l’intéresse, car elle vote et elle parle vrai.

Selon Julien Dray, la démocratie participative est la clé de la popularité de Ségolène Royal : « la ferveur populaire s’est purement et simplement nourrie de la proximité retrouvée ». Car il insiste : Ségolène Royal a bel et bien fait une campagne sociale. Favoriser les emplois sécurisés, lutter contre la vie chère, rompre avec l’assistanat… Autant de mesures inscrites dans le projet collectif du PS, pourtant descendu en flammes par ses auteurs !


Les éléphants

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Julien Dray n’est pas tendre avec les « enfants gâtés du mitterrandisme » avec qui il n’est « jamais question d’idées, mais toujours de pouvoir » et qui ont torpillé la campagne présidentielle au motif qu’ils n’y trouvaient pas leur place ni leur futur marocain ministériel. Allègre avouera même qu’il est prêt à « tout faire pour la faire battre » tandis que Fabius joue la vierge effarouchée et méprisée. De son côté, DSK traite la candidate de « bonne femme creuse » avant, en plein cœur de la campagne, de partir deux semaines au Canada pour faire du ski.

Mais le député de l’Essonne ne fait-il pas partie de ces pachydermes ? « Pour ce qui est du physique, je le reconnais (sourire) ». (Oui oui, les parenthèses sont dans le texte…) Et puisqu’il se veut lucide, Dray reconnaît que les torts sont partagés et qu’il règne autour de Ségolène Royal une « inorganisation rampante », entre une absence d’organigramme clair et une bicéphalité bancale avec François Hollande. En effet, il serait difficile de prétendre le contraire…


De Versailles à Villepinte, en passant par la gare du Nord

Après avoir jeté des pavés et des fleurs, force est de reconnaître que Sarkozy a réussi sa mutation en présidentiable lors de son investiture à la candidature UMP, en parvenant à mettre en scène un gaullisme social qui lui est bien étranger. A ce triomphe sarkozyste s’ajoute pourtant une nouvelle bévue socialiste : François Hollande jette le trouble sur les questions de fiscalité en déclarant qu’il n’aime pas les riches ! Il ajoute même qu’on est riche à partir d’un revenu de 4000€ par mois. Et les socialistes, dans un concours d’intelligence, s’engueulent dans tous les sens, en comparant le coût de la vie à Paris et à Tulle. On ne pouvait imaginer pire scénario.

Ah si, on pouvait imaginer pire en la personne d’Arnaud Montebourg qui déclare que le défaut de Ségolène Royal, c’est son compagnon. La petite phrase, largement relatée dans les médias par le biais d’une Nadine Morano « jamais en reste d’une vacherie », contribuera largement à entretenir la pagaille entre Solférino et le « 2-8-2 », QG de campagne des ségolénistes. Malgré tout cela, Julien Dray dédouane François Hollande et met sa phrase sur le compte de l’erreur plutôt que du calcul : « je n’ai jamais cru à un François Hollande complotant contre sa compagne et organisant ainsi sa défaite ».

La campagne zappe d’un thème à l’autre, mais l’un d’entre eux est récurrent : la sécurité. Et les émeutes du 27 mars 2007 à la gare du Nord ne vont rien arranger, surtout quand Sarkozy saisit la balle au bond pour vilipender « le laxisme de la gauche » et que les ténors socialistes encouragent leur candidate à laisser tomber le thème de la sécurité pour se recentrer sur le social. Julien Dray enrage : c’est un spécialiste des questions de sécurité et il n’a jamais accepté que les socialistes pensent qu’il s’agit là d’un thème de droite alors que « la finance génère le désordre pour mieux se déployer ».

Selon l’auteur, l’ordre juste a un sens : créer un ordre public social et produire de la justice. « Quand la gauche prend en charge les problèmes de sécurité, elle ne fait pas une incursion sur le terrain de la droite ». Car la gauche met la sécurité au cœur de son projet de société au même titre que l’aide sociale : une société où l’on peut vivre tranquillement sans haïr ni craindre son voisin. Il va même jusqu’à saluer Manuel Valls qui « a raison de dire qu’il y a des contradictions à surmonter » chez les socialistes.


