L'auteur voit dans la crise actuelle une crise classique de suraccumulation, que le capitalisme a de plus en plus de difficultés à surmonter.

Sommes-nous dans une crise financière, une crise des débouchés ou une crise de suraccumulation ? L’auteur   penche pour la dernière option. Sa démonstration n’emporte toutefois pas totalement la conviction, ni les mesures qu’il préconise.

L’instabilité du capitalisme et sa fuite en avant

L’auteur s’emploie dans le premier chapitre à montrer que le capitalisme est par nature instable lorsqu’il est livré à lui-même. Une instabilité d’autant plus forte que celui-ci occupe désormais tout l’espace social, avec la généralisation du salariat et la mondialisation de la production, et qui est encore accrue par la financiarisation de la consommation. Le deuxième chapitre décrit “la fuite en avant” des États-Unis contraints, une fois la régulation fordiste démantelée, “pour maintenir la demande lorsque la récession menace [de] pousser à toute force les dépenses des ménages vers le haut par la réduction de leur épargne et l’accroissement de leur endettement.”   . Ce qui oblige parallèlement l’économie américaine à trouver à l’étranger les capitaux nécessaires à son financement, auprès des pays, la Chine en tête, auxquels elle offre à la fois d’importants débouchés et un moyen de placement de leur épargne (dollar oblige). Non sans risque que n’éclate tôt ou tard une crise de surendettement, qui affecterait en premier lieu le dollar. “La crise actuelle est celle de la nouvelle économie qui continue, car cette crise n’a pas été surmontée, mais seulement stockée dans les déséquilibres accumulés.”   , explique l’auteur.

Les liens entre la finance et l’économie réelle

La suite nous met au cœur du sujet. “Un petit détour par Le Capital” et les deux circuits A-P-A’ et A-A’   que distingue Marx permet à l’auteur de préciser les liens complexes qu’entretiennent la finance et l’économie réelle. “A-A’ est centré sur l’argent, A-P-A’ sur la production et, le fond de l’affaire, c’est l’unité et la contradiction entre les deux formules. Il y a unité, car le capital n’est accumulé qu’en vue de son accroissement (A-A’), mais (à une échelle sociale) il ne peut obtenir cet accroissement qu’en produisant, c’est-à-dire en suivant le chemin A-P-A’. Il y a contradiction, car le capital tend en permanence vers A-A’ […] tout en étant constamment ramené vers A-P-A’”   , explique l’auteur. En définitive, la finance et les crises financières en particulier dépendent de l’économie réelle. “Bien que le circuit financier (A-A’) tende en permanence à s’autonomiser par rapport au circuit de production, c’est quand même ce dernier qui, au bout du compte, dicte ses conditions.”   . C’est parce que la régulation fordiste a été démantelée (pour cause de baisse des taux de profits), qu’“il a fallu mettre en place une nouvelle façon de réagir aux défaillances de la conjoncture (le “pilotage par les taux d’intérêt”) et inventer, dans la foulée, une nouvelle finance qui permette de répondre aux sollicitations de taux d’intérêt poussés au plancher.”   . Ainsi balayée (probablement un peu rapidement) l’idée que la crise actuelle trouve son origine dans la finance, on peut s’attaquer à l’idée qu’il s’agit d’une crise des débouchés.

Une crise des débouchés ?
 
La thèse selon laquelle nous serions en face d’une crise des débouchés (liée à une baisse avérée de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis le début des années 1980) qui aurait alors été combattue par l’accroissement de l’endettement des ménages, n’est pas totalement convaincante. En effet, si l’on considère uniquement les États-Unis, entre 1980 et 2005, c’est plutôt la chute du taux d’épargne (que l’accroissement de l’endettement) qui aura soutenu la consommation, explique l’auteur. En outre, les données existantes pour les années 1990 révèlent “que la chute du taux d’épargne global des ménages est presque entièrement due à la réduction du taux d’épargne des […] 20% de la population disposant des revenus les plus élevés”   . Mais les données utilisées s’arrêtent en 2000.

