Un recueil de textes consacré à la question de l'écriture sur le cinéma, qui a irrigué le travail critique et d'historien d'Antoine de Baecque.

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Le cinéma en tant qu’objet du discours critique, mais également en tant qu’objet et outil de l’étude historique : autour de cette question sont réunis un ensemble conséquent d’articles et de notices biographiques publiés par de Baecque dans les Cahiers du cinéma ou Libération, ainsi que des entretiens avec des personnalités plus ou moins rattachées à la sphère du cinéma (de Nicolas Klotz à Jacques Derrida en passant par Arlette Farge). Parmi quelques textes inédits, on mentionnera un récit autobiographique du parcours de l’auteur, au confluent de la cinéphilie et de l’histoire du cinéma.

Au-delà de leurs spécificités respectives, ces deux sphères posent, chacune à leur manière, des questions de récit (la cinéphilie n’est-elle pas une sorte "d’histoire intime du cinéma" ?). Cela étant, comment penser le rapport entre une passion, qui naît généralement dans l’adolescence, et une discipline scientifique, revenue à pleine reconnaissance dans l’université de la fin du XXe siècle ? Au caractère subjectif, dogmatique, souvent excessif de la première s’opposerait a priori l’objectivité, l’approche descriptive-analytique, la froideur parfois, de la seconde. Les critiques, ces gardiens du "temple cinéphile", voient souvent d’un mauvais œil l’intervention des historiens dans le champ cinématographique : peu intéressés par les questions de "vérité" historique, ils craignent l’instrumentalisation de leur art à des fins d’illustration. De leur côté, les historiens s’emparent du contenu des films, mais sont encore trop souvent indifférents aux questions de forme. Au confluent de la cinéphilie et de l’histoire, si tant est qu’il soit possible de concilier ces deux approches, dans quel état retrouve-t-on l’objet cinéma ?

Le parcours atypique d’Antoine de Baecque et la position particulière qu’il occupe dans le "monde de l’art" cinématographique lui permettent de présenter un point de vue original sur cette question. Chez lui en effet, la cinéphilie s’est déclarée non pas à l’adolescence, mais aux débuts de l’âge adulte. L’éblouissement initial ne fut pas provoqué par l’œuvre de Renoir ou celle d’Hitchcock, par Rio Bravo ou Voyage en Italie, ces lunes récurrentes du discours critique, mais par les films de Tarkovski. Question de génération : de Baecque appartient à celle "d’après" ; après les "hitchcocko-hawksiens", après les critiques-cinéastes de la Nouvelle Vague (Godard, Truffaut, Rivette, Rohmer, Chabrol), après les grandes figures critiques qui les ont accompagnés (Bazin, Daney).

Venant après, de Baecque revendique et exerce un droit d’inventaire de la cinéphilie classique. Cela donne une première façon de conjuguer l’histoire et le champ du cinéma : faire l’histoire de la cinéphilie. L’écriture, au début des années 1990, d’une somme historique (dans tous les sens du terme) sur l’aventure des Cahiers du cinéma fournit sans doute à de Baecque une matière conséquente sur la question, dont on retrouve quelques traces éparses dans ce recueil. Notamment dans les fort intéressantes notices nécrologiques consacrées à des personnalités "secondaires" de la Nouvelle vague, demeurées dans l’ombre des principaux cinéastes et critiques du mouvement : Janine Bazin, femme d’André, Robert Lachenay, ami de François Truffaut, et Paul Gégauff, écrivain et comédien occasionnel ; autant de trajets singuliers au sein d’un mouvement et d’une époque, élégamment mis en lumière par de Baecque.

Mais sur la question de la cinéphilie, l’orientation de l’ouvrage est essentiellement polémique. De Baecque annonce – il n’est pas le premier – la mort de la cinéphilie classique, celle qui se fonde sur le modèle des ciné-clubs des années 1940-50, qui a bercé de sa mythologie des générations entières de cinéphiles dans le sillage des "jeunes turcs" de la Nouvelle vague. Ce n’est pas seulement le mode de visionnage des films qui a changé (déterritorialisation de l’expérience cinématographique, qui s’effectue de plus en plus hors de la salle), c’est aussi une conception "puriste", intransigeante de l’art cinématographique qui ne serait plus vraiment de mise, balayée par le caractère protéiforme de la production contemporaine, comme par l’hétérogénéité des modes de réception qui l’accompagnent. Symbole de cette vieillerie que serait devenue la cinéphilie, la fameuse notion de politique des auteurs est celle à laquelle de Baecque s’attaque le plus directement. Il invite à se débarrasser d’une notion "obsolète" encore trop présente selon lui, et à puiser ailleurs les idées et les concepts utiles à la critique actuelle.

