Un recueil de préfaces de Claude-Louis Combet qui mêle éléments de biographie et de lecture de l’auteur.

Les éditions Galilée reprennent ensemble quelques-unes des préfaces écrites par Claude-Louis Combet à l’occasion des nombreuses éditions qu’il a faites depuis les années 1980 de textes secondaires de la littérature spirituelle du Grand Siècle.Ces textes publiés chez Jérôme Millon dans une collection ("Atopia") dirigée par l’auteur sont moins l’occasion de (re)découvrir la richesse de la littérature spirituelle du XVIIe siècle et des débuts du XVIIIe siècle que d’embrasser une trajectoire intellectuelle et un questionnement qui entremêlent la biographie de son auteur, dans ses aspects les plus intimes, ses lectures et l’historiographie à laquelle il était confronté. Même précédé d’un préambule qui synthétise et linéarise la démarche de l’ouvrage, chaque texte garde une grande autonomie et se laisse lire comme le témoin d’un moment de lecture privilégié pour l’auteur. Cette liberté qui ne verse pas dans le dilettantisme est parfaitement assumée. Claude-Louis Combet revendique de ne pas faire un travail strictement universitaire, mais une recherche personnelle qui puise dans son "adolescence cléricale", dans ses pratiques de lectures et d’écriture romanesque, assurant que "c’est bien le même souffle qui circule dans toutes les dimensions de ce qui constitue à présent quelque chose qui commence à ressembler à une œuvre", de ses romans aux préfaces qu’il republie ici. Il témoigne de la rencontre féconde, au milieu des années 1980 ("Atopia" a été fondé en 1985) de la rencontre entre la mystique, les études littéraires et l’historiographie, et notamment l’historiographie naissante du corps, sous le patronage lointain mais fondamental de l’abbé Brémond, dont Jérôme Millon a proposé récemment une nouvelle édition, dirigée par François Trémolières   , et sous l’influence plus contemporaine de Michel de Certeau. Ces textes du grand siècle arrachés à l’édition des congrégations y trouvaient une nouvelle jeunesse, parfaitement servie par les préfaces de Claude-Louis Combet.

L’attachement de Claude-Louis Combet à des figures secondaires, bonhommes, dont il se plait à deviner les turpitudes et les hésitations, fait salutairement descendre la littérature spirituelle de son piédestal. Jacques Boileau (1635-1716), "plein de bons sens", mais au "caractère impossible", "ne marche pas toujours d’un pas très assuré dans la jungle des textes" qu’il mobilise. Étienne Binet (1569-1635), "dont la pensée est un tissu de lieux communs, d’opinions convenables et convenues" et Jean Pierquin (1672-1742), "brave curé", qui avec ses "gros sabots de curé champenois" tente de justifier la foi en la passant au crible des connaissances scientifiques de son temps, partagent avec le premier leur volonté de se mesurer à la haute spiritualité tout en sentant que la marche est un peu haute.

 

Loin des figures un peu hiératiques de Bérulle ou de Benoit de Canfleld, nos religieux sont confrontés à des problèmes et des contradictions un peu plus concrètes : comment justifier l’immaculée conception à l’aide de la science ? Comment lutter contre les nudités de gorges que Jacques Boileau contemple depuis sa chaire ? Les cas de Madame Guyon ou de la vie de Louise du Néant, qui n’avait eu, en son temps "qu’un discrète auréole" avant d’être redécouverte par Brémond, rédigée par le père Jean Maillard à partir de l’une des nombreuses autobiographies spirituelles dont le XVIIe était friand   , dénotent à peine dans ce cortège de religieux.

Le second thème repris abondamment par Claude-Louis Combet et illustré par les dessins d’Ernest Pignon-Ernest, est la place du corps. L’histoire des flagellants, De l’abus des nudités de gorges, de Boileau, ou encore le Traité des instruments du martyrs de Antonio Gallonio (1557-1617) disent une fois de plus, si c’était nécessaire, à quel point la question du corps doit être creusée encore et toujours pour comprendre la spiritualité des XVIe et XVIIe siècles. Cette rencontre se fait à un double niveau. Le couple plaisir-pénitence, dont Louise du Néant est sans doute le meilleur exemple, permet de ressaisir à nouveau la dimension érotique des textes mystiques, en revenant au texte lui-même pour relativiser la bibliographie surabondante qui tente de réévaluer la littérature spirituelle à la lumière de la théorie médicale (Louis est-elle hystérique ? épileptique ?…). Ce dialogue entre raison et spiritualité est l’autre terrain ou le corps se confronte en quelque sorte aux textes. La tentative laborieuse de Jean Pierquin de reprendre la question de la conception du Christ dans le sein de la vierge à partir de ce qu’il sait des ovipares illustre à merveille la rencontre violente et ingénue (du moins sous la plume de Pierquin) entre la spiritualité et la vulgarisation du savoir scientifique. Dans un autre registre, Gallonio s’occupe à classer et à distinguer froidement et méticuleusement les méthodes et les douleurs du martyr, pour fonder le culte des martyrs sur une base saine et certaine, avec un même souci de rationalité.

La plume alerte et volontiers ironique de Claude-Louis Combet permet de revenir de biais, à partir de sources secondaires, et surtout avec beaucoup de légèreté sur une littérature qui pose à sa manière des questions fondamentales pour la civilisation occidentale