Deux ouvrages parus ces derniers mois témoignent de la difficulté de relations équilibrées entre les parents et l’école.
 

Les parents et l’école… un thème qui, en France, glisse fréquemment vers des jeux d’opposition tels que les "parents contre les enseignants" ou "la résistance de l’école face aux parents". Derrière une apparente relation anodine qui pourrait aller de soi, on trouve encore en effet les stigmates de plus d’un siècle d’histoire un peu troublée dont on n’est pas encore totalement sorti.

D’un côté, l’institution républicaine par excellence, forgée à la fin du XIXe siècle pour "arracher" les enfants aux affiliations religieuses ou régionales de leurs familles, et leur apprendre une culture et une langue commune. Avec en corollaire, l’idée que l’intervention des parents s’arrête peu ou prou là où commence celle du professeur. De l’autre, des familles qui, selon leur position sociale et culturelle ont entretenu un rapport ambivalent vis-à-vis de l’école. Un rapport fait à la fois de confiance et d’espérance pour une promotion sociale qui passait de plus en plus par la méritocratie du diplôme, mais aussi de méfiance et de désillusions pour une institution dont on se demande toujours si elle ne nous cache pas une partie des règles du jeu.

Certes, les doctrines officielles ont largement évolué depuis la fin des années 70. Désormais, les parents sont officiellement reconnus au sein de "la communauté éducative", de nombreuses instances éducatives (conseils d’école, conseils d’administration…) leur sont ouvertes et de toutes façons, qu’ils soient cajolés par les ministres ou sommés de mieux s’occuper de leurs enfants, leur rôle "éducatif" est pleinement reconnu. Le modèle de la porosité entre la sphère éducative familiale et la sphère éducative scolaire semble être devenu dominant.

Pourtant, les motifs de friction semblent encore importants. On dénonce ici les "consommateurs d’école" qui zappent entre public et privé, on souligne là le comportement stratégique des parents qui font jouer la concurrence entre établissements, on continue à noter ici que les pratiques pédagogiques favorisent toujours les "initiés", ceux qui sortent du sérail des catégories socio-culturelles déjà familières de l’univers scolaire…

Deux ouvrages ont été publiés ces derniers mois qui montrent deux facettes, parmi beaucoup d’autres   , des visions des relations entre école et parents.



L’offensive des nouvelles classes supérieures pour accorder l’école à leurs valeurs néo-libérales

Philippe Gombert s’est intéressé au travail de sape des parents de certaines nouvelles classes supérieures, qui entendent bien s’investir tant dans les associations de parents que dans les écoles, pour les mettre en phase avec leurs valeurs d’entrepreneurs décomplexés de la nouvelle économie mondiale. Culte de la performance, mythe du modèle américain, valorisation des savoirs "utiles" pour la réussite sociale, engagement local et refus des "idéologies" : à leurs yeux, l’école doit être à l’image du jeu professionnel dans lequel il sont engagés.

Autant dire qu’aux yeux de l’auteur, les valeurs de ces parents sont en adéquation avec le paradigme dominant qui s’est imposé à partir des années 80, autour des idées de pluralisme scolaire, d’un néo-libéralisme éducatif et de parents consommateurs

Ayant travaillé avec A. van Zanten et d’autres chercheurs sur des communes de l’Ouest parisien, il s’appuie en particulier sur une enquête réalisée à Rueil-Malmaison. Sa thèse consiste à décrypter la façon dont ces parents des classes supérieures, qui sont ingénieurs, consultants marketing, directeurs commerciaux ou chargés d’études, impriment progressivement leurs pratiques et leurs idéologies entrepreneuriales dans le monde scolaire. Il s’agit en l’occurrence d’une fraction inférieure des classes supérieures qui est plutôt constituée de managers du secteur privé, passés par des écoles de commerce ou de gestion, liés à la nouvelle économie mondialisée. Ce sont donc des catégories assez différentes de la bourgeoisie traditionnelle, caractérisée par un capital économique mais aussi scolaire (passage fréquent par les grandes écoles traditionnelles) plus "classique".

Gombert replace cet activisme sur fond du basculement qui s’est produit dans la société et au niveau de l’État. Jusqu’à la fin des années 70, en effet, la figure majeure était le modèle bureaucratique de l’État éducateur et républicain. Dans une école marquée par le projet laïque du début du XXe siècle, les finalités familiales apparaissent alors concurrentes aux finalités étatiques, guidées par des idéaux politiques de mérite, d’égalité des chances ou de démocratisation.

On en retrouve l’écho parmi les parents d’élèves. Alors que la PEEP, association de parents plutôt liée aux milieux aisés, revendique la place de la famille dans l’éducation, y compris sur le terrain scolaire, la FCPE, originellement liée à la gauche syndicale, devient à partir des années 60 la principale association avec des thèmes privilégiant le combat laïc et le financement de l’école publique.


A contrario
, avec le développement d’un nouvel État plus "animateur" de projets sectoriels, la référence au local et aux "acteurs éducatifs" (dont les parents) s’impose progressivement dans les politiques éducatives, où les mots-clés deviennent déconcentration, décentralisation, partenariats, contrats, établissements, projet… Du côté des parents d’élèves, c’est la multiplication d’associations locales de parents d’élèves, autonomes, "apolitiques", appuyées sur la diffusion d’une logique pragmatique dans la sphère éducative, qui se réfèrent aux principes issus des nouvelles formes d’organisation du travail dans le privé : projet, autonomie, efficacité, coopération, transparence…

Dans ce contexte, ces "nouvelles classes supérieures" se retrouvent naturellement en pointe pour influencer fortement les associations de parents d’élèves, auxquelles ils impriment leur souci de l’action locale et pragmatique, pour agir "rapidement", rechercher des solutions adaptées loin de toutes considérations "idéologiques". Le "politique" est en effet rejeté au nom d’une évacuation des approches conflictuelles de la société puisque, dans l’école comme ailleurs, la responsabilité individuelle et une approche technico-économique sont antagoniques au principe d’une vision de la société qui nie les enjeux politiques ou culturels.


