Une synthèse stimulante, actualisée et richement illustrée sur le géant du XXIe siècle.

Du séisme dans le Sichuan aux jeux Olympiques qui viennent de s’achever à Pékin, la Chine aura beaucoup fait parler d’elle en 2008. Pour autant, alors que le battage médiatique autour de ce pays s’est désormais atténué, connaissons-nous mieux ce géant qui tantôt fait peur, tantôt fascine ? Sinologue, professeur de géographie à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et président de la toute jeune association Géochina, Thierry Sanjuan nous livre ici quelques clés de compréhension de cette superpuissance en devenir.

 

Les défis chinois


La notion de défi – déjà développée dans une précédente publication de T. Sanjuan, La Chine territoire et société   – constitue le fil directeur de ce numéro. Les défis que doit aujourd’hui relever la Chine sont pluriels : concilier le choix de la mondialisation et le maintien du régime communiste au pouvoir, maîtriser son immensité (1,3 milliard d’hommes sur un territoire vaste comme environ dix-sept fois la France), limiter les déséquilibres territoriaux, poursuivre sur les chemins de la croissance tout en limitant ses impacts environnementaux.

Selon une maquette familière aux habitués de la Documentation photographique, une introduction d’une quinzaine de pages effectue quelques rappels concernant les étapes de l’ouverture du territoire chinois sur le monde et tente d’identifier les facteurs de sa puissance. Thierry Sanjuan montre comment la population chinoise, d’abord considérée uniquement comme une source abondante de main d’œuvre, est aujourd’hui de plus en plus qualifiée, d’autant qu’un nombre croissant de Chinois partis étudier à l’étranger reviennent désormais au pays chercher un emploi qui leur offrira considération sociale et aisance financière. Le rôle significatif de la diaspora chinoise (trente millions de personnes) est lui aussi souligné à plusieurs reprises par l’auteur. Quant aux facteurs politiques, ils ont été tout aussi décisifs, de la création des Zones économiques spéciales au début des années 1980 à l’entrée du pays dans l’OMC en 2001.

 

Un acteur majeur de la mondialisation


La deuxième partie de la revue propose une série de documents commentés portant essentiellement sur l’évolution récente des relations économiques et commerciales de la Chine avec le monde. Thierry Sanjuan montre comment d’atelier du monde la Chine est devenue un des pays phares de la mondialisation en abordant aussi bien les évolutions internes au pays que les impacts des mutations chinoises sur le monde : "en quoi la Chine change le monde et en quoi elle change elle-même ?".

En effet, l’époque est révolue où le développement chinois se traduisait simplement par l’arrivée massive du "made in China" sur les marchés occidentaux. Aujourd’hui, la puissance chinoise se manifeste par des prises de marché dans les grandes entreprises occidentales, des investissements dans les fonds de pension nord-américains, des implantations sur les cinq continents tant pour satisfaire ses besoins en matières premières que pour conquérir de nouveaux marchés (la présence chinoise en Afrique fait d’ailleurs l’objet d’un dossier fort instructif).



Mais Thierry Sanjuan rappelle que les enjeux de puissance ne se limitent pas à des considérations économiques. Sur le plan géopolitique, la Chine s’efforce d’imposer une vision multipolaire du monde où les "grands pays"   exercent leur hégémonie dans leurs aires d’influence régionales respectives. Ainsi, l’auteur revient sur la concurrence avec le Japon sur la façade pacifique de l’Asie mais aussi sur les nouveaux équilibres en Asie centrale – moins médiatisés quant à eux – où le leadership régional est traditionnellement assuré par la Russie.


La révolution du territoire chinois

L’auteur montre comment des dynamiques complexes – et parfois contradictoires – sont à l’œuvre au sein du territoire chinois. Ainsi, le développement de la Chine se caractérise par une importante littoralisation qui profite surtout aux provinces du sud-est du pays situées bien loin de Pékin. Pour autant l’immensité du territoire n’empêche pas une forte centralisation héritée de la tradition impériale, et le pouvoir central réaffirme régulièrement son autorité pour pallier toute ambition émancipatrice de ces territoires gagnants de la mondialisation…

Parmi les mutations les plus marquantes de la Chine contemporaine, une place importante est laissée aux dynamiques urbaines : étalement urbain, tertiarisation des activités, gentrification, verticalisation du bâti… sont illustrés par une série de photos et de cartes à différentes échelles. Bien évidemment, une place de choix est réservée à Pékin et à Shanghai mais l’auteur développe aussi l’exemple de Shenzhen, ville du delta de la Rivière des Perles qu’il connaît bien pour en avoir fait un des objets d’étude de sa thèse de doctorat   .

Lorsqu’il aborde la société chinoise – "une société en transition" – le constat de l’auteur est très nuancé : sous-emploi chronique voire hausse du chômage – notamment dans les campagnes, problèmes sanitaires liés aux atteintes à l’environnement, déficit démocratique, question des minorités (l’auteur fait le choix de traiter des (ré)pressions exercées sur les Ouïghours plutôt que de celles dirigées à l’encontre des Tibétains). La société chinoise est aussi de plus en plus inégalitaire : on est surpris de lire que le pays a connu la plus forte augmentation au monde de l’écart des revenus entre les plus riches et les plus pauvres ces dix dernières années, après le Népal. Le modèle chinois a ses limites.

Pour autant, l’émergence d’une classe moyenne estimée entre 200 et 400 millions d’individus n’est-elle pas la preuve que la Chine est en train de gagner son pari ? Le développement massif d’un tourisme intérieur, l’essor des hyper et supermarchés (la firme Carrefour y possède plus de cent magasins), le boom des investissements immobiliers etc. ne montrent-ils pas, en dépit du chemin qu’il reste à parcourir, que les équilibres internes suivent une direction favorable ? Le Parti communiste chinois lui aussi à changé même si le recul de l’intervention de l’État dans la gestion des affaires personnelles des Chinois ne signifie pas la disparition de l’encadrement politique. En 2010, la ville de Shanghai accueillera l’Exposition universelle : d’ici là les défis que la Chine a lancé au monde comme à elle-même auront-ils été surmontés ?


Loin de prétendre à l’exhaustivité, ce numéro de la Documentation Photographique expose l’essentiel à savoir sur la Chine pour le grand public comme pour les étudiants   . En outre, cette synthèse actualisée (le dernier numéro de la revue entièrement consacré à la Chine datait de 1996 !) présentant des documents bien choisis offre de multiples possibilités d’utilisation pédagogique à destination des élèves du secondaire.
Enfin, pour ceux qui souhaiteraient approfondir leur connaissance de la Chine, on ne saurait trop recommander la lecture de deux autres publications relativement récentes de Thierry Sanjuan : Dictionnaire de la Chine contemporaine, Armand Colin, 2007 et Atlas de la Chine, les mutations accélérées, Paris, Autrement, 2007.