La venue de Benoît XVI en France, très largement médiatisée, soulève un ensemble d’interrogations à propos de la place de la religion dans nos sociétés et des rapports interreligieux, un an après le discours de Latran où Nicolas Sarkozy avait notamment affirmé la prééminence du prêtre sur l’instituteur dans l’enseignement des valeurs morales, et deux ans après le discours de Ratisbonne, contesté pour ces propos sur l’islam, où Benoît XVI analysait les rapports entre foi et raison.

Les pages "Débats" du Monde daté du 12 septembre donnent un bon aperçu de l’état de ces questions et des différentes positions du monde intellectuel et politique la concernant.

Pour Jean-Luc Mélenchon, qui titre son article "Un pape pour le choc des civilisations", Benoît XVI est un "chef politique autant qu’un chef religieux", qui cherche à prendre une position plus importante dans nos sociétés, en attisant la peur de l’Occident à l’encontre de l’islam.

À l’inverse, le philosophe Jean-Luc Marion, dans la perspective du discours du Collège des Bernardins, cherche à se mettre à l’écoute de "ce que Benoît XVI nous demande". Selon lui, dans un contexte où il est désormais bien admis que les "les catholiques ne menacent pas la République" ni "n’[attisent] les tensions entre religions", il faut quitter la "laïcité de combat" qui "[enferme] la foi religieuse dans la sphère privée" et admettre que "l’avenir de la République passe par l’intégration en elle de toutes les énergies religieuses". En ce sens, l’on devrait selon lui se montrer attentif aux questions que le pape soulève, en premier celle de la rationalité de nos sociétés, laquelle demeure active dès lors qu’il s’agit  de penser la "gestion et la production des objets", mais s’évanouit aussitôt qu’il s’agit d’éclairer notre condition.

À lire Gilles Marmasse, maître de conférences à la Sorbonne, cependant, il ne suffit pas de se mettre à l’écoute du discours de pape, il faudrait d’abord que celui-ci, et avec lui le catholicisme, sache se mettre à l’école du discours critique. Selon lui, l’ouverture de la foi à la raison passe par la mise à l’écart de toute forme de dogmatisme.  Le catholicisme pourrait faire résonner sa voix dans la société contemporaine à condition de suivre les procédures de délibération publique qui la caractérisent.

L’essentiel du débat sur les questions religieuses doit cependant moins porter sur la prééminence ou non de la religion dans nos sociétés, mais sur la capacité de celles-ci à permettre l’entente interreligieuse. À cet égard, l’article d’Abdelwahab Meddeb est riche d’enseignements, et le lecteur gagnera sans doute fort à se mettre à l’écoute de celui-ci. Abdelwahab Meddeb affirme, en se référant à Kant et à son cosmopolitisme, qu’il importe de reconnaître que chaque religion particulière se réfère à une religion première. Il en appelle ainsi à la constitution de sujets post-musulmans, post-juifs et post-chrétiens, capables de dépasser leur particularisme pour rejoindre cette religion première, qui deviendrait alors "l’ultime visée de la République des trois cultures".

Sans doute pourrait-on ajouter que plus que tout encore importe la visée de la vérité dans son universalité et, ainsi que l’affirmait Spinoza dans son Traité théologico-politique, foi et raison sont des voies différentes, mais nullement concurrentes, pour l’atteindre et y déceler un message de paix
 

* Jean-Luc Mélenchon, "Un pape pour le choc des civilisations", Le Monde, 12.09.09

* Jean-Luc Marion, "Ce que Benoît XVI nous demande", Le Monde, 12.09.09

* Gilles Marmasse, "Le véritable catholicisme est compatible avec la critique", Le Monde, 12.09.09

* Abdelwahab Meddeb, "Pour une religion de la 'paix perpétuelle'", Le Monde, 12.09.09

 

* À lire également sur nonfiction.fr :

- la critique du livre d'Henri Tincq, Les catholiques (Grasset), par Jean Thiellay

- l'entretien avec Abdewahab Meddeb, "Islam et modernité"

- la troisième partie de l'entretien avec Frédéric Worms, "Penser la science, la religion et la technique avec Bergson".