Dans d’autres domaines artistiques par exemple. Cette piste – qui n’est pas développée au-delà du témoignage de certains artistes sur la diversité de leur inspiration – paraît un peu incertaine. Non que l’approche critique et théorique du cinéma ne puisse trouver matière à s’enrichir dans la prise en considération d’autres moyens esthétiques : nombre de grands textes théoriques, depuis les années 1920, ont rapproché de façon fructueuse la poétique du cinéma de celles de la peinture et de la musique, notamment. Mais à moins d’entrer dans la perspective d’une trans-artisticité générale et étendue à tous les médiums (ce que l’ouvrage ne prétend pas accomplir), on s’interroge : que devrait nécessairement puiser aujourd’hui l’écriture sur le cinéma à l’intérieur d’autres formes artistiques ? Du moins, au point de faire de ce programme d’emprunt une opération systématique ? L’écriture critique n’a-t-elle pas, historiquement, défendu le cinéma en portant prioritairement son attention sur les moyens expressifs propres à cet art ? S’agit-il pour de Baecque de constater que cette lutte – le cinéma comme art autonome – est désormais gagnée ? De montrer que la priorité, la tâche la plus urgente de la critique, ne serait plus aujourd’hui de penser la spécificité des images mouvantes, mais plutôt de réfléchir au dialogue que ces images entretiennent avec d’autres arts ? Ou bien de soutenir que c’est justement dans ce dialogue que réside la spécificité de ces images ? On aurait aimé que l’ouvrage d’Antoine de Baecque développe davantage les questions issues de cette proposition.

De Baecque s’explique plus longuement lorsqu’il recommande de redéfinir la critique en se fondant, non plus sur les auteurs, mais sur les films eux-mêmes ; une "politique des films", donc. Autrement dit : "Il s’agirait de considérer les films moins comme des jalons successifs dans la constitution d’une œuvre d’auteur que comme des apparitions éclatées dessinant un paysage cinématographique changeant et éphémère. Prendre littéralement au sérieux ce qui n’est, en général, que la résultante du hasard, d’un choix de distribution, ou de la fabrication mensuelle d’une revue. Pourquoi ne pas se donner comme défi de trouver une cohérence là où elle n’existe sans doute pas : faire lien de film à film dans un espace géographique donné (les salles françaises) et dans un temps compté (un mois de cinéma) ?"   La citation montre que de Baecque est conscient de l’intérêt et des limites d’un tel projet. L’intérêt : décloisonner la réception critique des œuvres, ne plus se cantonner à les considérer sous l’angle de la "livrée annuelle" d’un cinéaste particulier, sortir donc de la conception unique du "génie" et de la "singularité" de l’auteur pour inscrire les films dans un Kunstwollen évolutif, les rattacher à l’histoire immédiate des formes de leur temps. Les limites : l’obligation de composer un discours cohérent reposant sur des données en partie aléatoires (les hasards de la distribution des films d’un pays à l’autre) ; le risque de s’adonner davantage à un jeu d’écriture critique un peu expérimental (comparable à "l’attitude du critique en temps de festival", "amené à voir ensemble des films a priori sans rapport, conduit à élaborer des relations audacieuses, souvent un peu délirantes, entre des œuvres de statuts multiples")   qu’à une véritable analyse de fond. Il suffirait pourtant de reculer un peu la lunette, de considérer l’ensemble de la production sur quelques années par exemple pour que cette "politique des films" devienne vraiment opératoire. L’ennui, c’est qu’elle justifierait alors beaucoup moins la mise à bas de la notion d’auteur, laquelle n’entrerait plus en contradiction avec le dessin d’un paysage cinématographique composé par les films.

