Un livre d'entretien pour appeler le PS à se rénover et à s' ''ancrer à gauche''.

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Du 14 au 16 novembre prochain, le Parti socialiste tiendra son congrès à Reims. Engagée activement dans la préparation de celui-ci à la tête des "Reconstructeurs" et briguant le poste de Premier secrétaire, Martine Aubry, tout au long de ces échanges avec le journaliste Stéphane Paoli et le sociologue Jean Viard, pose des bases solides et cohérentes à ce travail de reconstruction. Rappelant à la fois la pertinence et l’actualité des valeurs de la gauche et les réelles réussites économiques et sociales qu’elles ont inspirées aux gouvernements qui s’en revendiquaient, Martine Aubry appelle à rénover en profondeur le PS et à "l’ancrer à gauche".

Ces entretiens constituent également autant d’occasions de découvrir "Martine", d’en savoir davantage sur la genèse et les réalisations de son engagement en politique.  Des échanges entre l’adolescente Martine Delors et ses parents, jusqu’au remarquable développement de Lille, en passant par l’épopée de la "dream team" du gouvernement Jospin, elle évoque avec sincérité et passion sa vie et son action.
 
Ce livre, enfin, revendique comme visée de réveiller le PS, de le conduire à sortir du coma politique et stratégique dans lequel il s’est enfoncé après le traumatisme du 21 avril 2002. Pour la maire de Lille, les causes du mal sont claires : l’oubli des valeurs fondatrices de la gauche, la désinvolture politique, la fascination pour le "modèle Sarkozy", l’aspiration par le tourbillon médiatique, la concurrence des ego ayant pris le pas sur la confrontation des idées et le manque de travail collectif. Surtout, une erreur dans le diagnostic porté sur cette cruelle défaite : la gauche n’a pas perdue parce qu’elle n’était pas assez à droite… mais bien parce qu’au contraire elle s’était trop éloignée de ses fondamentaux. La chute injuste et tragique de l’équipe Jospin a assommé et trop longtemps rendu timorés ceux qui auraient dû défendre becs et ongles un des bilans gouvernementaux de la Vème République dont la France peut être le plus fière. Courir après Sarkozy est donc, pour elle, une démarche vaine, contre-nature, mortelle. En la suivant, la gauche se coupe de la réalité sociale du pays, désespère ses électeurs et finit par se perdre elle-même.

 

"Présent(e) et fidèle"

À ce PS comme désaccordé, Martine Aubry propose de renouer le fil interrompu de l’analyse sociétale, de reprendre sa place auprès de ceux qu’il a vocation à défendre, de "se retrouver" pour utiliser la formule qui donne son titre à l’ouvrage.

Principales retrouvailles : celle de la gauche - et singulièrement du PS - avec les valeurs qui sont les siennes depuis toujours et qui doivent continuer à l’inspirer.

Si le monde a profondément changé depuis l’invention du socialisme au XIXème siècle, "les valeurs et les repères à défendre sont les mêmes que ceux que nous défendions hier". La quête de l’égalité et de la liberté, la défense de la laïcité et la construction de la fraternité ne sont pas obsolètes. À l’heure où l’on "recherche l’avoir" et où l’on "oublie l’être", la promotion de ces valeurs par la politique peut redonner sens à la vie de chacun. Si la gauche a connu trois défaites consécutives à l’élection présidentielle c’est d’abord et avant tout parce que ces valeurs n’ont pas été portées assez haut. S’inscrivant dans la lignée de François Mitterrand, Martine Aubry fait sienne la formule de ce dernier : "Le devoir des socialistes est d’être présent et fidèle".



Ainsi, être de gauche aujourd’hui c’est poursuivre trois objectifs : "permettre à chaque homme et chaque femme de s’émanciper", "maîtriser le monde dans lequel nous sommes en préparant l’avenir", "construire une société qui laisse sa trace sur le plan culturel, qui crée des liens entre citoyens".

