Un testament journalistique parfois amer qui évoque les évolutions médiatiques des cinquante dernières années en débordant vers la politique et l’histoire.

Il n’est pas rare que les grands professionnels, au crépuscule de leur carrière, associent leur sortie de scène à un déclin ambiant. Dans le cas d’Albert du Roy, La mort de l’information coïncide étrangement avec son propre testament journalistique. Un livre non déplaisant, utile certes à souligner les évolutions médiatiques. Mais souvent amer, peu puissant, trop convenu.


Un "inconnu" de premier plan

Il aurait pu avoir l’aura d’un Elkabbach, la gouaille d’un July ou la verve d’un Duhamel, pour ne citer que ceux-là parmi ses illustres congénères. Il est au contraire ce serviteur de l’information, parcimonieux à l’écran, discret et rare, dont chacun sait qu’il fait autorité sans toujours s’en remémorer le nom.

Albert du Roy, qui rassemble en son patronyme seul bien des attributs de la couronne, a trôné pendant des décennies sur une large part de la sphère médiatique, tant à la radio qu’à la télévision, en passant par la presse écrite où il a gravi tous les échelons et connu variété de titres. "Un demi-siècle de pratique", annonce d’emblée la quatrième de couverture, pour rappeler à qui ne le saurait la stature du personnage. Gageons qu’en évoquant une "star" de la profession, le choix d’écrire "50 ans" eût été sobrement préféré. Détail qui n’aurait guère en soi de poids véritable, si ce n’est que le livre de du Roy tend dramatiquement à calquer ledit demi-siècle de carrière sur l’apogée, puis la mort de l’information.

Lors de son passage à France 2, il aura marqué certaines mémoires en montrant à Bruno Masure, alors icône du 20h, la porte de la sortie. Homme d’analyse, de point de vue, du Roy est un éditorialiste souvent à l’étroit dans les rôles de commentateur consensuel que lui confie le petit écran. Quant à ses interviews, on garde en tête quelques moments de télévision, notamment à l’époque où Georges Marchais donnait au parti communiste une visibilité médiatique qui laisse aujourd’hui songeur.

Exemple de longévité, figure autoritaire, mais s’accommodant de sa pénombre, Albert du Roy a commis sept livres en quarante ans, cédant volontiers à des pointes de lyrisme : Le Roman de la rose, Le serment de Théophraste, Le Carnaval des hypocrites… autant de titres qu’on croirait empruntés à la dramaturgie classique. Celui de son septième ouvrage n’échappe pas à la règle, La Mort de l’information atteignant un degré de sentencieux qui promet un livre important, un tournant. Les titres sont parfois trompeurs.


L’amertume du vieux lion

On a raison d’aborder avec méfiance les témoignages écrits de fin de règne : leurs auteurs s’y montrent souvent amers, voire réactionnaires, tirant à tout va sur les institutions qu’ils ont docilement côtoyé pendant des décennies. Sans atteindre ces extrémités, du Roy n’épargne pas le fonctionnement du CSA par exemple, dont la règle des temps de parole serait responsable d’"aberrations journalistiques", ni le Sénat, qui incarnerait "une France périmée", ou les deux chambres réunies : "Au moins, le Parlement travaille-t-il ? Il légifère à tour de bras, ce qui ne veut pas dire qu’il travaille bien…". Faut-il enfin relever cette tentation parodique : "Soit l’Hémicycle est quasiment vide et endormi, soit il est bourré et éructant." Voyons…

Le livre tarde à entrer dans le vif de son sujet et abuse, en attendant, de facilités stylistiques peu conformes aux hautes visées de l’auteur. Le journalisme indépendant et sérieux que prône du Roy souffrirait-il son recours à la référence galvaudée du "maillon faible", son mépris pour un parti politique, aussi marginal soit-il ("Le lobby des chasseurs et des beaufs, 'Chasse, pêche, nature et tradition'") ou encore le mauvais goût d’un parallèle gratuit  ("Chirac victorieux, le bras à la portière, traversant Paris en direction de son QG, poursuivi par une meute de reporters à moto style Diana, mais sans pilier meurtrier au tunnel de l’Alma")   .

Du Roy nuit parfois à son propos en cédant à l’amertume, en radotant des vérités (l’Assemblée Nationale n’est pas représentative, on le saura…) et en distribuant des mauvais points aux tendances actuelles – micro-trottoirs, blogs, Internet roi – dont on reconnaît avec lui les limites, mais auxquelles l’auteur ne propose pas d’alternative.

Il n’est pas difficile de percevoir ici une certaine nostalgie : la menace d’un pseudo "journalisme participatif" plane au-dessus des professionnels, telle une remise en cause de leur autorité, de leur compétence, de leur utilité même, puisque "les journalistes-arbitres sont réduits au rôle de chronométreurs des temps de parole". Pour autant, difficile de valoriser une fonction dont du Roy lui-même regrette les connexions avec le pouvoir. Et l’auteur de rappeler le berceau de cette consanguinité, journalistes et responsables politiques étant "fréquemment issus des mêmes milieux, et souvent des mêmes écoles".


