Ce beau livre abondamment illustré nous replonge dans l’aventure des Croisades. Voyage en Terre sainte entre texte et images, sur les pas d’un guide enthousiaste.

Les Croisades, la plus grande aventure du Moyen-Âge. Dès le titre, le ton est donné : Thierry Delcourt traite sur le mode épique, mais avec un sérieux certain, cet épisode de notre histoire dont les traces laissées dans notre imaginaire collectif sont si profondes.

Ce travail de synthèse se destine avant tout à un large public de néophytes curieux, ou de jeunes étudiants à la recherche d’un manuel – de luxe. Il suffit de regarder la chronologie excessivement succincte pour s’en convaincre : ce livre ne vise aucunement un public spécialiste.

L’auteur entend plutôt présenter une vaste fresque historique, retraçant longuement les combats, les avancés et les nombreux retours en arrière des Croisés et de leurs adversaires musulmans, rappelant dans le même temps le rôle toujours ambigu joué par Byzance dans le déroulement de ces événements. Il va chercher les racines de ce conflit dans l’esprit de Reconquista, "creuset de l’idéologie de croisade", tord au passage le cou à quelques idées préconçues que l’on peut encore trouver dans de vieux manuels. Et à partir du discours d’Urbain II, au 27 novembre 1095, il déroule la geste franque, dans un style parfois traversé d’un souffle à la Dumas ("combattant avec fureur, [Louis VII] parvient à rétablir la situation et à sauver les chevaliers et les pèlerins qui l’accompagnent") qui n’est, somme toute, pas désagréable pour le lecteur, compte tenu du caractère très évènementiel du propos. Ainsi sont exposés les balbutiements de la Première croisade, la plus célèbre sans doute [L’Histoire anonyme de la Première Croisade a bénéficié d’une récente réédition aux Belles Lettres, dont vous pouvez lire la critique par Rémi Gaillard], à la fois croisade populaire et croisade des barons qui tardent à venir, s’achevant après bien des souffrances par la prise de Jérusalem et l’organisation des Etats Latins d’Orient. La débâcle de la deuxième croisade ensuite, et la troisième croisade surtout, qui voit surgir la figure de Saladin, au pouvoir d’évocation si fort aujourd’hui encore, mais dont le personnage hante déjà la littérature médiévale. La quatrième croisade nous fait toucher du doigt les intérêts temporels de la croisade dont l’idéal se trouve exemplairement détournée après la prise de Constantinople en 1204. Enfin, après l’échec des cinquième et sixième croisades apparaît Saint Louis, autre grand protagoniste de la croisade nourrissant tout un idéal chevaleresque, dont la grande piété ne compense pas les erreurs politiques. Après sa mort en 1270, les Etats Latins ne peuvent plus qu’achever de se déliter.

Au fil des évènements surgissent donc les images qui imprègnent durablement notre imaginaire collectif, comme ne cesse de le rappeler Thierry Delcourt dans de judicieux encarts. Il remet ainsi en perspective le mythe de Saladin, de la bataille de Hattin au film de Youssef Chahine. Il rend aussi justice à Pierre l’Ermite, se référant pour cela à des travaux récents comme ceux de Jean Flori. Traquant l’idéologie de croisade à travers les expéditions  contre les Cathares, et ses avatars modernes que sont la bataille de Lépante (1571) ou le siège de Vienne (1683), il retrace  à grands traits l’histoire d’une idée jusqu’à conclure sur sa destinée contemporaine. 

Mais la force de l’ouvrage réside avant tout dans le riche corpus iconographique et documentaire qu’il propose. Les images tout d’abord, de belle qualité, allient des œuvres médiévales et d’autres d’époques ultérieures qui montrent comment les croisades ont pu inspirer les créateurs – et servir des idéologies. Charles Henneghien signe de belles photographies des sites orientaux qui permettent d’imaginer le terrain de ces aventures, renforçant l’attrait d’un livre conçu aussi comme un bel ouvrage qui se feuillette avec plaisir. Quelques cartes enfin viennent éclairer les déplacements souvent désordonnées des croisés. D’autre part, Thierry Delcourt intègre de nombreux documents d’archives, visant à rendre compte de points de vue multiples sur cet épisode de l’Histoire : témoignages arabes, francs et byzantins se confrontent au fil de pages. On voit le fanatisme religieux se conjuguer parfois avec une estime ou une curiosité mutuelles, pour mieux faire renaître ces événements dans toute leur complexité. Et c’est au passage une leçon méthodologique que donne l’archiviste-paléographe Thierry Delcourt : pas de source, pas d’histoire !

Un beau livre donc qui ne vaut pas par son caractère novateur, mais dont on peut saluer le sérieux, l’esprit de synthèse et la capacité de nuance.


* Sur le même sujet, retrouvez la critique du L'Histoire anonyme de la première croisade (Belles Lettres), par Rémi Gaillard.