Or, la remise en question du statut de l’auteur dans le discours critique est une constante de l’ouvrage. On peut à cet égard créditer de Baecque d’un travail de remise en cause nécessaire : il s’attaque à une notion devenue archi-dominante et souvent source d’abus dans le champ de la critique dite "sérieuse". Mais la façon dont il s’y prend, parfois, intrigue. Notamment lorsque, défendant une "politique des films", il prend pour objets de sa démonstration des œuvres à ce point marquées du sceau de leurs auteurs respectifs (on pense surtout à Hana-Bi de Kitano et Le Goût de la cerise de Kiarostami) que les tentatives de rapprochement entre elles, au nom d’une sorte d’"esprit artistique de l’époque", paraissent en comparaison trop légères pour vraiment emporter l’adhésion.

On peut trouver la démarche d’Antoine de Baecque courageuse, reste qu’elle souligne surtout la difficulté, encore aujourd’hui, de se débarrasser de la politique des auteurs dans le champ du cinéma. Il faut dire que, quels que puissent être ses défauts, ses manques, quels que puissent être les excès qu’elle occasionne, cette politique demeure une notion extrêmement forte dans les discours et dans les têtes. Le geste critique radical qui l’a établie a une importance historique considérable puisque c’est grâce à lui, en grande partie, qu’a été accompli ce tour de force : conquérir l’importance esthétique du cinéma, son artisticité (le metteur en scène est un créateur, il compose par les moyens du cinéma une œuvre cohérente autour d’une vision du monde qui lui est propre), sans pour autant l’enfermer dans le ghetto du "bon goût" culturel et le couper de sa dimension de spectacle populaire (de John Ford à Michael Mann, on trouve des auteurs même au cœur de ce que l’industrie culturelle hollywoodienne a de plus sériel). Si cette conception de la cinéphilie perdure à travers les âges, ce n’est donc pas seulement parce que ceux qui l’ont portée possèdent encore des positions dominantes à l’intérieur du "monde de l’art" cinématographique ; c’est surtout parce qu’on n’a encore jamais proposé de conception aussi puissante et durable autour de laquelle il serait possible de réarticuler le discours critique. 

L’ouvrage d’Antoine de Baecque ne fait pas exception : si l’on admet avec ce dernier que la politique des auteurs doit au moins pouvoir subir des remises en cause et des réactualisations, et qu’elle ne doit pas empêcher de s’intéresser par ailleurs aux "mauvais objets", aux objets sans auteur (au sens fort du terme), c’est en vain que l’on chercherait dans son livre une proposition théorique qui fournirait un équivalent conceptuel à cette notion. Bien qu’elle admette aujourd’hui à côté d’elle une multiplicité appréciable de modes de vision des films, la cinéphilie classique n’est sans doute pas encore morte.

De Baecque lui-même, paradoxalement, apporte de façon ponctuelle de l’eau à ce vieux moulin. Il s’inscrit notamment dans la lignée de la figure du "passeur" chère à Bazin et Daney, lorsqu’il affirme une nouvelle fois la portée du geste critique qui consiste à écrire sur le cinéma. Écrire sur le cinéma, c’est déjà une manière d’en faire, de construire à la fois le cinéma et le monde autour de lui. Que seraient certains chefs-d’œuvre aujourd’hui acclamés sans réserve, s’ils n’avaient pas, au moment de leurs sorties ou ultérieurement, rencontré l’esprit et la plume d’un critique éclairé qui en perçut l’importance et les défendit bec et ongles contre leurs détracteurs ? Un constat que l’entretien avec Slavoj Zizek permet de souligner avec pertinence : ce sont souvent les grands échecs du cinéma, les films méprisés à leur sortie ou boudés par le public, qui fournissent leur matière aux "grands triomphes de l’écriture sur le cinéma", comme si cette dernière constituait finalement une "épreuve de rattrapage"   . L’écriture sur le cinéma est donc une nécessité, sur le plan culturel comme sur le plan individuel. C’est affirmer à un moment donné : ces images-là sont importantes, elles ont de la profondeur, il s’y joue quelque chose d’essentiel qui nous concerne, elles méritent qu’on les pense, qu’on les "écrive", qu’on utilise les mots pour en dégager la signification et en prolonger l’impact ; c’est notamment Stanley Cavell qui évoque ces films "qui ne vous laissent plus en paix, qui ne cessent de travailler dans votre esprit, [à tel point] que le fait d’écrire [sur ces films] devient une nécessité, et que plus vous écrivez, meilleurs ils deviennent."   Cette question – qu’est-ce qu’écrire sur le cinéma ? – n’est pas foncièrement neuve, loin de là, mais à l’ère de la dictature du "visuel" et de l’hyper-réalité, elle fait l’objet dans cet ouvrage d’une rafraîchissante réaffirmation.

