Une biographie accessible à tous qui invite à redécouvrir avec plaisir l'oeuvre et la vie du compositeur allemand.

 

 

"Classique ou romantique ? Novateur ou conservateur ? Miniaturiste ou bâtisseur de fresques ? Magicien ou prophète ? Mendelssohn est bien tout cela à la fois, et sa musique présente une diversité que nombre de ses contemporains auraient pu lui envier". Le premier mérite de la biographie de Jérôme Bastianelli, c’est de tourner le dos à l’idée reçue d’un Mendelssohn engoncé dans l’archaïsme et l’académisme, où trop d’historiens de la musique l’ont confiné, pour nous présenter une image complexe d’un compositeur à plusieurs facettes.

Original, Mendelssohn ne reflète aucun des trois clichés les plus rebattus de l’imagerie romantique : il ignorait l’ambition de démiurge ou de Prométhée d’un Beethoven ; parfaitement sain d’esprit, il a eu le tort de ne jamais sombrer dans la folie comme Schumann ou plus tard Hugo Wolf ; enfin, il n’avait pas le caractère maladif, souffreteux de Chopin. Heureux, Félix le bien nommé le fut. Optimiste, son caractère l’est, comme souvent sa musique.

Tant de bonheur a longtemps paru suspect aux musicologues et aux mélomanes qui se méfiaient d’un homme chéri des Dieux et des muses, si éloigné de l’image du compositeur romantique malheureux, maudit et sans le sou. En revanche, on comprend qu’il ait pu, avec ses dons et ses talents multiples — polyglotte, il savait tirer à l’arc et nous a laissé quantité d’aquarelles de très haute tenue —, fasciner le polytechnicien mélomane, à la fois pianiste et violoniste, qu’est Bastianelli.
 
Son grand-père, Moses Mendelssohn, était un célèbre philosophe juif allemand. Sa première entrevue avec Lessing inspirera plus tard à celui-ci le récit de la rencontre entre Nathan le Sage et Saladin. La notoriété de Moses, comme celle, grandissante, de Félix, aurait fait dire à Abraham, le père de celui-ci : "Jusqu’à présent, j’étais le fils de mon père ; désormais, je suis le père de mon fils…". Bastianelli évoque le poids du cocon familial. Immensément riche, Abraham acheta un palais avec jardin, à Berlin même, et l’auteur rappelle le destin incroyable de cette demeure où se rencontraient les esprits les plus brillants avant d’être rasée. Sur le terrain rebâti a été érigée l’actuelle Chambre fédérale d’Allemagne (Bundesrat).

Jérôme Bastianelli montre bien l’extraordinaire environnement intellectuel dans lequel Mendelssohn baigne dès l’enfance. Il fréquente notamment Alexander von Humbolt, naturaliste ami de la famille, Friedriech von Schlegel, Karl Zelter, "l’austère professeur de musique" qui lui révèle Bach et lui fait faire la connaissance de Goethe à Weimar, l’écrivain restant admiratif devant l’étendue des talents de l’enfant. Génie sans doute plus précoce encore que Mozart, Mendelssohn écrivit son Octuor à seize ans, l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été à dix-sept.

Il fut tout à la fois violoniste, pianiste, organiste, chef d’orchestre, compositeur, organisateur de concerts, directeur de conservatoire. L’auteur retrace sa vie trépidante, ses années de formation, ses premiers concerts, ses voyages à Paris, en Suisse, à Rome, où il fit la connaissance de Berlioz — l’aîné trouva son cadet doué mais "candide" ; son cadet le trouva d’une incroyable vanité. Nous sont aussi narrés ses amours, ses affections, en particulier l’attachement privilégié à sa sœur aînée Fanny, qui à l’inverse de son frère, eut le malheur de voir sa vocation de compositeur contrariée.

