Les mémoires d'un ancien diplomate et homme politique fortement engagé en faveur de la construction européenne, dans la décennie 1970.

Avec 37 Quai d'Orsay? Mémoires pour aujourd'hui et pour demain, Jean François-Poncet nous livre ses mémoires d'ancien diplomate et homme politique important de la décennie 1970, en revenant notamment sur son engagement européen.

À sa sortie de l'ENA, Jean François-Poncet choisit la carrière diplomatique plutôt que le Conseil d'État ou l'Inspection des Finances. Son père, André François-Poncet est ambassadeur à Berlin de 1931 à 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il assiste à l'ascension d'Hitler sans que les nombreux avertissements qu'il adresse à Paris soient entendus. Au sortir de la guerre, il est nommé à Bonn (1949 à 1956) où il jouera un rôle important dans la réconciliation allemande qu'encourage dans un premier temps la mise en place de la Communauté européen du Charbon et de l’Acier.

Ses souvenirs d'enfance ("les défilés militaires, les parades viriles, les manifestations ferventes" devant l'ambassade) et la tradition familiale marqueront durablement Jean François-Poncet ; l'attachement à l'axe franco-allemand ainsi qu'à la construction européenne seront constants au fil de sa carrière.

Arrivé au Quai d'Orsay, en 1953, en tant que secrétaire d'ambassade, directeur adjoint de cabinet du secrétaire d'État aux Affaires étrangères Maurice Faure, puis secrétaire général de la délégation française qui participa à la négociation des traités du Marché commun, le 25 mars 1957, Jean François-Poncet ne partage pas la vision européenne du général de Gaulle et souffre du devoir de réserve qui s'applique aux fonctionnaires. Son indépendance d'esprit mais aussi son goût du politique en feront, selon ses mots, "un mouton noir".

"Il n'était pas dans les mœurs administratives de l'époque, écrit-il, qu'un haut fonctionnaire exprime ses positions politiques, en particulier lorsque celles-ci différaient du discours officiel du Quai d'Orsay". Des propos confirmés par Samy Cohen : "un diplomate récalcitrant est vite repéré et orienté vers une voie de garage."  

Il sera envoyé à Rabat au Maroc par Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, puis en Iran loin des batailles politiques. Il reviendra cependant au Quai d’Orsay, après une incursion de cinq années dans le secteur privé, en tant que secrétaire d'État aux Affaires étrangères sous Valéry Giscard d'Estaing en 1976. "La perspective de retrouver le quai d'Orsay que j'avais quitté en brebis galeuse, d'y retourner par la grande porte était difficile à résister", avoue-t-il. Et puis, il y avait l'attrait de Europe ; l'Europe politique qui restait à construire". Pourtant, c'est surtout le dossier de l'indépendance du territoire français des Afars et des Issas, autrement appelé Djibouti qu'il aura à gérer. Un épisode moins connu des indépendances que Jean François-Poncet relate agréablement.

En 1978, Valérie Giscard d'Estaing en fait son secrétaire général de l'Élysée. Pourquoi lui ? La volonté de donner un nouvel élan à la construction européenne ne semble pas étrangère à cette nomination. Son positionnement au centre-gauche non plus : le président souhaitait s'ouvrir de ce côté de l'échiquier politique.

La fonction de secrétaire général lui procure une certaine influence : "on l'interrogeait, on l'écoutait". Il était celui qui relayait les instructions du président et à qui on adressait les messages à faire passer. Un personne de confiance. Un rôle  comparable à celui qu'exerce aujourd'hui Jean-David Levitte. C'est finalement à ce poste que Jean François-Poncet aura réellement le sentiment d'avoir une emprise sur la politique étrangère de l'époque. Il sera nommé ministre des Affaires étrangères de 1978 à 1981, et raconte avec saveur et pédagogie les grands évènements qui ont laissé leur empreinte (l'invasion soviétique en Afghanistan, l'installation d'une république islamique à Téhéran en 1979...) avec la volonté manifeste de défendre le bilan de Valérie Giscard d'Estaing.

 

 

S'il s'attarde sur la visite controversée à Moscou du président Giscard d'Estaing en 1980, Jean François-Poncet a surtout le souci, dans 37 Quai d'Orsay, de rappeler les avancées que la présidence de Valéry Giscard d’Estaing aura permise sur le terrain européen après ce qu’il analyse comme les échecs successifs de Charles de Gaulle et de George Pompidou. La construction européenne est en effet l'axe central de la politique étrangère de Valéry Giscard d’Estaing, écrit-il, sans toutefois adopter de posture critique, ce que l'on peut regretter.