Plus inédite est la question de ce que l’on pourrait appeler l’écriture à partir du cinéma : comment le cinéma peut-il guider l’écriture, qu’elle soit littéraire, philosophique ou universitaire ? La diversité des interviewés qui s’emparent de cette question (Tabucchi, Rancière, Farge, etc.) constitue une autre grande richesse de l’ouvrage. Elle permet de mettre en valeur l’influence répandue du montage cinématographique, comme modèle de construction et de composition, sur les pratiques d’écriture créatrices ou de mises en formes écrites de la pensée. Dans cette perspective, le cinéma est avant tout considéré comme une sorte d’informulé de l’inconscient collectif, qui intervient comme un modèle de rythme et de séquentialité, comme un certain réglage entre l’intensité et l’écoulement des choses. On rappelle qu’une opinion commune – et rarement bien justifiée – sur le cinéma est que ce dernier deviendrait plus "littéraire" ; et qu’il est beaucoup moins fréquent que l’on pose le problème inverse – celui d’une (bonne) littérature qui deviendrait de plus en plus "cinématographique" – sans jamais perdre de vue les spécificités des formes écrite et filmée. Incontestablement, la qualité des entretiens menés par de Baecque permet à l’ouvrage d’atteindre une certaine hauteur de vue sur cette question.

C’est le cas également sur la question des enjeux du couple cinéma/histoire : comment filmer l’histoire ? Comment faire l’histoire du cinéma (peut-on faire le récit du visible) ? Comment penser les rapports du cinéma à l’histoire ? 

De Baecque commence par formuler l’hypothèse selon laquelle le cinéma possède un rapport particulier à l’histoire du XX° siècle, "à la fois dans sa manière de la représenter, de la reconstituer, de la raconter, de la montrer en la montant". "Langue maternelle du XX° siècle"   selon l’expression d’Arlette Farge, "art vivant de l’âge démocratique" selon Jacques Rancière   , le cinéma est assurément un art spécifique dans sa relation à la communauté des hommes. Dès lors, le programme énoncé par de Baecque est le suivant : "il s’agit d’écrire sur l’histoire avec le cinéma, ou sur le cinéma avec l’histoire, lorsque des questions d’historien poussent à chercher des réponses dans les films, quitte à ce que celles-ci relancent d’autres problèmes propres à l’histoire ou au cinéma"   . À l’intersection des champs historique et cinématographique, ce programme a le grand mérite d’orienter la recherche en dehors de quelques écueils importants.

En ce qui concerne l’histoire par le cinéma, il s’agit d’éviter l’historicisme externe, qui reléguerait le cinéma au rang d’illustration des grands faits historiques. Bien au-delà de la "révélation" de données socioculturelles concernant une société à telle époque, en effet, ce que le cinéma propose est avant tout un processus de compréhension et d’écriture de l’histoire. Nul besoin pour cela d’avoir nécessairement affaire à des cinéastes pour lesquels ce processus constitue un projet esthétique explicite, comme cela a pu être le cas pour Alain Resnais ou Jean-Luc Godard par exemple. Et surtout, nul besoin de reconstitutions historiques en costume : comme le montre admirablement Arlette Farge dans l’entretien qui lui est consacré, "si le cinéma parvient à acquérir une vertu historienne, c’est quand il ne cherche pas à faire de l’Histoire"   . Objets privilégiés : ces œuvres qui "filment l’histoire par mégarde". La technique cinématographique accomplit d’emblée ce travail historique : "placer une fiction dans un contexte de gestes, de décors, de couleurs, de paysages, tous ces éléments qui composent l’espace, les sens et les corps"   . Autrement dit, par sa maîtrise du temps et sa capacité, non seulement à enregistrer, mais surtout à organiser et recréer le monde, le cinéma permettrait "le saisissement de l’expérience de l’être au monde à un moment donné".   C’est donc de la mise en scène que surgit l’"historicité" propre du cinéma : c’est pourquoi un film de fiction doté de propositions fortes de mise en scène présentera, pour l’histoire, un intérêt supérieur à une bande d’actualité filmique.