Ceux qui défendent cette hypothèse de “crise des débouchés” expliquent que ce partage inégal de la valeur ajoutée a également entraîné une surabondance de profits à la recherche des placements rémunérateurs, qui se sont alors reportés sur la spéculation financière. Mais, là encore, les données disponibles ne semblent pas conforter cette thèse, dans la mesure où l’on n’observe pas de baisse de la part des profits investis   sur la période   . Finalement, “la thèse des profits abandonnant l’investissement pour la finance ne paraît pas très assurée. Celle d’une crise des débouchés non plus”   .

Une crise de suraccumulation, mal digérée

L’auteur défend alors la thèse d’une crise de suraccumulation, soit “d’une accumulation de capital qui s’effectue à un tel rythme qu’elle ne peut maintenir dans la durée le taux de profit escompté par les apporteurs de capitaux”   , qui est la forme que prend, dans la plupart des cas, l’instabilité capitaliste, selon lui. Mais en faisant remonter cette crise non plus au début des années 1980 mais à la “nouvelle économie” et donc à la seconde moitié des années 1990 (l’auteur évoque des crises intervenant selon une périodicité de sept à dix ans). Marx a plutôt fait porter ses analyses sur les crises de sous-consommation (ou de débouchés) ou, si l’on considère le long terme, sur les crises de profitabilité (ou de valorisation). “Pourtant, mettre en avant la crise de suraccumulation, c’est en quelque sorte revenir aux fondamentaux”   marxistes, aux circuits du capital (cf. ci-dessus) et à la contradiction qu’ils révèlent, écrit l’auteur. “Les conditions de la production (donc A-P-A’) disent qu’il faut arrêter d’accumuler mais, tout à son rêve, le capitalisme préfère oublier ce message déprimant, et faire comme si cette contrainte n’existait pas […]. C’est ainsi que nous entrons dans la crise de suraccumulation […] Dire la crise capitaliste, ce n’est dont qu’une autre façon de dire la tension entre (A-P-A’) et (A-A’), véritable contradiction constitutive du capital.”   , conclut l’auteur.

Les trois derniers chapitres appellent peu de commentaires. Ils sont consacrés à l’explication de la crise financière et de son déroulement depuis l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis, aux mécanismes de transmission de celle-ci à l’économie réelle qui se sont mis en branle, et aux plans de sauvetage et de relance décidés par les États. Ils traitent en effet de choses que l’on a pu lire ailleurs   dans des termes qui ne sont guère différents.

Des préconisations radicales

La conclusion tire les conséquences de la discussion concernant la nature de la crise dont nous avons rendu compte ci-dessus. Elle le fait comme si le diagnostic dictait les mesures à prendre, sans examiner autrement leurs effets probables. Elle écarte les mesures de relance de la demande (sur lequelles l’auteur sera passé extrêmement rapidement) pour se concentrer sur des mesures davantage structurelles. “Il faut, tout d’abord, maîtriser la finance”   , explique l’auteur, qui se montre partisan de mesures particulièrement sévères à son endroit, qui comprendraient notamment l’interdiction de la titrisation, la renationalisation d’un nombre significatif de banques en position dominante et une limitation drastique du rôle des Bourses. Il faut reréguler l’économie réelle, de façon à “modérer la flexibilité à la baisse” qui joue en cas de crise, et donc stabiliser le marché du travail (en rétablissant la prépondérance des CDI et en encadrant strictement les licenciements), revoir le partage de la valeur ajoutée, garantir le pouvoir d’achat des salariés (y compris par l’instauration d’une échelle mobile) et reconstituer des services publics dignes de ce nom   . Enfin, la crise actuelle rend nécessaire, selon l’auteur, la remise en cause de la propriété privée des entreprises, le retour à une planification en matière économique, qui prenne en compte les contraintes environnementales. Elle appelle également une nouvelle définition des échanges internationaux et un encadrement des flux commerciaux   .

Le lecteur pourra penser que des mesures de cette ampleur auraient certainement besoin d’une justification plus forte que celle que nous livre l’auteur. Mais sa position a le mérite d’être exprimée clairement, et même si on ne partage pas toutes ses thèses, ce petit livre, agréable à lire, devrait permettre d’aider tout un chacun à se contruire son point de vue (à condition de ne pas s’en tenir à lui)