Mais le livre de Bastianelli ne se réduit pas à une biographie de plus. On connaissait déjà, en français, le petit ouvrage de Rémi Jacobs dans la collection "Solfèges" du Seuil, bien fait mais épuisé, et ceux, très documentés de Brigitte François-Sappey : un premier, chez Fayard/Mirare ; un autre, plus volumineux, paru récemment chez Fayard. Bastianelli nous offre un éclairage sur la musique de Mendelssohn, accessible au grand public tout en pouvant satisfaire les mélomanes plus avertis. C’est que l’œuvre de Mendelssohn est aussi passionnante que sa vie. Le volume était particulièrement bienvenu dans la collection Actes Sud/Classica, moins soucieuse d’exhaustivité musicologique que du plaisir de faire découvrir.

Certes, quelques pages ne peuvent suffire à rendre compte de la magie des chefs d’œuvre que sont Les Hébrides, l’Ouverture du Songe d’une nuit d’été ou le Concerto pour violon. Reste que la division thématique en quatre chapitres que propose Bastianelli — la Féerie, les Voyages, la Foi et le Bonheur — permet de cerner les préoccupations esthétiques du compositeur et l’inscription de l’œuvre dans son histoire. Elle se révèle finalement plus efficace et plus éclairante que certaines grilles scolaires d’analyse qui, par exemple, s’escriment dans leur examen d’un quelconque mouvement de symphonie à identifier à tout prix la succession des thèmes d’une hypothétique forme sonate.

Elle est fidèle en cela à l’esprit de la collection Actes Sud/Classica, et à un type de musicologie dont Vladimir Jankélévitch avait tracé la voie. Et on est heureux de voir repris en citation dans le livre ce commentaire d’un philosophe par ailleurs peu enclin à admirer les compositeurs allemands : "En intitulant Variations sérieuses son opus 54, Mendelssohn nous avertit implicitement qu’il ne faut pas s’attendre à trouver dans ces dix-sept pièces l’humour des scherzos et de la burla : la plaisanterie est pour une fois mise en vacances ; la tonalité dément toute velléité de jeu ; à la cyclothymie de l’humoresque lunatique, qui tour à tour rit et pleure, à la désinvolture du capriccio, les Variations sérieuses opposent leur style soutenu"   .

Grâce à Bastianelli, on se défait de l’image d’éternel adolescent qui pèse sur Mendelssohn, on ne confondra plus sensibilité avec sensiblerie. Quant à la prétendue perte d’inspiration dont aurait souffert le compositeur après son mariage, l’auteur la conteste et réfute en particulier l’hypothèse soutenue par Eric Werner dans sa monographie de 1963, selon laquelle "le souhait de plaire et d’impressionner Cécile [aurait] nui à l’intégrité artistique de Mendelssohn". Certes, Mendelssohn chérissait la culture Biedermeyer, mais le mode de vie ne détermine pas l’inspiration artistique. Même s’il a mené une vie de grand bourgeois, la puissance créatrice du compositeur s’est maintenue tout au long de sa (courte) vie. Et si la dernière période est moins abondante en chefs d’œuvre, cela est peut-être dû à la multiplication de ses activités musicales au service des autres (organisations de concerts, "engagement croissant comme directeur du Gewandhaus"   , etc.).

Il n’en reste pas moins que c’est durant cette période que Mendelssohn a su renouveler l’esprit du scherzo. Parmi les caractéristiques de l’œuvre de Mendelssohn, Bastianelli insiste aussi sur son rapport à Bach (qu’il a contribué à remettre à l’honneur) et à la musique du passé : les formes (fugue et choral) et les compositeurs (Haendel, Palestrina). Il fut l’un des premiers à tenter de retrouver l’authenticité d’exécution de la musique baroque.

Rappelons que, comme dans les autres ouvrages de la collection Actes Sud/Classica, si, faute de place, ne figure pas le catalogue complet des œuvres, le livre comprend une discographie exhaustive, une chronologie sommaire, un index des noms propres et un index des noms d’œuvres, annexes bienvenues pour approfondir la connaissance du compositeur