La double peine judiciaire n’a pas disparu. Le GISTI publie un cahier juridique pour mieux la comprendre et la combattre.

La double peine judiciaire a-t’elle discrètement fait son retour ? Plutôt, admettra-t-on qu’elle n’avait jamais disparu.
À la veille de la promulgation d’une loi du 26 novembre 2003, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy annonçait en grande pompe la suppression de "la double peine judiciaire". L’idée fit florès. Cette abolition semblait être la concrétisation d’une revendication ancienne vigoureusement clamée à l’occasion d’une campagne menée par des associations et des intellectuels. Le GISTI (Groupement d’information et de soutien des immigrés), association d’assistance juridique auprès des immigrés et d’expertise en droit des étrangers, aborde de nouveau, dans un cahier juridique, le thème de la double peine judiciaire et nous montre l’actualité de cette problématique.


Les faux adieux de la double peine judiciaire

Assurément, pour peu que l’on s’attarde sur de nombreuses dispositions du code pénal et du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, on observera que l’interdiction du territoire français (ITF), aussi appelée "double peine judiciaire", apparaît toujours comme l’une des peines pouvant être prononcées par le juge pénal, à l’encontre d’un étranger condamné pour des faits délictuels ou criminels. L’ITF sera ordinairement le complément d’une peine principale prise par les juridictions répressives (tribunaux correctionnels et cours d’assises). Par exécution d’une interdiction du territoire français, le condamné sera reconduit à la frontière (articles L. 555-1 à L. 551-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Sans supprimer véritablement cette double peine judiciaire, la loi du 26 novembre 2003 n’aurait fait, selon le GISTI, que faiblement brider le dispositif. Pire, une loi postérieure en 2006 aurait discrètement durci le régime.


Punir et bannir

Les rédacteurs du cahier notent l’inquiétante expansion de la double peine judiciaire. À l’origine, l’ITF pouvait être le complément d’un nombre très faible d’infractions telles que l’atteinte au crédit de l’État ou les délits liés au trafic de stupéfiants. Aujourd’hui, plus d’une centaine infractions peuvent voir leur sanction assortie d’une interdiction de quitter le territoire français.

Lorsque l’interdiction du territoire français est la peine complémentaire et que celle-ci ne peut plus faire l’objet de recours, elle sera exécutée à la fin de la peine de prison purgée par le condamné. Aussitôt libre, le condamné titulaire d’un titre de séjour se le verra retirer ; il sera alors reconduit à la frontière. De manière moins courante, l’ITF peut être la peine principale. Dans ce dernier cas, l’interdiction du territoire français peut être exécutée dès le jour de son prononcé par le juge pénal. Cette peine de "bannissement" est applicable à toutes les catégories d’étrangers, y compris les réfugiés.

Les rédacteurs du cahier nous apprennent que les garanties entourant l’application de l’interdiction judiciaire de territoire français demeurent trop minces, sinon insuffisantes. La loi de 2003, censée renforcer les garanties, n’a, semble-t-il, pas rempli son rôle.

Certes, comme en matière de reconduite à la frontière, la loi a bien instauré de nombreuses catégories d’étrangers protégés contre l’interdiction du territoire français. Il en va notamment ainsi de l’étranger mineur, de certains étrangers justifiant, sous certaines conditions, d’une durée de séjour suffisante en France, du parent d’enfant français ou encore du conjoint de Français. De même, pour d’autres catégories d’étrangers pouvant être reconduits à la frontière à la suite d’une ITF, la loi prévoit un encadrement du prononcé de l’ITF. Dans ces cas, le juge devra assortir d’une motivation spéciale la peine d’ITF.

Ce développement d’une protection de ces différentes catégories d’étrangers avait pour enjeu d’obtenir un plus large respect du droit au respect de la vie familiale du condamné. Il s’agissait d’éviter les "vies brisées", les déchirements familiaux et les drames humains occasionnés par ce véritable "bannissement". Sur le plan juridique, il était question d’assurer une application de l’ITF compatible avec la Convention européenne des Droits de l’Homme qui garantit une large liberté matrimoniale et le droit pour chacun au respect de sa vie privée et familiale. Toutefois, à la lecture des articles instaurant le dispositif, il conviendra, avec les rédacteurs du cahier, de souligner le caractère très résiduel de cette protection. En effet, si les garanties légales assurent la protection des conjoints de français et des parents d’enfant français, à l’inverse de nombreuses situations familiales (Pacsés, concubins de courte ou de longue durée, mariés postérieurement à la commission de l’infraction…) échappent encore à cette garantie contre le prononcé d’une interdiction de territoire français. Aussi, pour quasiment chacune des catégories, l’une des conditions permettant d’écarter l’ITF est la présence du condamné sur le territoire français depuis une période de longue durée. La preuve de cette présence habituelle sera difficile à établir, compte tenu des nombreuses pièces à fournir pour établir la résidence continue et ininterrompue de l’intéressé, pendant de longues années.

