Une étude pro-nucléaire qui met en avant les atouts de cette énergie…parfois aux dépens des énergies renouvelables.

Face au nouveau péril collectif et imminent que constitue le réchauffement climatique, le nucléaire est la seule énergie qui pourra nous permettre de conserver nos niveaux de vie ; les énergies renouvelables pouvant au mieux fournir un appoint mais certainement pas se poser en solution globale. C’est la thèse que soutient Anne Lauvergeon, présidente du directoire d’Areva, dans un ouvrage convaincant et pédagogique : un lexique et des "tableaux de bord de la troisième révolution énergétique" sont disponibles en fin de volume, même si, critique mineure, la plupart des diagrammes sont illisibles. L’argumentation est claire, et le lecteur le plus réticent est obligé de se rendre aux raisons d’ "Atomic Anne", qui s’appuie sur de nombreux rapports connus et reconnus pour étayer son propos.

 

Des arguments anti-nucléaires réfutés

La plupart des arguments anti-nucléaires sont ainsi balayés : Tchernobyl ? Une catastrophe soviétique plus que nucléaire, due aux "erreurs humaines et [à] la déliquescence de la culture de sûreté résultant de l’ambiance particulière de la fin de l’ère soviétique". Le risque d’un conflit planétaire découlant de la possibilité de passer du nucléaire civil au nucléaire militaire ? C’est l’inverse ! "Si prolifération il y a eu, c’est bien dans l’autre sens, du militaire vers le civil ! " : le développement du  nucléaire civil n’a pas augmenté significativement le nombre de pays détenteurs de l’arme nucléaire, et au contraire, plusieurs pays (Brésil, Argentine, Lybie) ont mis fin aux programmes d’armement nucléaire qu’ils avaient lancé, puisqu’il faut ratifier le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et accepter les contrôles de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour pouvoir bénéficier du transfert de technologie permettant l’exploitation de l’énergie nucléaire. D’autre part l’énergie nucléaire offre une alternative crédible aux hydrocarbures qui constituent "l’une des principales sources d’insécurité dans le monde".

Un  doute subsiste toutefois quant à la question du coût global de l’énergie nucléaire, dont il est répété à longueur de page qu’elle est la plus rentable au regard du prix des hydrocarbures. Ainsi la question du démantèlement des centrales est évacuée en un paragraphe qui précise que chez Areva, 5 milliards d’euros sont provisionnés pour faire face aux futurs démantèlements. Ce chiffre, s’il témoigne d’une volonté accrue de transparence, est loin de rassurer le lecteur quand on sait qu’on estime à 5,6 milliards d’euros le coût du démantèlement de la seule usine d’extraction de plutonium de Marcoule !

 

Nucléaire contre énergies renouvelables

Quant aux énergies renouvelables, si leurs mérites face au vilain CO sont bien soulignés, on a la désagréable sensation qu’elles ne sont pas regardées à travers le même prisme d’optimisme que l’énergie nucléaire. Ainsi sur l’énergie solaire par exemple, il est écrit qu’ "en l’état actuel des technologies, l’importance des surfaces nécessaires à l’implantation des installations constitue de fait, une limitation au développement de cette source d’énergie" et que s’il est "probable que des progrès seront réalisés", l’échéance est difficile à estimer. C’est un constat qui pourrait passer pour objectif, neutre, s’il ne contrastait pas avec un enthousiasme contagieux pour les progrès qui vont être réalisés dans l’énergie nucléaire : "La poursuite des travaux de recherche et de développement sur la séparation et la transmutation des éléments à vie longue [permettra] de réduire de manière importante la durée de dangerosité des déchets nucléaires en les incinérant dans les réacteurs de future génération." Prototype prévu pour 2020… Quant au dernier chapitre, intitulé "les technologies du futur" il se conclut tout simplement par "si tout va bien, les premiers réacteurs à fusion nucléaire pourraient atteindre le stade industriel dans la seconde moitié du siècle."

 

Vers un optimisme pro-nucléaire

Optimisme démesuré qui permet au passage de balayer d’autres craintes : les réserves en uranium ne sont pas illimitées ? Certes mais si les réserves prouvées pouvant être exploitées à un coût économiquement viable (inférieur à 130 dollars le kilogramme) n’en ont que pour 88 ans de consommation avec la technologie des réacteurs actuels, tout change si la technologie messianique encore une fois se déclare en faveur du nucléaire, en l’occurrence si l’on arrive à extraire l’uranium contenu dans les phosphates, ce qui repousserait l’échéance à 700 ans. Et cerise sur le gâteau, les réacteurs de la prochaine génération seraient capables de fournir 50 à 100 fois plus d’énergie avec la même quantité d’uranium, et pourraient même fonctionner avec de l’uranium appauvri, ce qui pour la France équivaudrait à 5 000 ans de consommation énergétique !

En attendant ces lendemains qui chantent, les politiques d’investissement font tout pour que l’avenir donne raison à ce prisme d’optimisme pro-nucléaire. C’est ainsi qu’Areva investit chaque année 300 millions d’euros dans la recherche pour le nucléaire (principalement pour développer les générations futures, III et IV, ainsi que le projet ITER, et la gestion des déchets) et soutient symboliquement la recherche sur quelques énergies renouvelables (notamment l’énergie houlomotrice à travers le programme SEAREV et la biomasse). Les différences d’investissement, de la part d’Areva mais également des politiques publiques et communautaires, à défaut de progrès significatifs sur le nucléaire, empêchent bien en tous cas les énergies renouvelables de se développer et de devenir compétitives, ce qui pourrait finir par donner raison aux prévisions d’Anne Lauvergeon, qui ne fait jamais, ne l’oublions pas, que prêcher pour sa paroisse.

De même, les comparaisons, quelles qu’elles soient, se font toujours en faveur du nucléaire : ainsi le "palmarès des énergies propres" où le nucléaire arrive en tête, juste devant l’éolien. Le diagramme est parfaitement juste en ce sens qu’il ne prend en compte que "l’émission de CO2 par filière". On ne peut toutefois se départir de l’idée un peu gênante que le CO2 est vraiment un bouc-émissaire rêvé pour l’énergie nucléaire et que, bien utilisé, comme c’est le cas ici, il fait partie d’une immense campagne de communication permettant au nucléaire de jouer, enfin, le rôle du "gentil".


Enfin, même si le livre commence par un souvenir d’enfance de 1974 où la famille de la petite Anne avait dû baisser le chauffage, crise énergétique oblige, il est regrettable que les solutions envisagées soient majoritairement techniques : si la baisse du confort de vie occidental est envisagée, ce n’est jamais sérieusement ; quant au fait que nous serons nécessairement 9 milliards minimum d’énergivores en 2050, c’est une donnée qui n’est pas présentée comme dépendante de notre volonté. Si le sujet est encore plus controversé que l’énergie nucléaire, ne mérite-t-il pas d’avoir sa place dans un ouvrage qui se veut explorer toutes les options énergétiques et politiques ?