Or l’avènement d’une "société de l’individualisation" ne rend pas, comme on l’entend dire trop souvent, ces trois objectifs caducs. En effet l’individu moderne n’est ni plus égoïste ni plus individualiste que ses ancêtres. Il est davantage mobile et éduqué, il vit plus longtemps, et dans un univers caractérisé par un plus haut degré d’incertitude. Les aspirations individuelles convergent donc plus qu’hier avec celles de la gauche.

Et celle-ci a prouvé par le passé sa capacité à agir avec force sur le réel pour concrétiser ces aspirations. On lui doit ainsi l’abolition de la peine de mort, la nationalisation d’entreprises en panne d’investissements, la fin de l’inflation, le Pacs, la libéralisation de l’audiovisuel, la parité, la décentralisation, la réduction de la dette et des déficits publics entre 1997 et 2001, l’équilibre de la sécurité sociale sur cette même période…

L’État peut donc proposer une meilleure offre de biens collectifs, mieux répartir les fruits de la croissance, remédier à la myopie et à l’irrationalité des marchés. Martine Aubry renouvelle avec force son acte de foi dans le volontarisme politique.


"La justice au cœur"

C’est autour d’une autre valeur centrale de la gauche, la justice, que prend sens tout son parcours personnel. Un parcours qu’elle retrace en livrant, en creux, les portraits de ses parents et, en particulier, celui de sa mère, moins connue que son père Jacques Delors. Elevée au sein d’une "famille simple et forte" dans un quartier populaire du 12e arrondissement, "Martine" accompagne cette mère, forte personnalité d’origine basque, dans ses engagements associatifs et apprend d’elle à être "dure avec les puissants et douce avec les faibles". Elle souligne également l’importance qu’ont eu pour elle les débats familiaux toujours exigeants et ouverts.

Après des études d’économie, son diplôme de Sciences-Po et sa scolarité à l’ÉNA, elle entre au ministère du Travail par conviction, pour lier l’économie et le social. En 1981, directeur-adjoint du cabinet du ministre du Travail Jean Auroux, elle met en place les institutions représentatives des salariés dans l’entreprise, les 39h, la réglementation du travail temporaire et la retraite à 60 ans. L’alternance de 1986 lui donne l’occasion de s’investir dans le monde de l’entreprise chez Péchiney.

Nommée une première fois ministre du Travail et de l’Emploi en 1991, Martine Aubry crée en 1993 la Fondation Agir contre l’exclusion (FACE). Deux ans plus tard Lionel Jospin fait d’elle son porte-parole lors de la campagne présidentielle, puis la nomme ministre du Travail en 1997, date à laquelle la France connaissait depuis deux ans une croissance très inférieure à la moyenne européenne, un fort taux de chômage, un déficit très important de la Sécurité sociale.



C’est ici l’occasion pour Martine Aubry de défendre avec vigueur le bilan du gouvernement Jospin : baisse du chômage, croissance supérieure de 1% à celle de l’Union européenne, équilibre des comptes de la Sécurité sociale sans augmenter les cotisations ni réduire les prestations et en donnant, en prime, avec la CMU, un accès gratuit aux soins pour les 5 millions de personnes les plus pauvres d’entre nous.

En octobre 2000, conformément à son engagement passé avec Lionel Jospin, Martine Aubry démissionne pour se consacrer à Lille.


"L’avenir aime Lille"

Une ville où Martine Aubry s’est réellement accomplie, après des moments difficiles, notamment sa défaite aux élections législatives de 2002. Réhabilitation de quartiers, création d’un pôle de compétitivité en matière de nutrition-santé, organisation de "Lille-Plage", aides aux services à la personne, jumelages entre entreprises et clubs de quartier, entre grandes écoles et collèges, entre maisons de retraite et écoles primaires, accueil de Bayer-Schering, d’Euratechnologie, de Microsoft et d’Oxylane, organisation de "Lille, capitale européenne de la culture" en décembre 2003… : le bilan de Martine Aubry est substantiel et lui a valu d’être brillamment réélue en 2008.