Derniers combats… puis Sarkozy

Le soir du 1er tour, c’est la douche froide : Sarko franchit les 30%. Forte participation donc pas de réserve chez les abstentionnistes et très peu de voix à gauche pour assurer un report triomphant. Julien Dray est clair : « il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que c’est autour de l’électorat de Bayrou que résiderait une partie de la solution ». Il s’annonce ainsi comme farouche partisan d’un rassemblement arc-en-ciel qui va de Bové à Bayrou mais là encore, il considère les socialistes comme trop hésitants. On connaît la suite.

Selon Dray, diaboliser Sarkozy lui rend service car il peut alors jouer la victime au lieu de justifier ses choix : « ne lui faîtes pas l’honneur d’un procès en sorcellerie ». Il insiste, même : Sarko n’est ni un facho ni un nazi, « pas même en version light » ; c’est un homme pragmatique qui prend ce dont il a besoin là où il a besoin, dans une stratégie de « coup d’éclat permanent », selon le bon mot de François Hollande. Et il précise également que pour le nouveau président de la République, l’ouverture n’est pas une idée neuve : elle remonte à 1994 quand il débauchait des personnalités de gauche au profit de Balladur. C’est pourquoi il n’a pas été plus étonné que cela lorsque Nicolas Sarkozy l’appela le 17 juin 2007 pour lui proposer un ministère (page 177). Chose qu’il n’acceptera jamais, précise-t-il ensuite.

Extrait :
« - Si tu veux me présenter tes condoléances pour ma défaite, attends encore deux heures !
- Tu vas être réélu car il y aura un rééquilibrage et c'est normal. Mais là, je veux te parler de toi.
Ca me fait rire.
- Tu veux gagner ton pari, c'est ça ?
- Oui, je veux que tu entres au gouvernement. Je veux que mon élection soit utile pour le pays. Je veux faire des réformes sur lesquelles il peut y avoir des majorités d'idées, pour cela, j'ai besoin des meilleurs et je ne veux pas m'en priver. Mes amis sont bien sympathiques, mais on n'y arrivera pas si on continue la logique bloc contre bloc. Je suis désormais au-delà de ça. J'ai besoin de toutes les compétences avec moi. Tu feras ce que tu veux.
- J'espère que tu ne te fais pas trop d'illusions.
- Non, mais réfléchis, on ne sait jamais. »


Et maintenant ?

Après avoir brocardé les uns et encensé les autres, reste le difficile exercice de la perspective. Mais Dray assume, et propose, aux antipodes d’un gauchisme qui lui a valu tant de critiques. Pour lui, il y a trois piliers majeurs dans l’avenir du PS et de la France. Le premier : il faut encourager la démocratie participative avec un retour du peuple au centre des préoccupations. Le second : il faut oublier les foules et reconnaître les individus pour ce qu’ils sont. Le troisième : il faut une VIème République qui mette en place un régime parlementaire et une décentralisation intelligente qui valorise « l’intelligence des territoires ».

Ainsi, Julien Dray rejoint les rénovateurs du PS. Selon lui, il faut conserver le dispositif des adhérents à 20€ et encourager encore plus de gens à venir grossir les rangs socialistes. On peut même s’étonner lorsqu’il condamne les vieilles pratiques d’un parti qui s’effondre avec ses codes et ses jeux d’appareils ne visant que le pouvoir. Car il ne fut pas le dernier à fomenter des coups de Jarnac. Mais, semble-t-il, le député a retenu la leçon : « il faut changer, ou mourir ».



* Disclaimer : Rémi Raher est chercheur en science politique. Pendant la campagne présidentielle, il travaillait comme conseiller technique au sein du cabinet du président de la Région Pays de la Loire, où il est actuellement chargé de mission.

** Correction : dans un message adressé à Rémi RAHER, Julien DRAY souhaite préciser qu'il a bien occupé le poste de conseiller spécial de Ségolène ROYAL. Pour être précis : il a d'abord eu le rôle, dans la première équipe restreinte (annoncée le 28 novembre 2006), de Conseiller chargé de la coordination des porte-paroles, mais a ensuite été nommé Conseiller spécial dans l'équipe du Pacte présidentiel mise en place le 23 février 2007.