Une enquête sur la réforme de 2003 du régime d'indemnisation des intermittents du spectacle qui débouche sur une réflexion beaucoup plus large.

Cet ouvrage livre les résultats d’une enquête, qui a associé des chercheurs (de l’équipe Ysys du laboratoire Matisse du Centre d’Économie de la Sorbonne) et des intermittents du spectacle (à travers la Coordination des Intermittents et Précaires) pour évaluer les impacts de la réforme du régime d’indemnisation chômage mise en place en 2003, en faire la critique et proposer une alternative.

Elle débouche sur une réflexion plus générale touchant tous les salariés à l’emploi discontinu et le rôle que devrait jouer la protection sociale les concernant. On peut regretter que l’ouvrage arrive un peu tard, mais il a sans doute connu des problèmes éditoriaux.

Le premier chapitre est consacré par les auteurs à une présentation des acteurs du conflit. Le second expose le type d’enquête mise en œuvre, qui vise à mobiliser l’"expertise citoyenne" en faisant coopérer spécialistes et profanes. Les auteurs se réclament ici du pragmatisme américain   , de Michel Foucault, mais également des travaux du Centre de sociologie de l’innovation de l’École des Mines ou encore de Pierre Bourdieu et de La Misère du Monde (pour justifier que la collecte des informations puisse être effectuée par des intermittents).

Le troisième chapitre entre véritablement dans le vif du sujet en se livrant à une présentation des pratiques d’emploi et de travail des intermittents, sur la base des données recueillies, entre septembre 2004 et mai 2005, à travers un questionnaire détaillé, qui est reproduit en annexe.

Pour les auteurs, la prise en compte de la variabilité des salaires, des particularités de l’organisation du travail ou encore des parcours des intermittents vient contredire (ou tout au moins interroger fortement) l’hypothèse, qui était au principe de la réforme de 2003   , selon laquelle il y aurait trop d’ayants droit ou trop d’intermittents par rapport aux capacités d’absorption du marché et qu’il convenait donc de prendre des mesures pour en faire baisser le nombre   .

À les suivre, l’accroissement du nombre des ayants droit relèverait en effet essentiellement du développement des activités culturelles et artistiques, en faisant la part de l’emploi discontinu, soit de la séparation grandissante entre le travail et l’emploi que l’on observe également (sous la pression à la réduction des coûts) dans d’autres secteurs. Une séparation qui n’est pas forcément un drame, dans la mesure où les salariés y trouvent la possibilité de mener des projets qui les intéressent, et dont la production culturelle tire également avantage. Mais qui justifie d’autant plus que l’indemnisation du chômage soit relativement déconnectée de l’emploi et du salaire. "Ce n’est pas le nombre d’intermittents qui augmente plus vite que les ressources du secteur, ce sont les ressources du secteur qui augmentent trop peu par rapport à la progression de la quantité de travail. Elles sont inadéquates, largement insuffisantes pour accompagner et soutenir l’expansion des activités artistiques et culturelles, pour permettre l’expérimentation en dehors des normes de l’industrie du spectacle, pour permettre le développement d’activités dont la valeur est seulement en partie marchande, d’activités qui peuvent seulement en partie répondre des critères de rentabilités de l’entreprise et dont il apparaît urgent d’apprécier l’utilité sociale."   , écrivent-ils.

Le dernier chapitre est l’occasion pour les auteurs d’opérer un certain nombre de déplacements : la faiblesse structurelle conjuguée aux fortes inégalités des salaires que connaît le secteur trouvent leur principale explication dans la volatilité des rémunérations journalières en fonction des projets et des employeurs, les allocations chômage jouant ainsi un rôle fondamental de mutualisation et de compensation, expliquent-ils. Or, ces conditions ont aujourd’hui tendance à se généraliser dans l’économie.

L’importance de distinguer entre emploi et activité trouve une application plus générale, notamment pour tous les salariés au chômage. Mais aussi pour tout un ensemble de professions (les auteurs listent notamment les professions de graphistes, publicitaires, chercheurs, artistes, consultants, auteurs, stylistes et créateurs de modes, journalistes pigistes, etc.) qui ont vu le développement, au cours de la période récente, du statut hybride de salarié-employeur et pour lesquelles le marché du travail est fortement segmenté et inégalitaire, sans que celles-ci ne disposent pour le coup d’aucun mécanisme compensatoire équivalent au régime de l’intermittence.

Enfin, la considération des parcours des intermittents devrait également nous conduire à porter une appréciation plus positive que celle que nous sommes spontanément enclins à accorder à la discontinuité des parcours. "À l’injonction d’augmenter le temps de l’emploi, c’est-à-dire le temps de vie occupé par l’emploi, l’expérience de l’intermittence oppose la multiplicité des emplois du temps, c’est-à-dire la multiplicité des temporalités [comme] autant de temporalités constitutives de l’activité"   .

Tous ces éléments plaident, expliquent les auteurs, pour une évolution du rôle des prestations sociales, qui ne seraient plus exclusivement liées à l’emploi, et qui puissent être considérées comme un investissement collectif contribuant au développement des biens communs"   .

Les auteurs consacrent pour finir quelques pages à la critique chiffrée de la réforme de 2003 et à la présentation de l’alternative proposée par la Coordination des Intermittents et Précaires. À population identique, le surcoût engendré par la réforme (largement plus inégalitaire que le système qui existait jusque-là) est estimé à 40%. La réduction qui était visée du déficit ne pouvait donc passer que par une forte réduction du nombre des ayants droit (à travers notamment l’abandon de la date anniversaire contre lequel les auteurs concentrent leurs critiques). Les coûts de cette exclusion ont alors été pris en charge par la collectivité à travers des fonds provisoires mis en place par l’État ou à travers le versement du RMI. Une visite sur le site web de la CIP permettra au lecteur intéressé de compléter et d’actualiser son information.

On peut trouver à ce livre quelques défauts : son style philosophique tout d’abord, qui rend parfois difficile à saisir l’enchaînement des arguments en particulier s’agissant de l’interprétation que les auteurs font des résultats de l’enquête au chapitre 3. Le fait qu’il mêle en permanence, par rapport à la réforme, des critiques de niveaux très différents. Ou encore qu’il se satisfasse, pour expliquer pourquoi l’expertise en question ne parvient pas à se faire prendre en compte (ou uniquement à la marge) par les acteurs institutionnels, d’une critique du discours de la refondation sociale et/ou de l’idéologie des décideurs, gestionnaires de l’Unedic et pouvoirs publiques, que l’on pourra juger quelque peu désincarnée, en particulier si l’on se réfère aux travaux du CSI dont les auteurs se réclament au chapitre 2.

Mais il montre, de manière convaincante, que pour appréhender correctement le rôle que joue la protection sociale, il faut chercher à saisir ce que celle-ci signifie au regard des activités de travail, sans se limiter à considérer ses effets sur l’emploi comme on peut en avoir la tentation, et pour cela il mérite certainement de retenir toute notre attention