En matière d’information et d’éclairage sur les questions européennes les "grands" médias français varient dans l’ensemble entre l’ignorance (Jean Quatremer, "Télévision : le trou noir de l'information européenne", 22.06.2008), l’amateurisme et la mauvaise foi europhobe (Jean Quatremer, "La prédominance du crétin", 11.06.2008). De plus en plus souvent, les médias deviennent le relais fidèle de la propagande du pouvoir en place (voir par exemple : Pierre Avril, "Bruxelles cède sur les aides aux banques", Le Figaro, 02.12.2008). L’unique vigie dans cet océan de n’importe quoi est souvent le correspondant de Libération à Bruxelles, Jean Quatremer.

Dernier exemple en date, le traitement de l’affaire "du bras de fer" entre Bercy et la Commission européenne à propos du plan d’aide aux banques (Jean Quatremer, "Plan d'aide aux banques : le mensonge de Christine Lagarde", 02.12.2008). Alors qu’on lit et qu’on entend un peu partout que Bercy a fait plier l'exécrable Commission européenne, enkystée dans sa défense vénéneuse de l’abominable concurrence "libre et non faussée", seul Jean Quatremer ose s’intéresser aux faits, présenter tous les points de vue en présence, remettre les choses dans leur contexte et donner un peu de perspective au débat. Bref, seul Jean Quatremer fait du journalisme.

Il est curieux de voir comment dans cette affaire, les rôles habituels dans ce théâtre bouffe que sont les rapports entre les institutions européennes et les bien-pensants français, s’inversent. Que reproche la Commissaire chargée de la concurrence au plan de Bercy ? Qu’il risque de financer les dividendes des actionnaires avec l’argent du contribuable français et qu’il créera des conditions de concurrence inégale en ne subventionnant que certaines banques, privilégiées aux dépends des autres. On reproche souvent à la Commission sa rigidité dogmatique, mais comme le notait Jean Qautremer dès le début du mois d’octobre, celle-ci a su adapter la réglementation nécessaire au bon fonctionnement du marché commun en temps normal, à la situation de crise (Jean Quatremer, "La politique de la concurrence s'adapte à la crise financière", 04.10.2008).

La Commission européenne alliée objective de l’ultra-gauche ? La Commission européenne qui ose formuler les critiques contre la collusion entre certains intérêts économiques et les hautes sphères du pouvoir (Jean Quatremer note très justement que le plan français a été inspiré par Michel Pébereau, le président du conseil d’administration de BNP-Paribas), que même l’opposition, à l’exception du bravache François Bayrou, ne pourfend plus guère ? Il faut avouer qu’il y a de quoi être désarçonné.

En réalité, cet apparent contre-emploi résulte de la déformation idéologique dont souffre le principe de "concurrence libre et non faussée" en France (Jean Quatremer, "Microsoft contre la "concurrence libre et non faussée", 04.05.2006)", grâce à la désinformation d’une large partie de la gauche, et surtout à cause de la paresse intellectuelle des journalistes et des meneurs d’opinion. À tel point que la France s’est battue pour que la mention offensante soit retirée du Traité modificatif (aussi nommé traité de Lisbonne). Jean Quatremer s’élève souvent contre la désinformation à laquelle se livrent certains portes-paroles de la mouvance europhobe comme Frédéric Lordon (Jean Quatremer, "Europe et concurrence : l'imposture Frédéric Lordon", 30.11.2008), les néo-trotskistes du NPA (Jean Quatremer, "Crise financière : le n'importe quoi et le réel", 02.11.2008), les néoléninistes d’ATTAC (Jean Quatremer, "Mauvaise nouvelle : Attac ne m'aime pas :-D", 20.05.2008) ou les illuminés du conspirationnisme, tel l’emblématique Étienne Chouard (Jean Quatremer, "Quand l'euroscepticisme mène au conspirationnisme", 24.09.2008).

 



Selon cette vision, la concurrence "libre" est synonyme de "sauvage", alors que "non faussée" est synonyme de "domination des grands sur les petits". Or, comme le souligne inlassablement Jean Quatremer dans ses chroniques, les faits nous apprennent que la pente naturelle de l’activité économique livrée à elle même n’est pas portée à la concurrence "libre", mais à la constitution de positions dominantes (monopoles, oligopoles, trusts et autres conglomérats). Pas plus qu’elle est portée à la concurrence "non faussée", mais à la pratique d’ententes illicites entre concurrents supposés. Cette concurrence "non faussée" vise également les États eux-mêmes : le droit communautaire en imposant le respect d’un minimum de transparence a "révolutionné" le droit des marchés publics et a permis de limiter les dérives du "copinage" entre monde politique et grandes entreprises.
 
Cette pratique est particulièrement flagrante en France, où les opérateurs de téléphonie mobile, par exemple, pratiquent une entente sur les prix, sous le regard "distrait" du pouvoir et sur le dos des consommateurs français qui payent leurs services de téléphonie mobile jusqu’à 30% plus chers que les autres européens. Pratique dénoncée par la Commission européenne, comme le rapportait, là aussi bien seul, Jean Quatremer ("SMS : la Commission veut mettre fin aux abus des opérateurs", 24.09.2008). Pareil pour les grandes surfaces alimentaires ou les distributeurs de produits électroniques.

Or, c’est justement contre ce genre de pratiques nuisibles au développement d’une économie dynamique et innovante, et désastreuse pour le "pouvoir d’achat" des citoyens que la "concurrence libre et non faussée" est censée agir.

Comme le montre infatigablement Jean Quatremer, seul à prêcher dans ce désert médiatique, seule la Commission essaie, au niveau de l’Union européenne, de "faire rendre gorge au grand capital". Le cas emblématique est celui de Microsoft condamné par la Commission européenne à payer une amende record de 497 millions d’euros au nom, justement, du respect de la "concurrence libre et non faussée" (Jean Quatremer, "Microsoft contre la "concurrence libre et non faussée", 04.05.2006). Plus récemment, Jean Quatremer a mis la lumière sur l’amende record infligée au "cartel des vitres de voitures" par la Commission européenne (Jean Quatremer, "Amende record pour le cartel des vitres de voitures", 12.11.2008).

Et si c’était "Bruxelles" qui défendait les droits des citoyens contre les iniquités de leurs puissants nationaux ? Et si la Commission, suppôt du grand capital et ennemie des travailleurs et des droits sociaux, était l’institution qui en était le meilleur garant au plan européen, à coté de la Cour de Justice des Communautés européennes (Jean Quatremer, "Pour la Cour de Justice européenne, le nom relève aussi du droit communautaire", 10.11.2008) ? Voilà que récemment, elle a voulu allonger la durée minimum du congé maternité (Jean Quatremer, "La Commission veut rallonger le congé maternité", 03.10.2008), alors qu’on nous disait qu’elle voulait la semaine des 65 heures (Jean Quatremer, "La prédominance du crétin", 11.06.2008) !

Encore une attaque sournoise du cheval de Troie de l’ultra libéralisme… ou bien est-il temps de regarder la réalité en dehors de la pensée unique ? Car sans connaissance des enjeux et sans informations fiables, la démocratie peut vite se retourner contre elle-même, comme le soulignait Jean Quatremer dans son analyse du référendum irlandais ("Lisbonne : les Irlandais ne savaient pas", 10.09.2008)