Cette faiblesse des garanties affecte même les modalités de réformation de la peine prononcée. Ainsi, parmi les voies de recours usitées, une procédure de relèvement de l’ITF existe. Elle permet au condamné de solliciter auprès de la juridiction qui l’a condamné le retrait de la condamnation. Mais, comme l’indiquent les auteurs du cahier, le législateur n’a eu de cesse de dresser des obstacles procéduraux pour limiter sa mise en œuvre. Des conditions draconiennes en filtrent la recevabilité.

Au reste, pour évoquer le peu de cas que les pouvoirs publics consacrent aux condamnés à cette double peine judiciaire, les auteurs du cahier rappellent que, si des lois d’amnistie interviennent régulièrement en matière pénale, elles excluent systématiquement de leur champ d’application les condamnés frappés d’une ITF. En ce sens, à l’aide des rédacteurs du cahier, l’on découvre une situation où les problèmes demeurent aussi vifs et préoccupants qu’avant la loi de 2003.


Des principes fondamentaux malmenés

La double peine judiciaire est condamnée parce qu’elle rassemble en une seule mesure le spectre du bannissement et de la mort civile. Alors qu’un individu séjourne de longue date sur le territoire français, il peut se voir reconduit à la frontière, et ce, en dépit des nombreuses attaches que l’intéressé aura tissées avec la société française. La peine pouvant être définitive, l’interdiction peut être ainsi perpétuelle. Le GISTI insiste sur le fait que la double peine judiciaire continue à briser des familles.

En outre, si le maintien de l’interdiction du territoire dans le droit français scandalise, c’est qu’il remet en cause l’effectivité de certains droits fondamentaux parmi les mieux établis, tel que le principe de personnalité des peines   ou encore le principe d’égalité devant la loi pénale, la peine de bannissement ne pouvant frapper que les condamnés étrangers.

Ainsi, la double peine judiciaire – ou interdiction du territoire français – rompt avec la promesse d’un droit pénal qui ne devrait jamais se départir de la mission de réinsertion sociale du condamné et du respect du "droit à l’oubli".


Des outils contre la double peine judiciaire

À n’en pas douter, la procédure applicable aux condamnés à l’ITF a tout d’un parcours d’obstacles.
Le cahier juridique du GISTI est une boîte à outils : on y trouve des modèles de recours et de courriers types, des circulaires, des extraits des différents codes. De même, des décisions de justice reproduites nous donnent à voir le fonctionnement d’une procédure de relèvement d’interdiction de territoire français ou de réhabilitation. Cette étude compile des développements techniques sur des procédures applicables à l’intéressé tels que la demande de réhabilitation ou les causes d’extinction de l’ITF. L’ouvrage détaille avec soin les différentes voies de recours existantes, qu’il s’agisse des procédures ordinaires (recours en appel, pourvois en cassation) ou des voies extraordinaires (relèvement de l’interdiction du territoire français, requête en suspension, etc.). Au cœur d’une procédure mal connue, il permet une défense optimale du justiciable.


Un cahier contre l’oubli

Dans ce cahier succinct mais riche, le citoyen trouve matière à réfléchir. Il se réapproprie les termes d’un débat qui a disparu de la scène médiatique. Le GISTI avait déjà consacré quelques ouvrages et brochures sur la question   ; ce nouvel ouvrage est un pas de plus en faveur de la réactivation du combat contre la double peine. Il aborde sous un angle technique et pratique les conditions de mise en œuvre et de remise en cause d’une peine – l’ITF- qui est aujourd’hui encore quotidiennement prononcée et exécutée à l’encontre des étrangers.

On pourra peut-être regretter que le thème de l’expulsion n’ait pas été traité dans ce cahier. L’expulsion est une mesure administrative de police et d’éloignement pouvant être prise par les préfets ou le ministre de l’intérieur à l’encontre d’un étranger représentant une menace grave pour l’ordre public (articles L. 521-2 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers). À l’égal de l’ITF, l’expulsion peut être prise à la suite d’une condamnation pénale et peut constituer, au moins sur le plan de ses effets, "une double peine". Cet ajout aurait semblé d’autant plus justifié que, lors des campagnes contre la double peine, les deux types de mesures étaient conjointement dénoncés.

Au demeurant, l’on retiendra que la parution de ce cahier reste d’utilité publique. La pratique de la double peine judiciaire n’a rien de moribonde. Le gouvernement à l’initiative de la loi du 26 novembre 2003 a fait passer la réforme de la double peine judiciaire pour une suppression pure et simple de celle-ci, apaisant par cette dissimulation le courant citoyen hostile à la double peine. Dans l’attente d’une réactivation du combat contre la double peine, lutte souhaitable sinon indispensable, le cahier du GISTI démystifie la question et permet un retour à une plus grande vigilance citoyenne

 

* À lire également, pour des récits de condamnés à la double peine et des statistiques sur l’ITF: LDH, GISTI, MRAP, Le livre noir de la double peine, mars 2006