Pierre Philippe lève le voile sur les dessous de l’Olympia : les arcanes, les succès, les gloires et les déboires de cette mythique salle parisienne.

Un lieu emprunt de vie et d'histoires

Les lieux cultes enferment entre leurs murs un pan de l’histoire ; il en est ainsi de l’Olympia, salle de concert classée en 1993 "patrimoine culturel" par Jack Lang. Il ne saurait être question ici d’aventures figées mais plutôt du sacre de l’éphémère, du défilé du temps, infidèle aux modes, feuilleté, froissé, fantasmé, comme le papier glacé des programmes. Olympia : son nom résonne comme un mythe, la succession d’étoiles, symbole d’un music-hall suranné, actualité d’un éternel spectacle. Fondé en 1888 par Joseph Oller, créateur du Moulin Rouge, la célèbre salle parisienne a traversé les temps jusqu’en 1997, lors de sa reconstruction à l’identique, à quelques mètres de la bâtisse originelle. Aujourd’hui encore, la magie de ses échos se prolonge, quand ses lettres au néon rouge illuminent le trottoir du 28 boulevard des capucines, du nom de nouvelles vedettes. Sur ses planches, défilèrent d’illustres artistes – Fréhel, Damia, Yvonne George, Joséphine Baker, Raquel Meller, Jacques Brel, Dalida, Georges Brassens, Les Beatles… –, fantômes qui marquèrent de leurs sceaux indélébiles l’âme d’un navire qui toujours chavira, mais jamais ne coula.

Pour ressusciter l’esprit de ce "temple de la chanson", le spécialiste du music-hall Pierre Philippe, par ailleurs parolier de Juliette, documentaliste pour Arte et réalisateur, dessine les contours de ce havre, farfouille ses méandres, remue ses dessous.

Des Montagnes Russes (son premier nom), dirigées par Oller au cinématographe de Jacques Haïk, du règne de Paul Franck à la suprématie de Bruno Coquatrix : la valse de ses directeurs s’acharne à maintenir sur pied l’ "usine à rêve". À chacun ses ficelles, à chacun ses techniques, pour faire surgir loisir, désir, plaisir. Attractions tous azimuts, foire aux monstres, inventions, tout nouveau cinéma, cirques, ballets et tours de chant se succèdent entre ses tentures chatoyantes et derrière ses rideaux – un tourbillon qui suit de loin le cours de l’existence mais savoure son autarcie, loin des tumultes d’une vie réelle, qui l’effleure sans jamais vraiment l’atteindre. Pour cette plongée dans ce microcosme, l’auteur choisit les yeux de Léonie, couturière, figurante et petites mains de l’Olympia, et ceux de sa fille Olympe, enfant et égérie du bâtiment, tour à tour nymphe, chanteuse, serveuse, mémoire vivante et réceptacle des drames qui s’y jouent, des illusions, des joies, des gloires et des petits riens. "Elles étaient, elles, les modestes narratrices d’une histoire qui s’effaçait à l’instant même où elle s’écrivait ; les spécialistes d’un monde où l’oubli, plus qu’ailleurs était une culture", raconte Pierre Philippe, justifiant ainsi le qualificatif de "roman".

 

Cette grande fresque chronologique et bariolée, tissée de faux-semblants, de jeux de miroirs et de paillettes, ne manquera pas de séduire le lecteur, qui s’amusera des clins d’œil de ces spectres reconnus, de l’ébullition d’un monde rocambolesque et toujours en marge, reflet trompeur de chaque époque et de toutes. Il se réjouira de pénétrer les secrets des idoles : Gilbert Bécaud, mort de trouille devant la glace de sa loge, quarante-trois ans après sa première ; les frasques amoureuses d’Édith Piaf ; l’ivresse désespérée d’un Jacques Brel ou la vie brûlée d’Yvonne George…Mais il s’agacera aussi du style un peu "fleuri" de l’auteur qui perd, dans les recoins de tournures alambiquées et ceux d’un plaisir trop attendri, la saveur d’une rigueur historique. Le fil se dissimule parfois ; la compréhension s’étiole, et l’ennui surgit. Un léger bémol, que nous pardonnerons toutefois : l’ouvrage et son ton singulier attacheront les amoureux de la chanson, tout comme ceux qui aiment à rêver que "la vie est une fête"