Une présentation de l'action de Malraux dans le domaine de l'architecture qui apporte un éclairage sur une période importante de l'histoire française.

Cette substantielle publication   du Comité d’histoire du ministère de la Culture et des éditions du Moniteur rassemble, sous la direction de Dominique Hervier, plusieurs contributions de spécialistes qui évoquent les rapports que le ministre de la Culture du général de Gaulle a entretenu avec l’architecture et esquisse un bilan de son action. Issu des communications organisées lors de la journée d’étude pour le trentième anniversaire de sa mort, l’ouvrage complète les précédents opus consacrés au ministre par le Comité d’histoire   . Il se subdivise en quatre parties : la première examine le rapport personnel de Malraux à l’architecture, la deuxième étudie son action de ministre, la troisième propose des témoignages d’acteurs et de collaborateurs recueillis lors de table-rondes organisées en novembre 2006 (qu’on retrouve dans un CD-Rom sous forme de documents sonores), la quatrième rassemble des discours du ministre sur le sujet.

Cet ouvrage est  passionnant, non seulement parce qu’il éclaire un aspect de la personnalité riche et complexe de Malraux, mais également parce qu’il rend compte des prémices d’une politique publique de l’État dans le domaine de l’architecture à une période où la demande sociale de logements donne lieu à des expérimentations multiformes dans la France entière. Le contexte du pays dans ces années fait l’objet d’une introduction remarquable de François Loyer. C’est l’époque des ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité), mais c’est aussi un moment "d’éclatement des références" en architecture, conjugué à un empire de la technique qui perturbe quelque peu le ministre-critique d’art.

La première partie nous éclaire sur l’évolution de la sensibilité de Malraux vis-à-vis de l’architecture. Se considérant avant tout comme un spécialiste des "beaux-arts", il aborde la discipline dans ses écrits à partir des grands édifices religieux qui ont marqué les principales civilisations et qu‘il intègre dans l‘histoire des arts. Son intérêt pour l’architecture sacrée ne s’est jamais démenti, comme le montre son admiration pour le Parthénon, les chefs-d’œuvre bouddhistes ou les églises de Le Corbusier. En tant que ministre, c’est à partir de la notion de patrimoine qu’il s’intéresse aux questions architecturales, notamment avec la fameuse "loi Malraux" qui crée les secteurs sauvegardés en 1962 ou avec la création de l’inventaire général en 1964.



La deuxième partie examine l’action de Malraux à l’égard de l’architecture pendant son mandat de ministre de la Culture. Éric Lengereau, dans un article très complet, passe en revue les principales décisions du ministre.  Sa marge de manœuvre est étroite car le tout-puissant ministère de la Construction, dirigé par Pierre Sudreau, pilote les projets d’aménagement dans la France entière, particulièrement les programmes de logement social, et voit d‘un très mauvais œil que la direction de l‘architecture relève du ministère de la Culture. Malraux va dès lors s’atteler à une réforme de l’enseignement visant à mettre fin à un système académique sclérosant lié à la suprématie des "prix de Rome" et de l’École des Beaux-arts de Paris. Il s’agira de sa principale réforme dans le domaine. Il faudra néanmoins attendre 1977 pour que la grande loi sur l’architecture – qui considère l’architecture "comme une expression de la culture" – soit promulguée. Elle fixe un cadre pour l’exercice de la maîtrise d’œuvre et de la profession d’architecte et vise à promouvoir la qualité architecturale.

La loi sur les secteurs sauvegardés de 1962 est en fait impulsée par le ministère de la Construction, mais Malraux, avec une certaine habileté, réussit à se l’approprier. L’histoire retiendra sa fameuse formule exprimée à l’Assemblée nationale : "Un chef-d’œuvre isolé risque d’être un chef-d’œuvre mort." Cette loi permet de protéger les centres historiques des principales villes françaises menacés par l’urbanisation effrénée de l’époque.

Peu à peu, Malraux s’intéresse aux bâtiments modernes. Son approche se caractérise dans un premier temps par son pragmatisme : il veut régler ce qu’il considère comme les affaires urgentes (notamment la villa Savoye et la chapelle de Ronchamp de Le Corbusier). Puis il va lancer une campagne de protection en créant une commission sur les monuments modernes chargée de sélectionner les édifices les plus significatifs. En matière de création, le programme d’édification de maisons de la culture lui donne l’occasion via des commandes publiques de promouvoir des réalisations architecturales novatrices dont celle de Le Corbusier à Firminy et celle de Wogenscky à Grenoble. Les rapports de Malraux avec les architectes seront constants : on notera plus particulièrement sa relation personnelle forte avec Le Corbusier. Dominique Amouroux rappelle les origines et les aléas de la commande que Malraux lui passa pour l’audacieux projet de musée du XXe siècle à la Défense qui, repris après le décès du maître en 1965 par son disciple Wogenscky, ne verra finalement jamais le jour.

La création de l’inventaire général constitue une autre grande décision de Malraux, démarche de fond conçue par André Chastel et portée politiquement par Malraux, pour répertorier et connaître les richesses patrimoniales de la France "de la petite cuillère à la cathédrale" selon la formule du ministre. Isabelle Balsamo et Dominique Hervier retracent minutieusement les principales étapes de la création de ce service directement rattaché au cabinet du ministre, marquant ainsi l’intérêt particulier que lui portait Malraux, mais également pour lui éviter d’être intégré à une trop lourde machine administrative.



La partie consacrée aux témoignages qui donnent la parole aux acteurs de l’époque se  propose d’évaluer l’action du ministre de de Gaulle. Si ces contributions permettent de comprendre le contexte de l’époque à l’égard de l’architecture, discipline qui suscitait peu d’intérêt dans les hautes sphères de l’État – probable reflet d’une insuffisante sensibilisation de l’ensemble de l’opinion à cet art – l’objectif évaluatif indiqué n’est que partiellement atteint. Les interventions de ses anciens collaborateurs montrent un Malraux surtout intéressé par la dimension esthétique de l’architecture et laissant une marge d’initiative importante à son administration, avec notamment le témoignage passionnant de son directeur de l’architecture de 1959 à 1965, Max Querrien.

La quatrième et dernière partie nous propose les principaux discours de Malraux à l’Assemblée nationale concernant l’architecture et le patrimoine à l’occasion de projets de lois ou lors de la présentation du budget de son ministère. Une fois de plus, on ne peut qu’être frappé par la puissance du verbe du ministre, le sens de la formule et l’exaltation lyrique. Ces interventions de très haute tenue intellectuelle, émaillées de références artistiques, confirment à quel point la capacité politique du ministre du général de Gaulle résidait en grande partie dans sa maîtrise hors du commun de l’art oratoire.

Ce riche ouvrage éclaire sous un angle rarement abordé la sensibilité et l’action de Malraux, tout en contribuant à enrichir l’analyse du contexte de cette période importante de l’histoire française. Il constituera un ouvrage de référence sur le sujet de par la multiplicité des approches et des contributions