Depuis le début du mois de mars, Arte nous offre la possibilité de découvrir la guerre civile américaine à travers la somme documentaire de Ken Burns sur le sujet. L’an dernier, la chaîne avait diffusé son remarquable travail sur la Seconde guerre mondiale, The War. Cette fois-ci, il s’agit de son chef-d’œuvre multi-primé, regardé par plus de 40 millions de personnes, point de repère essentiel de l’enseignement de la guerre civile aux Etats-Unis, un documentaire qui va au-delà des promesses que l’on pouvait faire à son sujet.
    
    Il est difficile d’écrire quelque chose de nouveau à ce sujet, tant ce travail à été encensé, mais, pour ceux qui n’auraient pas encore eu l’occasion de le découvrir, voici quelques éléments qui en font la singularité. Ken Burns et son équipe ont pris leur temps, plus de quatre ans, pour réunir les documents et leur donner la forme de ces neuf episodes (11 heures et demie de film). Sans céder à la facilité de la reconstitution, ils ont su donner vie à des dizaines de documents fixes, seulement soutenus par la narration, les citations, et la bande-son, de telle sorte que le conflit se déroule réellement devant les yeux du spectateurs, à la façon d’une immense gravure, ligne après ligne, qui se dévoile progressivement, sans perdre de sa clarté.

    Le refus de la facilité est sans doute ce qui est le plus éclatant dans la façon de construire le documentaire. Celui-ci parvient à être clair, complet, précis, mais sans négliger la nuance, donnant leur place à chacun des acteurs du conflit, en plus du fil narratif qu’offrent les journaux et lettres de témoins privilégiés, dans l’entourage de Jefferson Davis, ou les soldats au front. Ce faisant, il remet au cœur de son exposé la tension fondamentale de la Guerre de Sécession, à la fois guerre pour la libération des esclaves, et guerre pour la préservation de l’Union, deux causes perpétuellement en tension et toutes aussi importantes au moment des faits, les acteurs privilégiant l’une ou l’autre, au gré des circonstances, ou de leurs parti pris. Ramener la guerre à un simple exposé des opérations, ou à l’un ou l’autre de ces enjeux serait trop simple, trop facile, et reviendrait finalement à trahir ceux qui ont souffert lors de cette guerre, des deux côtés. Oui, l’esclavage était perçu comme un scandale dans le nord dès avant 1861, et oui, une grande partie des soldats confédérés ne cherchaient qu’à défendre ce qu’ils percevaient comme les droits imprescriptibles de leurs Etats contre une ingérence illégitime, mais la guerre ne peut se ramener à ces lectures trop aisées, trop… Rassurantes, pour nous.

    "War is hell", selon le titre d’un des épisodes, c’est à un voyage dans la première guerre moderne que nous invite Ken Burns, une guerre moderne et pourtant menée avec des principes datant du Premier Empire, opposant les charges en colonnes aux fusils à tir rapide et aux premières mitrailleuses. Il nous fait découvrir l’humanité profonde des hommes qui furent pris dans ce conflit, et essayèrent de le comprendre, d’y faire face, et de le gagner, au nom de causes qu’ils estimaient sacrées, et les dépassant suffisamment pour qu’ils consentent le dernier sacrifice. Au fil des épisodes, nous découvrons ainsi la noblesse de Lee, la dureté de Jackson, la douloureuse modernité de Sherman, la détermination de Grant, et surtout la grandeur et la bonté de Lincoln, tels qu’ils apparurent à leurs contemporains, offrant ainsi matière à penser, et peut-être des guides de réflexion, sinon de vie aux spectateurs.

    Documentaire-somme, la Guerre de Sécession est en outre enrichie avec rigueur par les explications soigneusement choisies d’historiens, permettant d’éclairer l’un ou l’autre point du conflit, depuis les anecdotes (pourquoi une bataille a-t-elle parfois deux noms ?) jusqu’aux principes généraux (quel sens a eu la proclamation d’émancipation de 1863 ?), donnant chair aux corps martyrisés de la guerre. De ce point de vue, Ken Burns s’inscrit pleinement dans la nouvelle école historique qui vise à donner une anatomie de la guerre, à lui rendre son épaisseur, laquelle a parfois beaucoup manqué aux histoires purement événementielles ou trop ancrées dans l’explication des grandes causes.

    Il est possible que cette série documentaire apparaîtra un jour comme dépassée, devant les progrès d’une historiographie en constante recherche sur ce thème. Possible, mais alors, il demeurera sans doute comme un jalon, par lequel beaucoup ont pris conscience de ce qu’avait été cette guerre, pour les Etats-Unis, et au-delà, et pour qui son thème musical, "Ashokan Farewell", continuera a résonner longtemps, et avec un sens bien plus profond que ses quelques notes ne semblent le dire.


La Guerre de Sécession de Ken Burns, disponible en coffret DVD francophone à partir du 25 mars 2009 sur le site d’ARTE, en magasin à partir du 08 avril. Les épisodes diffusées sont disponibles pendant 7 jours sur le site d’ARTE podcast

Pour aller plus loin :


- en français : un livre introductif et deux sommes traduites de l’anglais
•    André Kaspi : La Guerre de Sécession, les Etats désunis, Découverte Gallimard
•    Bruce Catton : La Guerre de Sécession, Payot
•    James Mc Pherson : La Guerre de Sécession 1861-1865, Bouquins

- en anglais : les ouvrages majeurs des principaux historiens interrogés dans le documentaire
•    Barbara J. Fields : Free at last, a documentary history of slavery, freedom and the Civil War,New Press et Slaves no more, three essays on emancipation and the Civil War Cambridge University Press
•    Shelby Foote : The Civil War : a narrative, Random House Press