Une anthologie du théâtre français très bien faite, qui offre un panorama complet de la vie culturelle du XIXe siècle jusqu’aux scènes contemporaines.

Les éditions L’avant-scène théâtre ouvrent avec Le théâtre français du XIXe siècle une collection d’histoire du théâtre français qui comprendra cinq volumes. À voir le livre, on se dit « Tiens, Lagarde et Michard sont de retour ! » ; et effectivement, l’anthologie publiée sous la direction d’Hélène Laplace-Claverie, Sylvain Ledda et Florence Naugrette est un manuel. Mais un bon manuel, même un excellent manuel, et qui plus est, un vrai manuel d’histoire du théâtre et non un simple recueil de textes théâtraux.  Cette anthologie rend au théâtre français du XIXe siècle son statut de spectacle vivant, et ce de deux façons : en replaçant les spectacles dans leur vie de l’époque, et en offrant un aperçu de leur vie aujourd’hui. "Considérer comme essentiel et permanent le lien qui unit le texte théâtral et sa représentation"   , c’est le principe énoncé pour la conception de l’ouvrage, principe respecté de bout en bout.

L’ouvrage est divisé en deux grandes parties chronologiques : la première va des décrets impériaux qui fixent le cadre légal de l’institution théâtrale à la révolution de 1848 qui met fin à certains idéaux romantiques ; la seconde va des modifications du paysage théâtral sous le Seconde Empire jusqu’à 1901, date de publication de L’Arbre de Claudel, recueil emblématique d’un tournant esthétique dans l’écriture théâtrale. Au sein de chaque partie, le découpage se fait par genres. Si cette répartition est parfois fatalement un peu réductrice, voire surprenante (Alfred Jarry est placé parmi les grandes figures du symbolisme   , et la formule qui sert à expliquer ce choix n’est pas des plus claires ni des plus convaincantes   , mais il est vrai que, dans un ouvrage de ce type, il faut toujours placer les inclassables quelque part et après tout l’important est qu’ils ne passent pas à la trappe ni à la machine à décerveler). Pour chaque genre, une introduction fournit un cadre historique et culturel, et est suivie par l’anthologie proprement dite, textes choisis assortis d’une présentation, d’un bref commentaire et, le cas échéant, si la pièce a donné lieu à une mise en scène récente, de la rubrique "du texte à la scène" ou un metteur en scène contemporain donne son point du vue sur le texte. À cela s’ajoutent un dictionnaire des auteurs   , un dictionnaire des metteurs en scène   , un glossaire théâtral   , deux cahiers iconographiques, une bonne bibliographie à la fin des introductions de chaque chapitre ou au sein de celles-ci.

Une envie paradoxale d'exhaustif

Le choix des textes répond au pari, ambitieux et même paradoxal pour une anthologie, de proposer un aperçu qui soit le plus complet possible : on trouve les extraits de chefs d’œuvre passés à la postérité (Hugo, Labiche, Feydeau, Claudel...), mais une place importante est réservées aussi aux succès du moment (Eugène Scribe), à des auteurs aujourd’hui inconnus sinon des spécialistes de la période, ainsi qu’à des extraits de pièces d’auteurs plus connus pour leurs romans que pour leur production dramatique (Balzac, Dumas, Zola...), ainsi que des extraits de livrets d’opéras et d’opérettes qui ont rarement leur place dans les anthologies exclusivement littéraires.

 

Les introductions sont à la fois précises et synthétiques (les lecteurs avides d’une plus grande érudition peuvent se reporter à la bibliographie complémentaire). Elles offrent un aperçu très détaillé de la vie théâtrale française (et essentiellement parisienne) du XIXe siècle. On y parle des grands courants artistiques (romantisme, naturalisme, symbolisme...) qui ont donné naissances à divers types d’écriture dramatique, avec des textes théoriques qui complètent les exemples offerts par l’anthologie, mais aussi des conditions matérielles de représentation des spectacles. Le fonctionnement des institutions, la vie des comédiens, le développement de la critique et ses enjeux, les débuts de la notion de mise en scène, bref, tout ce qui fait du théâtre un corps vivant est passé en revue et analysé.

La vie en marche

Mais la plus grande originalité de cette anthologie est sans doute que les spécialistes universitaires qui l’ont conçue donnent la parole à des metteurs en scène contemporains. Ceux-ci proposent des commentaires des textes choisis qui peuvent se présenter sous la forme d’une analyse de l’extrait donné dans le recueil, de réflexions plus générales sur la pièce en question, sur son auteur ou sur le genre auquel elle appartient, ou encore – et ce sont les textes les plus intéressants – expliquent concrètement les solutions de mise en scène qu’ils ont adoptées pour la scène qu’ils commentent. Si beaucoup des mises en scènes citées sont extrêmement récentes (par exemple L’Échange par Julie Brochen au Festival d’Avignon 2007 ou Cyrano de Bergerac par Denis Podalydès à la Comédie Française en 2006), une place est aussi laissée à quelques grands noms du XXe siècle qui n’ont pu, faute d’être encore en vie, rédiger un texte ad hoc pour l’anthologie. On trouve ainsi dans la rubrique "Du texte à la scène" des extraits des notes de mise en scène de Jean Vilar pour Lorenzaccio (Festival d’Avignon, 1952)   , de celles d’Antoine Vitez sur Hernani (Chaillot, 1985)   . Quant au témoignage sur la première mise en scène de Tête d’Or (par Jean-Louis Barrault à l’Odéon en 1959), c’est le comédien Laurent Terzieff, alors interprète de Cébès, qui s’en charge   .

Certes, les petits classiques contiennent depuis longtemps des photographies de mises en scènes et les manuels scolaires de littérature, du moins les plus récents, font souvent des renvois à des mises en scène, l’originalité de ce volume sur le théâtre du XIXe siècle peut donc ne pas apparaître si lumineuse. Mais ce qui distingue cette anthologie, c’est que plus qu’un manuel de lycée qui périme au rythme des changements de programmes scolaires, elle a vocation à demeurer un ouvrage de référence, et pas seulement pour les lycéens. On attend avec impatience la parution des autres volumes de cette collection