Un ancien acteur de ce mouvement revient de manière encyclopédique sur l’histoire du punk: une sorte de Comédie humaine quelque peu destroy.

Punk : étymologiquement, "minable" ; dès 1970, "tout groupe visant à retrouver l’énergie originelle du rock’n’roll". Aussi, quand les Sex Pistols émergent en 75, le mot n’est-il déjà plus inédit. Le punk lui-même n’est déjà plus très punk : évidé à mesure de son mythe –  brillamment détaillé dans le Dictionnaire raisonné du punk. Un dictionnaire du punk ? "Raisonné" qui plus est ? Alors que le punk est tout sauf raisonné ; il est totalement déraisonnable, d’une manière aussi novatrice que percutante. "C’est juste un pied de nez à tous les travaux universitaires parus sur le rock depuis quelques années. Il me paraissait assez drôle de rapprocher un mouvement prônant le chaos, du terme "raisonné", utilisé par Diderot pour qualifier son dictionnaire." explique Pierre Mikaïloff. Ce dernier a commencé, très jeune, à lire Rock & Folk et Best, fantasmant devant "ces photos sublimement outrageantes qui arrivaient d’Angleterre", puis s’est essayé lui-même au punk en tant que guitariste du groupe eighties Les Désaxés. Depuis, il ne l’a jamais vraiment quitté.

Il nous explique ainsi en détail les musiques punk (des Avderts au label Ze Records), les looks (les hand me down, les Creepers), l’espace-temps (1976, Mont-de-Marsan, Gibus), les lectures (Creem avant tout !), les drogues (l’héroïne ou le Quaalude). Grande place est surtout accordée aux nombreuses figures qui ont gravité dans la sphère punk, d’une manière ou d’une autre. "Il y avait des personnages dont je n’avais pas eu de nouvelles depuis 1980 ! Il a fallu que j’enquête, comme un privé. Je suis allé à la rencontre des gens dans les bars, traquant l’info : "Qu’est devenue telle personne, que faisait-elle en 1977, qui fréquentait-elle ? etc."… Ce fut long mais passionnant." Aux côtés de Sid Vicious, Patrick Eudeline ou Malcom MacLaren figurent donc, tout aussi charismatiques, Edwige, Soo Catwoman ou Captain Capta. Mais n’est pas punk qui veut. A contrario, Valéry Giscard d’Estaing (!) ou encore Les Bonnes de Genet trouvent ainsi leur place dans ce dictionnaire aux allures de Comédie humaine quelque peu destroy. Leur présence tisse une trame narrative à ce qui aurait pu être une simple énumération encyclopédique mais qui se lit comme un roman. Se dessine également, de A à Z, une certaine poésie du langage et des mots punks : Some bizzare records, Les lolos de Lola, Poly Magoo, Fuzzbox, Mélodies Massacres. L’affect s’en mêle aussi lorsque la plume vibre des émotions de l’auteur : admiration, ironie, colère, passion et même compassion… Et pour cause : "La dernière fois que le punk m’a vraiment touché, c’était pendant la rédaction de ce dictionnaire, nous confie Mikaïloff. Je réécoutais tout et, à chaque fois, j’étais bouleversé comme au premier jour par l’impact de singles comme Blank Generation de Richard Hell, White Riot des Clash ou Boredom des Buzzcocks."
 
Expérience, souvenir et écriture romanesque se distinguent ainsi à travers le parti pris passionné et communicatif de l’auteur. Ce livre est d’ailleurs une excellente occasion d’apprécier son sens de l’humour (et de la moquerie !) quand il évoque les hippies, Bill Grundy et surtout Billy Idol : "Il y a ce stade où la bêtise ne peut même plus passer pour une manifestation du génie. C’est précisément le stade Billy Idol."

Selon Mikaïloff, les mots qui qualifient le mieux le punk sont "search and destroy". C’est ce qu’il a fait, quelque part, en détruisant une structure narrative, celle du dictionnaire, en recherchant au plus profond de son sens. Ce sens, c’est l’immense révolution que fut le punk, portée par des éclatantes minorités cultivant la dérision, dont la musique électrisante, faite de coups de génie et d’anything goes, nous hante encore aujourd’hui.