"Même quand il délire, le peuple a toujours raison…"

Omniprésente, une méfiance obsessionnelle de l’assentiment des foules ; du Roy distingue – et comment l’en blâmer ? – talent et succès. Par extension, il dissocie raison et opinion de masse. "À vous tous, lecteurs, pour se faire bien voir, élus et médias répètent : " On vous trompe ! " Ne devrait-on pas parfois vous dire : " Vous vous trompez ! " ", écrit-il.

"Le premier problème de la démocratie, ce n’est pas le système, c’est le citoyen." L’éditorialiste déploie çà et là les arguments d’un démocrate élitiste : il se fait l’écho d’interrogations inattendues ("faire élire ce président au suffrage universel était-il une bonne idée ?") et se demande si l’"opinion" est "encore vraiment à même de trancher en conscience et compétence les grands choix qu’on lui soumet". Il fustige tour à tour la perte de nuance dans les prises de parole politiques, judiciaires, médiatiques, l’avènement du citoyen-expert, qui sonnerait la "sujétion de l’élu à l’opinion". Médiacratie ou médiocratie ? Sa crainte est légitime.


L’oracle du déclin

La deuxième partie de La mort de l’information comporte quelques ambiguïtés. La pratique du off y est critiquée, autant que l’avènement de la transparence ; la méfiance à l’égard du politique trouve tour à tour des freins et des raisons d’être. Sur ce dernier plan, le constat de du Roy est édifiant : en pointant du doigt le "copinage" français entre patrons de presse – aux activités économiques diversifiées – et responsables politiques, il s’inquiète d’un conflit d’intérêt pourtant évité dans la plupart des pays européens.

Au chapitre des bonnes nouvelles, du Roy observe et déplore un déclin de la pudeur, une "débauche de l’intimité", voire le cynisme de ceux qui font la une, non pas de l’information, mais des journaux people. Opportunistes, sous la plume de l’ancien interviewer de "l’Heure de vérité", ces personnalités peu scrupuleuses négocieraient leur image comme un produit. Tous, de PPDA et sa littérature thérapie à Claude Chirac – mère de Martin, fille de Jacques et auteur de leurs rencontres médiatisées – ont fait leur le nouveau triptyque du droit à l’image : "ce que je veux, quand je le veux, et où je le veux." Là encore, confirmation de ce que l’on savait déjà.

L’ère du zapping et de la vitesse est inéluctable et, par bien des aspects, dangereuse, tant "l’exigence médiatique de l’instantanéité est un handicap dans la gestion de notre démocratie." Denis Muzet, dès 2006, a mis en lumière les dérives de la "mal info" , sorte de "mal bouffe médiatique", d’offre d’abondance et de vitesse mal maîtrisées. Or de ce même postulat, du Roy tire des conséquences autrement plus graves : fataliste autant qu’alarmant, son bilan est celui d’une société des informations où l’Information serait à l’agonie. L’auteur décrit avec exactitude l’érosion de la sphère privée, sous le joug de l’exigence populaire d’une part, et du calcul électoraliste, parfois. Agitant le spectre de l’accès massif à la production d’images, du Roy égratigne la dictature de celles-ci et cite Umberto Eco : "L’image possède une force irrésistible. Elle produit un effet de réalité, même quand elle est fausse."  

Amers constats : la victoire de l’image sur l’argument peut faire la légitimité instantanée du politique autant qu’Internet défait le lien social. Là où le journal dit "généraliste" réunissait hier encore une large population hétérogène, la capacité des publics à cibler et à choisir un contenu personnalisé – donc restreint – éloigne les citoyens de leur "dénominateur commun". L’info à la carte, un individualisme rampant ? C’est du moins, à en croire l’auteur, l’indice d’un "repliement sur soi-même".

Albert du Roy publie un "testament professionnel" en demi-teinte. S’il verse parfois dans l’anecdotique, le journaliste maîtrise l’art de la formule et La mort de l’information en regorge : elles y sont pertinentes, souvent brillantes, parfois jubilatoires. Parmi elles, nous en retiendrons trois. À propos des audiences publiques : "La transparence reste, actif ou placebo, le seul médicament connu contre la méfiance" ; blâmant la repentance nationale : "L’amnistie des fautes passées favorise l’amnésie" ; enfin, s’inquiétant d’une excessive normalisation juridique : "C’est la régression fœtale du citoyen." Outre la mort de l’information, les pensées inquiètes de du Roy s’étendent donc à l’histoire, à la justice, à la démocratie... De quoi se précipiter, à le lire, au chevet de la République.