Retour sur les 35 heures

Si le sort de Martine Aubry est donc désormais lié à Lille, il reste aussi souvent associé à la réforme des 35 heures. Or cette dernière n’a jamais cessé d’être la cible d’un feu nourri de critiques adressées par la droite, mais aussi par une partie de la gauche...

"Les 35 heures, c’est une réforme moderne et efficace parce qu’elle donne du temps au gens et de la productivité aux entreprises" : cette appréciation est celle du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Inutile de préciser qu’elle est aussi celle de Martine Aubry, qui donne dans ce livre une défense et illustration de cette mesure phare des années Jospin.

L’année 2000, celle de la réforme, a été l’année où l’on a le plus travaillé en France : 2 milliards d’heures de plus que trois ans auparavant, soit une augmentation de plus de 8%. La réforme des 35 heures a créé 500.000 emplois directs, dont 350.000 dans le secteur privé. Si l’on prend en compte les emplois indirects, on arrive à un total de 2 millions d’emplois ! Plus d’emplois ont été créés en 5 ans que pendant les 30 glorieuses. La France a atteint sur cette période une croissance de 3% alors que la moyenne européenne n’était que de 2% !

Cette réforme a par ailleurs été menée dans la concertation et le dialogue : 120.000 accords d’entreprises, 200 accords de branche ont été librement passés. Et la loi de 2000 n’a été prise qu’après la conclusion de ces accords, en s’adaptant à leurs particularités.

Elle a en outre renforcé notre compétitivité vis-à-vis des entreprises et des investissements internationaux. Les IDE   ont triplé de 1997 à 2002 ! Et de nombreuses multinationales, dont Toyota, ont fait le choix de s’installer en France. Elle s’est accompagnée d’une hausse sans précédent du pouvoir d’achat : +8% en moyenne de 1997 à 2002, +16% même pour les 10% des foyers les plus pauvres !



Son coût de 7,5 milliards (1/2 "paquet fiscal"…) a été intégralement financé par la baisse du chômage qui a entraîné des baisses d’indemnités chômage et des hausses d’entrée d’impôts et de cotisations.

Bien sûr cette réforme était perfectible. Des aménagements étaient d’ailleurs prévus, notamment pour les artisans, les commerçants et les personnels des hôpitaux, mais ils n’ont pas été engagés par les gouvernements suivants.

 

Demain, si la gauche…

Et demain ? Quel sera l’avenir de celle qui fut à l’orée des années 90 l’icône de la gauche "moderne", le pilier du gouvernement entre 1997 et 2002, la responsable caricaturée ensuite en "dame des 35 heures", ayant connu la défaite et la mise à l’écart, revenue enfin avec éclat dans le jeu national au lendemain des dernières élections municipales ? Le désir est là, palpable à la lecture de l’ouvrage ; la volonté politique aussi, celle de s’opposer et de proposer.

Des idées, Martine Aubry n’en manque pas : chèque transport, blocage de certains loyers, ouvrir les allocations familiales au premier enfant et les maintenir jusqu’au dernier, moduler le taux de l’impôt sur les sociétés en fonction de l’usage par les entreprises de leurs profits, taxer les entreprises qui abusent des emplois précaires, interdire la détention de stock-options aux principaux dirigeants exécutifs des entreprises, créer un fonds souverains français, permettre aux préfets de se substituer aux villes qui ne respectent pas la loi SRU, faire élire directement les conseils des intercommunalités, revenir sur la loi TEPA, donner le droit de vote des étrangers au niveau local, ouvrir le mariage et l’adoption aux homosexuels, mettre en place un compte formation accessible tout au long de la vie….

Figure centrale du PS, Martine Aubry nous livre un viatique robuste, qui paraîtra, dans le moment politique baroque qui est le nôtre, d’un classicisme que l’on jugera rassurant ou dépassé -c’est selon-, mais qui pose un jalon utile dans la perspective du congrès de novembre et, au-delà, dans l’indispensable débat sur l’avenir du PS