Cette série de contributions sur la question de l’évaluation du travail ouvre des pistes pour lutter contre l’idée d’une mesure objective.

L’évaluation du travail est un sujet d’actualité. Les dispositifs d’évaluation de celui-ci se répandent en effet un peu partout, suscitant de nombreuses questions. Ce petit livre tombe ainsi à point nommé. Il est issu d’un séminaire d’une semaine organisé par François Hubault pour le département Ergonomie et Écologie humaine de l’Université de Paris-I, qui réunit tous les ans des universitaires et des praticiens de compétences multiples autour d’un thème différent “suffisamment polémique pour nourrir la controverse” et dont les actes sont ensuite publiés chez Octarès   . Les contributions qu’il rassemble suggèrent autant de perspectives différentes qui permettent un large balayage du sujet.

Pour les uns, l’évaluation contredit fondamentalement la part de vie inhérente au travail en confortant l’identification de celui-ci à la production. L’évaluation individuelle en particulier participe de cette opération en construisant la fiction d’un sujet comme identité permanente, quand bien même celle-ci rendrait mal compte d’une “insertion dans le travail qui s’élève au-dessus des contraintes d’une organisation essentiellement réglée par les objectifs de production imposés”   , et où le corps joue un rôle essentiel.

Pour les autres, l’évaluation est bien un travail qui requiert l’identification/construction des dimensions pertinentes, tant internes qu’externes, propres au métier (comme celui d’ergonome-conseil par exemple). L’analyse de l’activité d’une part, la délibération d’autre part, sont toutes deux nécessaires à l’évaluation. À défaut d’autre chose, l’évaluation peut se baser sur des perceptions (comme dans le cas de l’évaluation de la culture de la sûreté dans les installations nucléaires), mais nécessite alors leur mise en débat. L’analyse de l’activité elle-même, sur laquelle l’ergonomie française a beaucoup insisté, n’en dispense pas. Lorsqu’elle porte sur des espaces de travail, l’évaluation doit veiller à prendre en compte l’usage dynamique qu’en font les individus ou les collectifs dans le cadre de l’activité de travail.

L’évaluation du travail des "agents communautaires de santé" du programme Santé de la famille, mis en œuvre au Brésil, fait l’objet d’une contribution particulièrement intéressante de la part de trois auteurs brésiliens. Ces agents jouent un rôle de médiation essentiel entre les membres de la communauté et le service public de santé, qui pose de nombreuses questions en termes d’évaluation. “Une des principales caractéristiques [de leur travail] est la confusion entre le privé et le public, le temps de travail et le temps de non-travail, et le fait que les résultats des activités des agents peuvent difficilement être mesurés par des indicateurs courants. Un travail sans fin.”   , notent les auteurs. Ceux-ci cherchent à en prendre la mesure en mobilisant tour à tour l’ergonomie de l’activité et la psychodynamique du travail “en vue de permettre une réappropriation par les travailleurs du sens de leur travail, une action ouverte sur l’espace public […] qui puisse mettre à jour ce qui est implicite et aider à amorcer des processus de transformation.”   .



La mesure n’est pas une fin en soi, l’évaluation du travail relève avant tout d’une approche clinique, sensible aux singularités. L’évaluation est le plus souvent individuelle et ce faisant elle ignore la dimension collective du travail. Celle-ci est difficile à appréhender. Le travail collectif requiert à la fois une mise en visibilité des manières de travailler de chacun, une confiance dans les autres et des espaces de délibération (formels et informels) pour permettre l’adoption des bons modes opératoires, qui finiront par s’agréger en règles de métier. La convivialité (avec la liberté de délibération) joue dans ce processus un rôle tout à fait important.
Les entretiens d’évaluation sont l’occasion d’une discussion qui porte sur le travail réel dont les directions voient désormais l’intérêt, mais le plus souvent avec l’objectif de maintenir le contrôle sur celui-ci et/ou de le recadrer aussitôt en fonction de leur propres préoccupations. “Ainsi l’évaluation trahit une forme de constat de l’obligation de l’employeur d’en passer par le travail, alors même qu’il ne peut renoncer à placer ce facteur, comme les autres, sous contrôle des projets pour l’organisation de ceux qui la dirigent”   . D’où une certaine tension, et “l’importance de la manière dont tout cela est managé”   .

La dernière contribution est plus difficile et sans doute, par endroits, trop elliptique. Elle pointe une série d’enjeux épistémologiques attachés à l’évaluation, qu’elle examine à la fois en économie et en ergonomie. Elle prend parti à la fois pour une approche constructiviste et non substantialiste de l’évaluation, pour une approche non linéaire, ‘événementielle’ de celle-ci, et enfin contre la recherche d’exhaustivité pour un arbitrage en faveur des enjeux pertinents. “Tout processus d’évaluation se présente, ainsi, comme un ‘construit’ dont la pertinence va dépendre de ce qu’il permet de voir, de concevoir, d’entreprendre…”   . Cela suppose également de concevoir une évaluation qui puisse s’opérer selon plusieurs plans sans les écraser. C’est tout l’enjeu d’une multi/pluridisciplinarité   . Ses auteurs relient les difficultés de l’évaluation au nouveau rôle clé de l’économie immatérielle et des dynamiques de relations de services. “Dans l’économie immatérielle, l’évaluation affecte les ressources”   , montrent les auteurs. Ils éclairent ensuite rapidement différentes procédures où l’évaluation est menée par la hiérarchie, le bénéficiaire, les pairs ou encore par un tiers. Pour conclure sur le fait que “l’évaluation n’est pas seulement une méthode. Elle relève d’une posture [de recherche-évaluation plutôt que de benchmarking] et d’une dynamique de métier”   .

Le lecteur ne trouvera pas dans Évaluation du travail, Travail de l'évaluation de réponse toute faite, mais il s’agit là assurément d’un petit livre bien utile pour réfléchir à la question de l’évaluation du travail, qui concerne des entreprises et des métiers de plus en plus nombreux, et rejoint également d’autres préoccupations, comme celle du rendu des comptes