Une synthèse éclairante de Paul Payan sur le Grand Schisme qui fit l'Europe au début du XVe siècle.

Paul Payan est maître de conférences d’histoire médiévale à l’université d’Avignon. Spécialiste d’histoire religieuse, nous lui devions déjà un « Saint Joseph »   . Il vient donc d’avoir l’heureuse idée du présent livre, devenu bien nécessaire après le monument (4 volumes!…1896-1902), toujours irremplaçable et irremplacé, de Noël Valois, après, également, les travaux d’Edouard Perroy, d’Hélène Millet, d’Armand Jamme, quelques colloques importants   , et quelques thèses récentes ou en cours d’achèvement   .
Livre accessible cette fois, visiblement destiné aux étudiants et au grand public : pas de bibliographie monstrueuse, pas de débauche de notes infra-paginales et, en fin de volume, une chronologie et un index pour faciliter l’utilisation du livre. Au centre de l’ouvrage, une dizaine de reproductions, en couleur, de fresques, d’enluminures, dont certaines très connues (la Nativité des Très Riches Heures du Duc de Berry), et d’autres moins (les trois images peintes pour illustrer le De magno schismate d’Antonio Baldana). Un seul regret : l’auteur n’indique pas toujours la provenance des dites œuvres. Or, le lecteur aimerait sans doute pouvoir retrouver aisément le retable de la Crucifixion de Melchior Broederlan ou la Vierge de Miséricorde de Pietro de Montepulciano.


Livre d’histoire d’abord, d’histoire religieuse médiévale. Dès l’introduction, Paul Payan a raison de bien distinguer ce schisme de ses prédécesseurs. Ici, point d’origines dogmatiques comme ce fut le cas dans le passé avec l’arianisme, le donatisme, le pélagianisme, ou encore, au début du XIIe siècle, avec le schisme d’Anaclet. Le Grand Schisme, lui, manifeste une crise juridique et politique d’une longueur exceptionnelle (près de quarante ans) et d’une rare ampleur. Toute l’Europe chrétienne du Portugal à la Pologne, de l’Angleterre à la Sicile, est progressivement concernée. Les implications sont évidemment considérables, tant sur le gouvernement de l’Eglise romaine, sur la vie spirituelle du clergé et de millions de fidèles, que sur l’évolution politique de ces États modernes en train de naître (Angleterre, France, Empire, bientôt Espagne), sur les pouvoirs du pape, du concile, des souverains séculiers, sur les institutions qui en permettent l’exercice, et enfin sur certaines conceptions théologiques (christologie, Eucharistie, Immaculée Conception par exemple), sur la sainteté, la mystique, et les formes de dévotion.

Les chapitres 9 et 10 rappellent fort justement quelques-uns de ces bouleversements. Paul Payan qualifie donc le Grand Schisme de « crise de croissance »   .
Après un rapide rappel de l’histoire récente de l’Église (aux XIIIe-XIVe siècle, durant la période avignonnaise surtout) dans les deux premiers chapitres, nous voici (chapitre 3) à la mort de Grégoire XI (27 mars 1378), qui venait tout juste de ramener la papauté sur les bords du Tibre. C’est l’élection d’Urbain VI (7-9 avril 1378), bientôt suivie, à Fondi cette fois, de celle de Clément VII (20 septembre 1378). Deux papes pour une seule Chrétienté. Certes, depuis le début de son histoire, l’Église avait déjà connu une bonne trentaine d’antipapes, mais cette fois c’est toute l’Europe chrétienne qui, aussitôt, se divise. Guerre de Cent Ans aidant, l’Angleterre choisit de soutenir Urbain VI, tout comme l’Empereur Wenceslas, tandis que la France de Charles V, la Castille de Jean Ier, l’Aragon, et la Navarre de Charles le Mauvais, optent pour Clément VII. Sans parler des pays qui hésiteront, et passeront de l’une à l’autre obédience : la Flandre, le royaume de Naples, déchiré par la rivalité entre Louis d’Anjou et Charles de Duras, le Portugal qui, de « clémentiste », devient, en l’espace de quelques mois, « urbaniste », sous la pression anglaise, et en raison de sa rivalité avec la Castille. Sans parler, enfin, des nombreuses villes (Florence, Milan) ou « pays » (Irlande, Scandinavie, Pologne, Rhodes, Chypre), où les noyaux rivaux coexistent tant bien que mal. Deux Europes donc. Mais la carte de la page 76 ne doit pas faire illusion : la division ne fut jamais solidement fixée, au contraire. Ce qui contribue très vite à rendre toute solution impossible, c’est que de part et d’autre, au sein de chacun des deux camps, juristes, canonistes, théologiens se mobilisent, fournissant à chaque pape des arguments de même poids pour justifier leur légitimité.


Comment sortir de l’impasse ? Trois solutions possibles : la voie de cession (démission des deux concurrents), le compromis négocié par des arbitres, ou la réunion d’un concile général. Il faudra, on le sait, plus de vingt ans pour trouver la voie de sortie, et les efforts de quelques grands théologiens de l’Université de Paris. Conrad de Gelhausen et Henri de Langestein posent, dès 1380, les bases de la solution conciliaire, mais il faut attendre le début du siècle suivant pour que, grâce, entre autres, à Dietrich de Niem, à Francesco Zabarella, à Pierre d’Ailly et Jean Gerson surtout   , et à quatre conciles (Pise en 1409, Rome en 1413, Constance entre 1414 et 1418, et Bâle entre 1439 et 1449), triomphe enfin la « via conciliaris ».

Entre-temps, les papes se sont succédés dans les deux camps, jusqu’au jour où un troisième pape, Alexandre V, est même élu, sans que les cardinaux aient pu obtenir le retrait des deux autres ! Le recours aux armes, dans le royaume de Naples, autour d’Avignon assiégée par Boucicaut, ainsi que la soustraction d’obédience, à laquelle la France eut recours de 1398 à 1403, montrent l’impuissance des cardinaux.


Le Schisme ne prit véritablement fin qu’avec l’ élection de Martin V (novembre1417), le décès de Benoît XIII (mai 1423), et l’abdication de Clément VIII. Mais une telle crise politique avait changé bien des choses. Le Schisme avait été le réceptacle des affrontements politiques du siècle : guerre franco-anglaise, guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, conflit entre la papauté et les États. Peut-on trouver des responsables ? Pour l’auteur, Charles V en fait partie   ; mais l’ambition de certains cardinaux (Jean de la Grange), de certains princes (Louis d’Anjou, Charles de Duras, les ducs d’Autriche, les empereurs Wenceslas et Sigismond), la personnalité, enfin, de quelques-uns de ces papes, au règne parfois très long (Grégoire XII est mort à presque 90 ans !), ou au redoutable entêtement (Benoît XIII), doivent aussi entrer en ligne de compte.


Concluons: une crise politique et religieuse grave, profonde, qui a contribué à modifier le fragile équilibre des pouvoirs en Europe. Il ne faut plus chercher le pouvoir suprême à Rome, comme au temps de Grégoire VII ou d’Innocent III, pas plus qu’auprès des empereurs, comme au temps de Barberousse ou de Frédéric II. Voici venu le temps des rois et des États. Et l’auteur de conclure: « L’Europe est née à Constance »