M.-A. Dujarier applique au consommateur les outils élaborés par la sociologie du travail, novateur bien que parfois schématique.

Une partie des activités auxquelles se livre le consommateur peuvent être rapprochées des activités de travail, explique Marie-Anne Dujarier   dans cet ouvrage. Celles-ci sont en effet, désormais, sollicitées et encadrées par les entreprises de la même manière. Cela de façon délibérée, comme le prouvent les articles de marketing que l’auteur a dépouillés   .

Trois formes de travail du consommateur lui paraissent pouvoir être distinguées. Elle nomme la première “autoproduction dirigée”. Celle-ci renvoie à des tâches rendues suffisamment simples pour pouvoir être externalisées vers le consommateur, qui les réalise souvent à l’aide d’un automate. C’est une manière pour les entreprises de résoudre la tension, qui existe dans les services de masse, entre standardisation et personnalisation, explique-t-elle. Il peut ainsi s’agir pour le consommateur d’adapter sa demande à une offre prédéfinie, de finir d’élaborer le produit, se servir, se déplacer ou réparer lui-même, etc.

La motivation du consommateur, dans ce cas, tient essentiellement dans la contrainte (ou l’absence d’alternative) : s’il veut consommer, il doit s’exécuter, analyse l’auteur. Même si on lui vante l’avantage de passer ainsi moins de temps à attendre ou de pouvoir être autonome, en éludant la question du temps qu’il devra consentir à se former, s’équiper ou encore à gérer les aléas.

Le lecteur pourra, par endroits, avoir le sentiment d’une analyse un peu unilatérale, où la volonté de l’entreprise d’exploiter le consommateur est plus affirmée que démontrée (une impression que renforce l’usage de phrases très courtes). Avec une conception du travail qui est tirée vers la peine (même si l’auteur s’en défendrait sans doute). Une analyse qui écarte aussi, trop systématiquement, ce qui distingue l’activité de travail de celle de consommation, comme la subordination à un employeur unique, par exemple, qui n’a pas son équivalent s’agissant du consommateur.

L’auteur identifie une deuxième forme, qui consiste dans la “coproduction collaborative”. Contrairement à la précédente, celle-ci émerge seulement. Son développement est fortement lié à celui d’Internet et du web 2.0. Elle recouvre des activités très diverses, allant de la communication (qui peut être inconsciente) de données personnelles à la réalisation et à la publication d’œuvres par des amateurs, en passant par la production d’idées, que l’entreprise capte et valorise à son profit de différentes manières (par la vente d’audience aux annonceurs, l’encaissement de frais d’inscription et de commissions sur les transactions effectuées, la vente de services ou encore la revente des données concernant les consommateurs).

Ici, la participation du consommateur est volontaire et souvent enthousiaste dans la mesure où elle lui procure des occasions de développement subjectif et social, analyse M.-A. Dujarier.


Le lecteur, un peu familiarisé avec le web, pourra trouver que le traitement par l’auteur des activités de production et de partage de contenus que favorise le web 2.0 est trop schématique. Le parti pris de regrouper dans une seule catégorie de “coproduction collaborative” des activités aussi dissemblables en est sans doute la raison principale. Acheter ou vendre sur eBay, construire son réseau sur Facebook, partager ses photos sur Flickr ou rédiger des articles pour Wikipedia constituent des activités tellement différentes qu’on ne peut sans doute pas se contenter de montrer qu’il s’agit d’activités sollicitées et fortement encadrées. À la lecture, on se demande aussi où sont les observations empiriques concernant cette partie, plutôt livresque, puisque c’est un élément que l’auteur met en avant s’agissant de sa méthode de recherche.

La troisième forme renvoie au “travail d’organisation”   du consommateur ou, autrement dit, à celui de résolution des contradictions qui lui incombe. La première contradiction à laquelle celui-ci est confronté est celle qui existe entre le discours du marketing qui met le consommateur sur un piédestal et les dispositifs qui visent à le contrôler et à l’influencer. La comparaison des offres, préalable à l’achat d’un produit, et les ventes forcées illustrent le difficile travail d’accommodation que doit réaliser le consommateur pour concilier sa liberté et les obstacles qu’on y met.
Le consommateur est également mis en situation de devoir résoudre les contradictions opérationnelles. Il peut le faire avec les agents au contact (guichetiers, caissiers, téléopérateurs, réparateurs, etc), lorsque la relation de service persiste, ou bien seul, lorsque ceux-ci ont disparu. “Cette précieuse contribution à la valeur ajoutée de l’entreprise est renforcée par son action “managériale”.”   , quand le consommateur se fait contremaître, explique l’auteur. Pour finir, c’est également au consommateur, note M.-A. Dujarier, qu’incombe aujourd’hui la tâche de réconcilier ses intérêts de consommateur, ses convictions citoyennes et ses conditions de vie en tant que travailleur   .

L’auteur examine dans la quatrième partie les transformations sociales qu’induit cette mise au travail du consommateur. “Le fait de confier au consommateur la réalisation de tâches productives transforme la nature de la prestation réalisée.”   . Les relations entre les principaux protagonistes en sont également modifiées. L’activité des personnels au contact du consommateur évolue de la technique vers la vente. Le crowdsourcing (qui consiste à externaliser des tâches à la foule)   devient une menace pour certaines professions (telle que la photographie par exemple). Mais le phénomène produit également un effet sélectif sur les consommateurs. Un effet, qui pourrait aller jusqu’à l’exclusion de certaines catégories. Le phénomène peut également favoriser un sentiment d’autonomie factice (face à des organisations de plus en plus centralisées), et contribuer à brouiller la distinction entre les sphères privée et publique. Enfin, il donne un pouvoir accru aux concepteurs de tous ordres, tout en atténuant la visibilité de celui-ci, explique l’auteur.



Dujarier consacre alors un dernier chapitre aux stratégies que certains développent pour défendre leurs intérêts non seulement en tant que consommateurs mais aussi, désormais, comme travailleurs. S’il est avéré que le consommateur est relativement démuni, note l’auteur, les moyens d’action du travailleur-consommateur, jouant sur un autre registre (“de la contestation de la prescription à l’action juridique y compris pour travail dissimulé, en passant par la grève”   ), paraissent somme toute tout aussi limités, essentiellement parce qu’ils peuvent être très coûteux pour celui qui les met en œuvre.

Finalement, ce n’est pas tant du travail du consommateur qu’il est question dans ce livre que de sa mise au travail, des formes qu’elle prend et éventuellement de la résistance que celui-ci peut y opposer. Le glissement ici n’est pas anodin. On peut admettre que l’activité du consommateur est désormais largement sollicitée et encadrée par les entreprises à travers les outils de marketing et l’utilisation des technologies, notamment liées à Internet, sans le lire pour autant, aussi exclusivement, sous le prisme de l’exploitation. Si l’on accepte l’idée que le consommateur travaille, peut-être pourrait-on aussi regarder, de plus près que ne le fait l’auteur, ce qu’il produit.

L’application au consommateur des outils d’analyse élaborés par la sociologie du travail n’a ainsi sans doute pas dit son dernier mot avec ce livre, mais celui-ci ouvre la voie et mérite de retenir toute notre attention pour cela