Il évoque la création du Conseil européen en 1974, la réunion informelle des chefs d'États et de gouvernement – qui, si le Traité de Lisbonne est adopté sera institutionnalisé et présidé par une personnalité élue pour deux ans et demi –, l'élection du Parlement de Strasbourg au suffrage universel, la mise en place du système monétaire européen.

"Les innovations institutionnelles mises en œuvre durant le septennat de Giscard ont eu une influence profonde sur l'évolution de la Communauté. Le Conseil européen, créé à l'initiative de Giscard est devenu l'institution centrale de l'Union. Le Parlement européen élu au suffrage universel a connu une montée en puissance aussi continue que spectaculaire. Reste la Commission dont il faut bien constater le déclin (...). La relative médiocrité de ses présidents, à la très notable et brillante exception de Jacques Delors, y est pour beaucoup. L'insistance des petits pays, dont l'élargissement de l'Union a multiplié le nombre, à disposer d'un commissaire a fait le reste. Les Commissaires défendent avant tout les intérêts de leur pays et la Commission a peu à peu cessé de jouer le rôle de gardien de l'intérêt généra de l'Union que les Traités lui confèrent."

Dans un récit aussi modéré que celui de Jean François-Poncet, ces propos peu amènes tranchent véritablement. Il devient alors plus difficile de suivre l'auteur sur ce terrain. En réalité, la vision de Jean François-Poncet semble guidée – on y revient – par l'extrême peur de voir l'Europe se diluer et, avec elle, le couple franco-allemand. Quel horizon pour l'Europe ?, s'interroge-t-il alors.

"Au fil des décennies, le lien qui nous unit si étroitement à l'Allemagne s'est normalisé. À plusieurs reprises, chacun des deux pays a questionné la pertinence de ce lien et s'est pris à rêver d'une relation privilégiée avec Londres. Mais ni le temps ou les embûches passagères n'ont convaincu Paris ou Berlin de dissoudre ce couple historique. Parce que chaque pays a profondément intégré que la convergence de leurs intérêts l'emporte sur leur divergence. (...) Il est banal mais nécessaire de rappeler que l'entente entre la France et l'Allemagne est et restera l'axe central de la construction européenne."

Reste la politique. Un chapitre important de 37 Quai d'Orsay lui est consacré. Faire de la politique pour ne plus avoir "à appliquer benoîtement des orientations que je désapprouvais", écrit celui qui deviendra sénateur UMP du Lot-et-Garonne.

La manière dont il raconte son entrée en politique est savoureuse. "Pourquoi Agen plutôt qu'Auteuil ?", questionne-t-il. "La vision de celui que je serais dans trente ans m'avait effrayée". "Un bourgeois fils à papa, n'ayant de la politique qu'une expérience superficielle et déformée."

Sans ancrage local, énarque et fils d'ambassadeur, il choisit cependant "une terre" de tradition radicale : le Lot-et-Garonne. Il y débarque en 1965 avec sa femme. Il deviendra conseiller général de Laplume en 1967, président du Conseil général de 1978 à 1994 et de 1998 à 2004, et sénateur depuis 1983. ll raconte les intrigues des élus locaux peu enclins à faire de la place à un "parachuté", les campagnes électorales, le contact avec les électeurs et l'importance de se rallier les journaux régionaux dans une carrière politique.

 

 

"Aucune implantation ne se heurte à d'insurmontables obstacles, à condition de s'engager à fond, armé d'une persévérance à toute épreuve", conclut Jean François-Poncet.

37 Quai d'Orsay. Mémoires pour aujourd'hui et pour demain de Jean François-Poncet vaut comme témoignage d’un homme qui aura vécu la construction européenne de l’intérieur ; ses avancées et ses crises. C’est le récit d’une personne engagée qui a le souci de faire partager au grand nombre ses convictions. On regrettera cependant que l’auteur n’ait pas souhaité faire une lecture critique du bilan de Valéry Giscard d’Estaing, ni s’aventurer à analyser les actions des successeurs, de François Mitterrand à Nicolas Sarkozy