Une synthèse des principales réflexions de l’inventeur du concept des "Oasis en tous lieux".

On trouve souvent en librairie des ouvrages d’experts qui interpellent le lecteur sur l’état catastrophique du monde, mais qui n’apportent pas de réponses concrètes pour y remédier. Qu’ils évoquent l’économie et les finances, la politique et les relations internationales ou encore le climat et l’environnement, les auteurs sont souvent plus enclins à pécher dans la déploration et la dénonciation qu’à produire une méthodologie pour réagir et à la portée du lecteur lui-même.

Le dernier ouvrage de Pierre Rabhi, Manifeste pour la Terre et l’Humanisme (Actes Sud), ignore ces lacunes et innove par le biais d’un manifeste écologiste, humaniste et avant tout politique. Penseur et écrivain français, Pierre Rabhi s’illustre par une clarté du propos, une richesse de la langue et une synthèse argumentée des combats qu’il mène depuis plus de quarante ans   . Fils de la terre, plus précisément d’une oasis du sud de l’Algérie dont il est natif, formé au métier de la paysannerie, l’homme s’est forgé une pratique alternative de l’agriculture, qui va à contrecourant du productivisme subventionné qui domine et régit le secteur agricole mondial.

Pré-candidat à l’élection présidentielle de 2002 – à l’image de son ami Nicolas Hulot qui préface son ouvrage – Pierre Rabhi est également un militant engagé pour une cause qu’on peut qualifier d’altermondialiste. Imprégné de spiritualité et d’une double culture, il tente aussi de redéfinir à son sens l’humanisme, d’où l’intitulé de son manifeste. Celui-ci se décompose en deux parties, l’une consacrée à la Terre, l’autre à l’Humanisme, l’ensemble comprenant un foisonnement de références historiques, scientifiques, religieuses, politiques.


La responsabilité de "l’Occident"

L’un des principaux thèmes de l’ouvrage de Pierre Rabhi est l’agriculture ; mais à travers elle, c’est aussi le souci de sauvegarder la terre. En effet, l’agriculture que perçoit Pierre Rabhi n’est pas le secteur destiné à produire plus pour gagner plus de parts de marché et d’argent, mais la pratique de la terre qui permet d’alimenter l’ensemble de l’humanité. "Il n’est pas irréaliste de dire qu’avec un grain de blé, on peut nourrir l’humanité", affirme-t-il   .

Mais ce dernier fait également un constat amer et alarmiste : le grain de blé millénaire a été perverti par les mécanismes de "l’agriculture moderne", elle-même stimulée par l’économie et l’industrie. Le paysan laisse place alors au militant. Premier défenseur de l’agriculture biologique, Pierre Rabhi s’en prend ainsi vertement à "l’Occident", responsable de la Révolution Industrielle, du capitalisme financier et de cette agriculture productiviste, qui paradoxalement affame plus qu’elle ne nourrit   . La perception ainsi admise par tous que l’industrialisation a été une étape progressiste pour l’humanité n’est pas la sienne : l’humus devient engrais, la nourriture devient la "bouffe", on ne mange plus mais on "avale", etc. La philosophie de Pierre Rabhi est véritablement incompatible avec l’actuel système consumériste. Mais au lieu de baisser les bras, il choisit de le combattre.


"Cultiver son jardin", un acte politique

De par ses connaissances agricoles et son expérience vécue auprès des paysans sahéliens   , Pierre Rabhi propose une insurrection des consciences, celles des lecteurs, car il ne croit pas les hommes politiques capables de réagir, encore moins de vouloir changer le système économique actuel, coupable des absurdités de l’agriculture moderne. Néanmoins, il regrette que le silence des électeurs face à des enjeux agricoles et plus largement sanitaires – comme le débat sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) – soit comparable à une "dangereuse somnolence"   .

 

 

La révolte civique qu’il appelle de ses vœux doit passer par la mise en application du mode d’emploi d’une pratique agricole alternative : l’agroécologie. À travers plusieurs chapitres, Pierre Rabhi détaille les mesures de cette déclinaison de l’agriculture biologique, qui se conçoit aussi comme un "projet humain"   . Tout en respectant le cycle naturel de la Terre, l’auteur fait ainsi le vœu de sauver de la famine les populations du "Tiers Monde". Même si la notion apparaît surannée au regard des spécialistes des relations internationales, elle rappelle que l’industrialisation des pays émergents n’a pas résolu cette problématique de l’alimentation mondiale. Dès lors, cultiver son jardin (re)devient un acte politique qui ne peut plus se concevoir par des déclarations d’intention, mais par une méthodologie, une volonté et une philosophie autres que celles qui dominent et rythment le monde.


La pensée fertile d’un homme entier

Le Manifeste pour la Terre et l’Humanisme de Pierre Rabhi soulève incontestablement plusieurs questions cruciales et fournit des réponses à celles-ci sur le devenir de la Terre et de l’humanité. Pour autant, il transparaît à travers l’ouvrage la conscience d’un auteur imprégné d’une spiritualité transcendante, digne d’un prophète des temps modernes. Dire cela n’est pas exagéré dans la mesure où Pierre Rabhi fournit des éléments nouveaux dans la façon de penser la Terre dans sa globalité.

Par le biais d’un syncrétisme pluridisciplinaire – associant notamment l’animisme, l’histoire, la biologie, l’anthropologie et bien d’autres encore – Pierre Rabhi redéfinit l’humanisme dans une contemplation quasi-mystique   . Pourtant, l’homme démontre, dans plusieurs passages de son ouvrage, qu’il est à mille lieux de tomber dans un angélisme qu’il l’aurait déconnecté de la réalité du monde. Surprenant le lecteur au gré des pages, Pierre Rabhi conteste, par exemple et de manière convaincante, le nationalisme comme forme de domination politique ayant pour conséquence d’annihiler les peuples dits premiers   . Dans un autre paragraphe stimulant, il démonte le concept à la mode de "développement durable", sorte "d’alibi" né de la communication politique et destiné à masquer, selon lui, la poursuite du pillage des ressources naturelles par les multinationales   .

Enfin, pacifiste de nature, l’auteur conçoit l’autodestruction de la Terre et de la civilisation humaine comme le fait de pulsions masculines ou plutôt d’une virilité déplacée des dirigeants politiques qui auraient perdu le sens et la raison des choses de ce monde. Face à ce constat, Pierre Rabhi compte sur les femmes pour sauvegarder l’humanité et la planète, et cela par un vibrant et émouvant hommage "au féminin"   .


Homme entier, soucieux de tenir un argumentaire rigoureux, Pierre Rabhi sait conjuguer sa conscience politique avec sa foi humaniste. Le Manifeste pour la Terre et l’Humanisme mérite ainsi d’être parcouru autant pour la personnalité de son auteur que pour son contenu politique, voire pédagogique. La Terre et les hommes étant indissociables, refonder l’agriculture aura pour finalité de sauver leur avenir commun. Un petit livre pour une grande œuvre, l’utopie n’attend plus que d’être réalisée par les citoyennes et les citoyens de bonne volonté