La conception du parcours scolaire est dans ces conditions individualiste et stratégique. Le contrôle parental s’étend sur l’école comme sur les activités extra-scolaires et les fréquentations des enfants, conçues pour renforcer la stratégie de réussite. Les valeurs mobilisées dans la carrière professionnelle sont réinvesties, pour une gestion rigoureuse et une occupation maximaliste du temps, des activités planifiées de façon "rationnelle".

Si l’on considère cette analyse un peu trop surplombée par la relation entre comportement parental et origine sociale, on préférera peut-être une autre approche qui, il est vrai, fait part de l’observation de relations entre écoles et parents plutôt dans le contexte de quartiers populaires ou marqués par une certaine mixité sociale.



Comment se rapprocher de ces parents "qu’on ne voit jamais" ?

Sous la direction de Martine Kherroubi en effet, des chercheurs ont analysé plusieurs projets d’implication des parents dans des écoles primaires, projets retenus par la Fondation de France après appel d’offre et sélection. L’idée sous-jacente de tels projets est bien évidemment d’établir de meilleures relations entre les parents et l’école afin que les élèves en tirent quelques profits dans leur apprentissage. Il s’agit en particulier d’éviter que seuls les parents déjà familiers de la culture scolaire, à savoir généralement les classes moyennes et supérieures, ne soient ceux qui "s’occupent" de ce qui se passe dans l’école.
Ou encore de réduire la coupure entre les parents qui sont "toujours là" (dans les conseils d’école, lors des kermesses ou dans les rencontres avec les enseignants) et ceux "qu’on ne voit jamais".


Si l’attention aux effets de l’origine sociale des parents est donc également présente, l’analyse se veut plus large et fonctionne souvent comme une observation des relations triangulaires entre les parents, les enseignants et une catégorie d’acteurs plus engagés dans la coopération, qui peuvent être soit des parents (délégués, responsables associatifs…) ou des enseignants (directeurs d’école par exemple).

Premier constat, les projets retenus recouvrent plus souvent des politiques d’établissement générales qui créent un "climat" relationnel favorable entre parents et enseignants, que des dispositifs précis, concrétisés dans des formes qu’on pourrait dupliquer d’une école à l’autre. La plupart du temps, le directeur ou la directrice d’école joue un rôle clé dans les relations entre l’école et les parents, en "jonglant" entre la logique du monde enseignant et la logique parentale.

Du côté des enseignants, l’implication des parents revêt d’abord un intérêt comme moyen de conforter la logique scolaire en y faisant "adhérer" la famille. Une grande partie d’entre eux estime nécessaire que l’école puisse influencer le comportement des parents pour qu’un enfant aie une scolarité réussie, tant en matière de soutien aux apprentissages (encadrement du travail scolaire) que de comportement ou de motivation. En fait, il s’agit de permettre que l’espace familial soit propice aux modes d’éducations scolaires.

Néanmoins, les chercheurs notent aussi que seuls des parents déjà bien investis dans la scolarité de leur enfant profitent d’éventuels dispositifs visant à les aider à mieux intervenir dans la scolarité (soutien à la lecture au domicile par exemple). De même, il est rare que les coopérations qui se développent n’effacent la distance entre les parents souvent présents à l’école et ceux qui s’en remettent à elle sans vraiment y chercher de participation (avec souvent un sentiment d’incompétence sociale vis-à-vis de l’institution).

Les projets examinés ont d’ailleurs permis de remarquer qu’il ne faut pas trop escompter d’un resserrement des liens entre parents et école un effet de "pacification" des rapports sociaux, notamment entre enseignants et parents "critiques". Ces derniers, souvent issus des classes moyennes et supérieures, sont généralement les plus présents à l’école, et leur capacité "critique" ne provient pas de leur distance mais au contraire de leur familiarité avec la culture scolaire. A contrario, les parents "silencieux" font "confiance" à une institution dont ils sont culturellement plutôt éloignés.

La catégorie "parents d’élèves" est aussi une étiquette encore plus incertaine que celle d’enseignant. On observe déjà que l’appellation "parent d’élève" est spontanément associée, notamment par les "autres" parents, à certaines modalités d’implication (souvent institutionnelles) à l’école, comme celles de délégué élu au conseil d’école ou d’animateur d’association. Quand aux dits "délégués", ils réfutent souvent l’idée qu’ils "représentent" tous les autres parents, et se sentent parfois plus proches des enseignants que de leurs "mandants" !


En fait, les groupes qui fonctionnent comme réseaux de sociabilité, où se tissent des liens et s’échangent des services (activités en commun, retour des enfants après l’école prise en charge, dépannage-garderie, etc.) sont des groupes de parents avant d’être des groupes de parents d’élèves.


Nombreux sont aussi les parents d’élèves qui cherchent avant tout, à travers les relations "collectives" nouées avec l’école, une relation individuelle à l’enseignant de leur enfant. Pour eux, l’enseignant reste l’informateur privilégié sur l’univers scolaire et la priorité est toujours donnée à une relation individualisée et personnalisée plutôt qu’au système représentatif.

On tire de ce recueil, parfois un peu hétérogène, de témoignages et d’expériences, le sentiment que c’est moins en travaillent sur les modes de relation qu’on améliorera les rapports entre école et parents, qu’en réduisant d’abord la distance entre la culture familiale et une culture scolaire inquiétante dont les enseignants semblent apparaître parfois, à leur corps défendant, comme les seuls démiurges