En ce qui concerne l’histoire du cinéma, il s’agit cette fois d’éviter l’historicisme interne, la recomposition cinéphile de l’histoire des auteurs et des courants, perçue comme une forme d’érudition en vase clos. Il faut, au contraire, voir plus large et parvenir à "intégrer le cinéma dans une histoire des formes du visible, des stratégies narratives, des politiques esthétiques"   . Aussi Jacques Rancière préconise-t-il, dans un entretien passionnant, de partir d’objets non spécifiques au cinéma (par exemple l’histoire du regard, l’histoire de la narration, etc.), et d’aller vers le cinéma muni de ces concepts "que les pratiques propres au cinéma transforment à leur manière". Il serait à ce titre possible de comparer ces pratiques avec celles d’autres domaines artistiques. Un autre écueil à éviter serait cette idée patrimoniale d’une histoire du cinéma qui s’efforcerait de "combler les trous", et se trouverait ainsi en totale contradiction avec un art qui s’est justement développé comme un "anti-musée", une "forme esthético-politique"   (les expressions sont de Rancière) allant à l’encontre de toute légitimation de type muséal.

Refusant la perception du cinéma comme simple illustration de l’histoire, comme celle de son instrumentalisation par l’histoire en tant que discipline (et rompant ainsi avec bonheur avec la ciné-histoire à la Marc Ferro), les conclusions d’Antoine de Baecque pourraient être exportées avec profit, moyennant d’infimes ajustements, au vaste champ théorique qui concerne les rapports que le cinéma entretient avec les sciences humaines en général. Cela rejoindrait cette préoccupation récurrente de l’auteur, celle de l’élargissement des perspectives sur l’objet "cinéma dans le siècle", qui transparaît de presque toutes les pièces de ce recueil. Ainsi s’explique la place accordée par de Baecque aux entretiens menés auprès d’artistes, de philosophes, de chercheurs : ou comment la littérature, la philosophie, le théâtre, l’histoire telle qu’on la pratique à l’université, peuvent nourrir le cinéma, lui renvoyer "un reflet différent de celui qu’il contemple dans son miroir habituel".

Évidemment, la structure fragmentaire du recueil, si elle fait surgir plusieurs pistes passionnantes, rencontre aussi quelques inévitables limites. Quand bien même de Baecque prend soin de "cadrer" les axes dominants de l’ouvrage dans deux textes (en introduction et en conclusion), il demeure que ces axes de réflexion sont davantage soumis à des éclairages épars (ceux qu’apportent les différentes personnalités qui se confrontent à ces questions) qu’ils ne sont réellement explorés en profondeur. Permettant de dépasser l’écueil de l’orthodoxie critique et le syndrome du vase clos, les apports des perspectives élargies sur le cinéma sont incontestables. Mais il aurait pu être bienvenu de fournir une synthèse plus complète et plus fouillée de ces apports. Cela aurait été d’autant plus utile que, la plupart du temps, les interviewés avancent à pas prudents sur un sujet dont ils ne sont pas toujours spécialistes, préférant ébaucher des hypothèses (Furet) ou personnaliser des lieux communs (Derrida) plutôt qu’affirmer des propositions théoriques vraiment solides et inédites (Farge et Rancière sont plutôt des exceptions sur ce plan).

Cinéma, histoire, écriture : sur ces questions, Feu sur le quartier général ! ne prétend pas être un traité théorique ; il n’est pas non plus, à proprement parler, le brûlot que son titre annonce. Plutôt un état des lieux, une étape, à la fois individuelle et collective, dans un grand work in progress continu, autour de problèmes d’images que l’on n’a pas fini d’interroger